L’agriculteur a été arrêté pour la neuvième fois, jeudi, et retenu 26 heures. Un coup monté.
Après la diatribe anti-solidaires du président Macron, mardi dernier, à Calais, les intimidations policières à l’encontre de ceux qui tendent la main aux réfugiés, dans les Alpes-Maritimes, continuent de plus belle. Cédric Herrou, paysan emblématique de la bataille pour la défense des droits des réfugiés à la frontière franco-italienne, en a fait, une fois encore, les frais ce jeudi 18 décembre. L’agriculteur s’est fait arrêter au péage de La Turbie, sur l’autoroute A10, alors qu’il se rendait à Nice pour livrer les produits de son exploitation à quelques commerçants. Il a été placé en rétention pendant 26 heures pour avoir contrevenu au contrôle judiciaire lui interdisant de se rendre en Italie.
La justice n’est pas tombée dans le panneau et a finalement ordonné la libération du paysan
Pour se rendre à Nice, Cédric Herrou doit, depuis cet été, suite à son interpellation, à Cannes, en compagnie de 156 demandeurs d’asile, suivre les routes sinueuses de l’arrière-pays. Mais les intempéries de ces derniers temps avaient rendu la route impraticable. Seule solution pour faire ses livraisons d’œufs extrafrais et de tapenade : descendre la vallée de la Roya jusqu’à Vintimille pour prendre l’autoroute. En chemin, l’agriculteur est d’abord suivi de près par une voiture de police italienne. Arrivé au péage, il remarque la présence de policiers en civil et d’une voiture banalisée d’où on le filme. « Je me suis tout de suite dit que cette livraison allait mal tourner », avoue le citoyen solidaire, sans se cacher d’avoir eu peur de finir, cette fois-ci, en prison. Quelques kilomètres après Menton, pas moins de dix policiers lui sont tombés dessus, le faisant sortir de son véhicule, le plaquant contre un camion et lui passant les menottes dans le dos.
« On a tendu un piège à mon client, s’insurge Zia Oloumi, l’avocat de Cédric Herrou. Il avait fait parvenir un fax à la préfecture pour prévenir qu’il était obligé de suivre cette route suite aux éboulements de la semaine dernière et avait déjà eu affaire aux gendarmes mobiles la semaine précédente. » Mais les policiers ont omis d’en informer la juge d’instruction qui a reçu Cédric le lendemain de son arrestation. « Ils ont également adapté leur déposition à la mienne pour me coincer, déclare l’agriculteur. Leurs déclarations ont changé pendant la nuit de mon placement en rétention. » La justice n’est heureusement pas tombée dans le panneau et a finalement ordonné la libération du paysan. Depuis le 5 décembre, ce dernier attend une réponse à sa demande de nullité dans la procédure qui a ouvert la voie à ce contrôle judiciaire.
2017 vue par Cédric Herrou, citoyen de la vallée de la Roya solidaire des migrants.
« Au cours de l’année, mon domicile est devenu une terre d’asile, “la terre de l’homme fou qui aide sans réfléchir”, disait Ousman, venu du Tchad. Seulement trois hectares de terre protégeant des hommes et des femmes poussés par la volonté de vivre. Un “camp” pour certains, une utopie pour d’autres. Le préfet n’est pas la justice, seule la justice peut entrer en propriété privée. Ici les Noirs pourchassés devenaient des hommes ayant des droits, et le préfet n’en voulait pas.
Cette terre de paix s’est transformée au fil des mois en camp retranché. Ce refuge s’est vu encerclé par les forces armées de l’État français. Jour et nuit, ils étaient des dizaines d’hommes à se relayer pour épier, surveiller, traquer. Sur les routes, les hommes armés ont encerclé le havre de paix, empêchant femmes, hommes et enfants d’accéder aux droits fondamentaux de notre République. L’État est devenu la terreur des faibles. Ici ce n’est plus la France. Ici c’est le Soudan, l’Érythrée, le Tchad, la Somalie, ici, c’est la Libye.
Ça fait peur parfois, surtout la nuit, quand on entend la porte grincer. C’est la nuit qu’on imagine le pire, les rêves font resurgir les émotions de la journée. Les pas du chat noir sur le parquet deviennent des pas de gros gaillards aux crânes rasés. Le bruit du vent dans les arbres devient une perquisition musclée. Le glapissement enroué du renard se transforme en hurlements d’une jeune femme perdue dans la forêt.
Nous étions comme des marins sur un bateau se battant contre le vent violent. Le bateau gîtait à la limite de dessaler : vus du bateau nous avancions, vus de la terre nous reculions. Les courants nous trompaient. Deux mondes se battaient, le nôtre, sans arme ni violence, et celui orchestré par le préfet. Mais quand on n’a pas d’armes, on utilise ce qu’on a de plus fort en soi, le bon sens, l’amour et la fraternité.
Briser le bateau d’un marin ne le tue pas, mais lui donne la rage. Pas la rage à laquelle vous pensez, celle qui rend le monde aigri, mais celle qui fait qu’on se sent en vie, celle qui donne envie de se battre pour l’amour de naviguer où bon nous semble.
En début d’année, ma volonté était que l’État prenne le relais, qu’il était de son devoir de protéger toute personne en danger. Puis les morts à la frontière franco-italienne se sont banalisées, la police et la justice sont devenues les bras armés d’une politique dérivante et discriminante. Le pas a été franchi, je ne pourrai plus rien attendre de cet État, mais je garde confiance en vous, acteurs de notre société. Que l’année 2018 soit l’année de convergence des luttes, pour que la France redevienne celle des droits des femmes et des hommes, pour que la politique redevienne au service du peuple. Ne nous décourageons pas, la lutte restera belle tant que nous aurons confiance en elle. »
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