Une vague de protestations secoue le pays, après l’entrée en vigueur de nouvelles mesures d’austérité. Dans la nuit de lundi à mardi, un homme est mort à Tebourba au cours d’affrontements avec la police. Le chômage reste une bombe sociale.
Drôle de commémoration. La Tunisie s’apprête à célébrer, ce 14 janvier, dans un climat de fortes turbulences sociales, le septième anniversaire de la chute du dictateur Zine El Abidine Ben Ali. Dans cette fragile transition démocratique, une question reste entière, lancinante, impossible à refouler : celle de la justice sociale, qui irriguait déjà le soulèvement populaire de 2011. Dans la nuit de lundi à mardi, un homme de 43 ans est mort à Tebourba, à quelques dizaines de kilomètres au sud de Tunis, dans des affrontements qui opposaient la police aux manifestants protestant contre le budget 2018, marqué du sceau de l’austérité. Une autopsie devait être réalisée hier mais le ministère de l’Intérieur a aussitôt démenti toute implication de la police, assurant que le défunt souffrait de « problèmes respiratoires ».
Depuis plusieurs jours, une vague de protestations secoue le pays. La mèche a été allumée par la hausse de la TVA et des contributions sociales entrée en vigueur au 1er janvier, alors que l’inflation et la chute du dinar grèvent déjà lourdement le pouvoir d’achat des Tunisiens. Mais c’est un malaise plus profond qui s’exprime, surtout dans les régions du Centre-ouest toujours marginalisées, plombées par le chômage massif des jeunes diplômés. La contestation se cristallise d’ailleurs dans les zones qui s’étaient soulevées les premières en 2011. Des affrontements ont éclaté à Feriana, Thala, Sbeïtla. À Sidi Bouzid, épicentre du soulèvement de 2011, les protestataires, au terme d’une marche pacifique, ont bloqué les routes en érigeant des barrages de pierres et de pneus. À Kasserine, des tirs de gaz lacrymogène répondaient aux incendies de pneus et aux jets de pierres. Tunis n’a pas été épargnée par les violences. Des heurts ont éclaté dans le quartier déshérité d’Ettadhamen, tandis que les jeunes militants du mouvement Fech Nestannew (Qu’est-ce qu’on attend ?), rassemblés sur l’avenue Habib-Bourguiba, aux abords du ministère de l’Intérieur, pour exiger l’annulation de l’augmentation des prix, ont été dispersés sans ménagement. Ils réclamaient la libération de leurs camarades interpellés, d’après eux, pour avoir distribué des tracts appelant à manifester et tracé des graffitis dénonçant les mesures d’austérité. À l’échelle du pays, plusieurs dizaines de personnes ont été interpellées, onze policiers ont été blessés et plusieurs édifices publics ont été endommagés.
Le climat politique aussi se tend à l’approche des élections municipales du 6 mai
À la tête d’un chancelant « gouvernement d’union nationale », sous étroite surveillance du FMI qui attend les contreparties des 2,9 milliards de dollars de la troisième tranche de prêt débloquée l’an dernier, le premier ministre Youssef Chahed a eu des mots très durs contre les protestataires. « Nous n’avons pas vu des protestations mais des gens qui cassent, volent et agressent les Tunisiens, a-t-il accusé, hier, sur les ondes de Mosaïque FM. Nous disons aux casseurs et à ceux qui les incitent que, pour le gouvernement, la seule solution est d’appliquer la loi. Le gouvernement est prêt à écouter, mais chaque personne voulant manifester doit le faire de manière pacifique. »
Ce ton martial confirme que le climat politique aussi se tend à l’approche des échéances municipales du 6 mai, les premières depuis 2011, maintes fois repoussées. Un test décisif pour le parti présidentiel, Nidaa Tounes, accusé de complaisance avec les milieux affairistes et les anciens réseaux de l’ère Ben Ali. L’opposition, elle, maintient la pression contre un budget qui présente la facture de l’austérité aux classes moyennes et aux Tunisiens les plus modestes. « Nous resterons dans la rue et nous allons manifester encore plus fort jusqu’à ce que cette loi de finances injuste soit retirée », a prévenu hier le porte-parole du Front populaire, Hamma Hammami.
Le 17 décembre 2017, alors que Sidi Bouzid commémorait la mort de Mohamed Bouazizi, à l’origine, en 2011, de l’embrasement de la Tunisie, puis du monde arabe, toute une jeunesse laminée par l’exclusion sociale se faisait bruyamment entendre jusque dans les cérémonies officielles. Ses revendications tiennent en un mot : travail. « Pour nous, rien ne change, c’est toujours la souffrance, on ne nous écoute pas. C’est pire, même, avec la hausse du chômage. Sans argent, ni piston, nous n’avons aucune chance de décrocher un emploi. Le train de la vie est parti sans nous », résumait Insaf Aslam, une trentenaire reçue à un concours de la fonction publique mais privée d’affectation. Du côté des autorités, on insiste sur les (maigres) investissements promis aux régions marginalisées, sur les infrastructures qui doivent voir le jour, comme l’autoroute du Sud-Ouest. « Les gens de ces régions en ont assez des promesses jamais tenues de ce gouvernement qui refuse tout dialogue direct avec la jeunesse, remarquait Noureddine Tabboubi, le secrétaire général de la centrale syndicale UGTT. Les ministres défilent, promettent, repartent et jamais rien n’est réalisé. La colère, ici, est attisée par sept ans de promesses non tenues. » Faute d’alternative au mirage libéral des années Ben Ali, la démocratie restera un vain mot pour les chômeurs diplômés de Sidi Bouzid, Kasserine et Gafsa.
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