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27 février 2018 2 27 /02 /février /2018 06:30
Pour réformer la SNCF, une nouvelle loi à trop grande vitesse (Manuel Jardinaud, Médiapart, 26 février 2018)
Pour réformer la SNCF, une nouvelle loi à trop grande vitesse
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Le premier ministre a présenté, ce 26 février, le plan gouvernemental pour le ferroviaire qui reprend les grands axes du rapport Spinetta prônant mise en concurrence des trains, fin de l'entreprise publique et abandon du statut des cheminots. La réforme, qui passera par la voie des ordonnances, doit être adoptée avant l'été alors qu'elle ne faisait pas partie du programme d’Emmanuel Macron.

 

La bataille du rail ne fait que commencer. Le premier ministre Édouard Philippe a présenté ce lundi 26 février le projet gouvernemental sur la réorganisation de la SNCF à la suite du rapport de Jean-Cyril Spinetta sur l’avenir du transport ferroviaire, rendu public dix jours auparavant.

Dans les grandes lignes, le pouvoir fait siennes les propositions de l’ancien PDG d’Air France sur la situation du ferroviaire en France, qui préparait les esprits à un big bang du réseau ferré. Le discours est, à majorité, identique : « Une situation alarmante, pour ne pas dire intenable », affirme le premier ministre. Selon lui, le diagnostic du rapport Spinetta « est sévère, mais malheureusement juste ».

Une société surendettée, un service défaillant et une obligation de préparer à l’ouverture à la concurrence dès 2019 : ces trois éléments doivent mener à une évolution du statut des cheminots, au motif qu'il entraverait toute transformation sociale et économique. Mais la raison sociale de l’entreprise publique évoluera aussi, pour porter une stratégie offensive et des investissements. Et une nouvelle organisation est au programme, pour déployer la « nouvelle SNCF ».

Seule concession – de taille néanmoins – faite pour ne pas s’attirer les foudres des élus locaux, et des Régions en particulier : le gouvernement n’entend pas dans l’immédiat s’attaquer à la fermeture des lignes dites « petites », déficitaires et peu fréquentées, dont le rapport Spinetta proposait de fermer une grande partie. Selon le rapport, elles mobilisent actuellement 16 % des moyens financiers, voient passer moins de 10 % des trains et transportent seulement 2 % des voyageurs.

Dans le bras de fer précédant le projet de loi, qui devrait être déposé mi-mars selon Édouard Philippe, les Régions ont donc gagné une manche. C’est d’ailleurs le sens du communiqué que leur association n’a pas manqué de diffuser sitôt le discours du premier ministre terminé. « Les Régions se réjouissent de cette décision. Elles resteront néanmoins très vigilantes sur le financement de ce réseau capillaire, nécessaire à l’irrigation des territoires, en particulier au respect des Contrats de Plan État Régions permettant sa rénovation », a-t-elle déclaré.

Les syndicats, en revanche, sortent groggy de cette présentation, même si l’exécutif assure que cette loi n’inclura pas la réforme du régime spécial des retraites des cheminots, laquelle attendra celle du régime général d’ici à 2020. Sans surprise, Édouard Philippe a annoncé la fin du statut des salariés propre à l’entreprise publique pour tous les nouveaux entrants. Les organisations syndicales maison ont appelé à manifester au cours du mois à venir afin de s’opposer à cette mesure déjà évoquée.

La gauche a vivement réagi à l’annonce des propositions gouvernementales. Une partie des élus de La France insoumise a prestement tweeté son opposition farouche au projet d’Édouard Philippe. Adrien Quatennens, député du Nord, évoque « l’assaut final du libéralisme effréné », alors que son collègue de Seine-Saint-Denis Éric Coquerel indique que privatiser la SNCF est « socialement et écologiquement une catastrophe ».

Chacun pointe aussi l’un des aspects les plus problématiques de cette réforme : la décision d’utiliser la voie législative par ordonnances, confirmée par le premier ministre.« Face à l’urgence, le gouvernement est déterminé à en faire voter les principes clés avant l’été. [...] C’est pourquoi, à la mi-mars, nous déposerons un projet de loi d’habilitation au Parlement », a-t-il annoncé en fin de discours. Une loi TGV en somme, en tout cas une volonté d'aller vite, principe macronien par excellence.

La méthode, en tout point, relève de celle utilisée pour réformer le code du travail durant l’été 2017, le premier ministre promettant « des concertations méthodiques sur les différents aspects de la réforme » tout au long du processus législatif. « Les ordonnances Travail ont prouvé que cette méthode ne confisque aucunement le débat, bien au contraire – sauf à considérer que 300 heures de concertation et une centaine de réunions n’auraient pas laissé assez de temps à l’expression des opinions contradictoires », a argué le chef du gouvernement.

