Le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, sera en visite officielle en France, le lundi 9 et le mardi 10 avril. Il dînera avec Emmanuel Macron, le second jour, afin de nouer un « nouveau partenariat stratégique franco-saoudien », a indiqué l'Élysée, jeudi.
Les ventes d'armes françaises à l'Arabie saoudite, soupçonnée de crimes de guerre au Yémen, sont de plus en plus critiquées, malgré les tentatives de Paris, troisième exportateur d'armement au monde, pour déminer le terrain. «Emmanuel Macron devrait placer le Yémen au coeur de ses discussions avec le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, attendu en France la semaine prochaine», selon dix ONG humanitaires et de défense des droits humains.
Que demandent les ONG ?
Une guerre atroce sévit, depuis 2015, au Yémen (lire ci-dessous), où les rebelles houthis soutenus par l'Iran ont conquis d'importantes portions du territoire. De son côté, le gouvernement internationalement reconnu du président Abd Rabbo Mansour Hadi est soutenu par une coalition de plusieurs pays sunnites dirigés par l'Arabie saoudite et dont font partie, entre autres, les Émirats et l'Égypte. Tous les membres de la coalition sont accusés de bombardements aériens répétés de populations civiles. Les ONG (Amnesty International, Médecins du monde, Ligue des droits de l'Homme, etc.) demandent que la France suspende les licences d'exportation de l'ensemble des armes susceptibles d'être engagées au Yémen et qu'elle soutienne l'ouverture de couloirs humanitaires.
Que répond la France ?
De longue date, Paris a pris fait et cause pour le camp de Riyad. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, en est un ardent défenseur. Il botte les critiques en touche : « Il y a un problème au Yémen, c'est que le processus politique n'a pas commencé, que l'Arabie saoudite se sent agressée régulièrement par les Houthis, qui sont eux-mêmes fournis en armes par l'Iran ». Quant à la ministre des Armées, Florence Parly, elle s'est illustrée par une jolie boulette, arguant que la France avait livré des armes qui « n'étaient pas censées être utilisées (...) Qui pouvait imaginer la survenance de ce conflit au Yémen ? ».
Quels sont les armements concernés ?
Gros clients des industriels français de l'armement, dont Dassault et Nexter, l'Arabie saoudite et les Émirats demeurent, bon an mal an, dans le peloton de tête des pays acheteurs d'armes françaises. Y compris des images satellitaires, du renseignement technique et de la formation tactique. Lors de la visite de Mohammed ben Salmane, un très gros contrat sera signé pour l'achat de patrouilleurs au chantier CMN de Cherbourg. Nexter signera pour la fourniture de nouveaux canons Caesar, mais ce contrat devait demeurer secret, pour ne pas heurter de front les ONG.
Quels sont les choix européens ?
C'est l'un des problèmes : l'Europe veut moraliser les ventes d'armes, singulièrement celles à destination de l'Arabie saoudite. En Allemagne, le Bundestag veut carrément les interdire, ce point étant âprement négocié par les partenaires de la « Grosse Koalition ». La Norvège a déjà suspendu certains de ses contrats vers les Émirats. Le Parlement européen demande à la France de faire de même, en appliquant avec une plus grande rigueur le « code de conduite » européen en matière de vente d'armes à destination des pays violant le droit humanitaire.
Quelles sont les vraies raisons d'Emmanuel Macron ?
Quand elle achète compulsivement des armements sophistiqués, l'Arabie s'assure, du même coup, le soutien de ses grands partenaires, États-Unis et Russie compris. La France n'a jamais été qu'un partenaire secondaire, sauf dans les années Giscard. Depuis, tous les Présidents déroulent le tapis rouge à l'ombrageuse dynastie wahhabite, pour une raison très simple : les ventes d'armes assurent en France des dizaines de milliers d'emplois et des contrats particulièrement profitables. C'est l'un des enjeux de la visite princière.
© Le Télégrammehttp://www.letelegramme.fr/monde/ventes-d-armes-un-cas-de-conscience-06-04-2018-11915545.php#KWHj5SzytWhUVqU6.99
La guerre civile au Yémen oppose, depuis 2014, les rebelles Houthis aux forces gouvernementales soutenues par une coalition menée par l'Arabie saoudite.
Les premiers, issus de tribus chiites se jugeant marginalisées depuis les années 2000, ont conquis peu à peu un territoire correspondant à l'ancien Yémen du Nord (l'ouest du pays). Ils se sont alliés avec les forces fidèles à l'ex-président Ali Abdallah Saleh, lequel a été tué par les rebelles, en 2017, dans la capitale Sanaa, après avoir tenté de trahir ces derniers.
8,4 millions de personnes au bord de la famine
Le conflit s'est internationalisé, en mars 2015, avec l'intervention de plusieurs pays du Golfe menés par l'Arabie saoudite. Malgré un imposant déploiement de forces et de nombreux bombardements ayant provoqué la mort de milliers de personnes, cette coalition n'est pas parvenue à changer le cours de la guerre civile.
Riyad accuse l'Iran de soutenir les houthis qui ont, à plusieurs reprises, tiré des missiles sur le territoire saoudien. Ce conflit met également aux prises des groupes de combattants jihadistes, certains étant affiliés à Al-Qaïda, d'autres à l'État islamique. Selon l'Onu, 8,4 millions de personnes sont au bord de la famine au Yémen dont la population dépend, en grande partie, de la nourriture importée.
MBS : un jeune prince réformateur
commenter cet article …