Une réforme absente du programme d’Emmanuel Macron

Là se niche peut-être une faute politique, ou du moins une erreur de stratégie que l’exécutif pourrait payer dans l’avenir. D’abord parce que considérer que les concertations sont l’alpha et l’oméga du consensus autour d’une réforme relève évidemment d’une chimère. À l’issue de celle organisée pour la réforme du code du travail, et malgré le bon a priori formulé au long du processus par FO et la CFDT, force est de constater que l’ensemble des syndicats en est ressorti au moins déçu, sinon véritablement en colère quant au contenu présent dans les ordonnances.

Comme l’avait documenté Mediapart, dès la fin juillet 2017, la confiance entre organisations syndicales et gouvernement avait commencé à se fissurer. Des consultations en silo, le refus d’organiser des rencontres plénières réunissant l’ensemble des partenaires sociaux et un jeu de chat et de la souris entre le cabinet de Muriel Pénicaud et certaines centrales avaient rapidement entamé la belle façade du dialogue social moderne sauce Macron.

À l’époque, le chef de file de la CGT, Fabrice Angeï, déclarait à Mediapart : « Il y a plus une volonté d’habillage que de dialogue réel. Nous n’avons pas vraiment discuté : chacun a seulement présenté ses intentions et ses positions. Là où la ministre parle de changement de paradigme, nous pensons que le projet gouvernemental va créer un bouleversement, une véritable destruction du droit du travail. » Une analyse qui ne plaide pas forcément pour renouveler une telle méthode, pour une réforme par ailleurs hautement inflammable.

La stratégie d'asphyxie, en place depuis le début du quinquennat, est une nouvelle fois à l’œuvre avec quatre thèmes de discussion mis au débat, en même temps et à la fois. De quoi déconcerter à nouveau tous les acteurs du secteur qui pourront, certes, se sentir écoutés, mais pas forcément entendus. D'autant que les concertations auront lieu en concomitance avec les débats parlementaires sur le projet de loi d'habilitation…

De toute façon, le premier ministre aura prévenu : « Si certains sujets s'enlisent, au cours des concertations, en pâtissant de tentatives d'obstruction ou de rapports de force verrouillés, si certains tentent de confisquer le débat ferroviaire pour le pervertir en un débat idéologique déconnecté des besoins de mobilité des Français, alors le gouvernement prendra ses responsabilités. »

Demain concernant la SCNF, comme hier pour le code du travail, le gouvernement a posé un cadre strict de discussions à l'intérieur duquel il est difficile de voir en quoi les organisations syndicales pourront influer pour conserver des protections propres à l’entreprise et aux métiers du ferroviaire. Pour parer à la critique de destruction du contrat social au sein de la SNCF, et prendre en compte les spécificités des différentes professions, le premier ministre a indiqué qu’il demanderait « qu’une négociation s’ouvre au niveau de la branche, sur les garanties qui seront données en contrepartie de ces contraintes ».

Un discours censé rassurer les futurs salariés de l’entreprise publique. Oubliant néanmoins que, justement, la réforme du code du travail a amenuisé le pouvoir de l’accord de branche sur celui de l’entreprise, au sein de laquelle les organisations syndicales ont également perdu en influence. L'effet « perdant-perdant » est patent.

Autre écueil de la stratégie gouvernementale : opérer par ordonnances sur une réforme qui n’a pas – ou peu – été annoncée durant la campagne présidentielle. Et ce bien qu’Édouard Philippe affirme : « Sur ce sujet comme sur d’autres, le président de la République a fixé le cap durant la campagne. »

Or il n’y a nulle trace d’une telle réforme d’ampleur dans le programme, tel qu’il est encore aujourd’hui accessible par chacun. Au chapitre « Mobilité », il est fait mention« d’un plan d’urgence d’investissement de rénovation (rail et route) ». En aucun cas une transformation de la SNCF de fond en comble n’est indiquée, ni même sous-entendue.

La véritable déclaration du président de la République sur cette réforme ne date que du 1er juillet 2017, soit après son accession à l’Élysée. Comme le rappelait récemment Mediapart, Emmanuel Macron avait annoncé ses intentions à bord du TGV qui inaugurait la ligne Le Mans-Rennes. Il promettait un big bang pour la SNCF. « Pour être franc, je pense que le modèle sur lequel on a vécu, le mythe de la SNCF, n’est pas celui sur lequel on construira la SNCF du XXIe siècle. Votre défi sera de ne pas rester sur la protection du passé […]. Le vrai défi sera de dire : si vous voulez défendre votre entreprise, il faut la réinventer », avait-il déclaré à des cheminots conviés à faire partie du voyage.

 

Sur la réforme du code du travail, l’exécutif appuyait sa légitimité sur le fait qu'Emmanuel Macron en avait déjà rendu les grands axes publics avant son élection. Point d’une telle légitimité dans les urnes aujourd’hui, concernant la SNCF. Même si le premier ministre en appelle aux citoyens pour justifier cette transformation radicale –« Il est temps d’oser mener la réforme que tous les Français savent nécessaire » –, l’argument du passage en force pourra, cette fois, obtenir un large écho.

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