
Jadis, les bourgeois avaient leurs pauvres. Ils leur versaient une pièce au sortir de la messe afin de se racheter une conscience. Ils se préparaient un futur paradisiaque par cette offrande destinée aussi au regard inquisiteur de Dieu. Aujourd'hui, pour qu'un riche se regarde dans la glace sans être tenté de l'essuyer, comme disait Jules Renard, il doit annoncer urbi et orbi qu'il va utiliser une partie de ses deniers en investissant dans une cause louable.
C'est ce qu'a fait Muriel Pénicaud afin d'endiguer le malaise né des conséquences de la suppression de l'impôt sur la fortune (ISF) sur son patrimoine personnel. Grâce à cette miraculeuse décision, la ministre du Travail va économiser 62 000 € par an, preuve que l'on n'est jamais si bien servi que par soi-même et que le Père Noël a aussi ses favoris. Interrogée sur le délicat sujet lors d'un passage sur les ondes de France Inter, Muriel Pénicaud a donc rétorqué qu'elle allait verser la somme susdite « dans un fonds qui soutient l'économie sociale et solidaire ».
Les mots magiques sont lâchés. La morale est sauve. Tout est bien qui finit bien, même si l'on sent la décision prise en catastrophe, afin d'échapper au scandale. Par parenthèse, si la ministre voulait vraiment apporter son écot à la cause humanitaire, il y a longtemps qu'elle aurait pu le faire puisqu'elle dispose d'un patrimoine de 7,5 millions d'euros (excusez du peu) en assurance vie, placement typique de ceux qui aiment s'enrichir en dormant.
Mais on ne va pas épiloguer sur le cas Pénicaud. Cependant, son exemple illustre plus que de longs discours l'injustice fondamentale de la politique suivie par Emmanuel Macron. Pour amuser le bon peuple, on parle de nouveau monde, de réformes, d'efforts partagés, j'en passe et des meilleures. A l'arrivée, on se retrouve avec une batterie de mesures marquées du sceau de l'iniquité, la plus emblématique d'entre elles étant l'enterrement de l'ISF, décidé alors que l'on verse des larmes de crocodile sur l'endettement du pays, le manque de moyens de l'Etat et le « coût du travail ».
Amélie de Montchalin, coordinatrice du groupe LREM à la commission des Finances de l'Assemblée nationale, et que l'on dit promise à un grand avenir, a poussé ce cri de victoire dans Libération : « Nous avons fait notre boulot de député, il n'y a plus d'ISF. » Curieuse conception de la fonction d'élu du peuple que de brûler un cierge pour fêter l'avènement d'un nouveau privilège, quand bien même le président de la République avait-il annoncé la couleur. Si la députée Montchalin se réclamait de la droite, qui rêvait depuis longtemps de contre-révolution fiscale sans jamais oser franchir le Rubicon, cela pourrait se comprendre. Mais comment justifier un tel archaïsme quand on se veut moderniste ?
La députée LREM a une réponse toute trouvée, celle que l'on ressasse durant les universités d'été du Medef, celle que l'on béatifie au sommet de Davos (où Emmanuel Macron sera présent cette année), celle que l'on entend dans la bouche des commentateurs bien en cour : aider les riches, c'est aider le pays, car ils vont investir dans l'industrie ou dans les services. Comme le dit Benjamin Griveaux, ci-devant porte-parole du gouvernement : « Ce gouvernement ne fait pas de cadeaux aux riches : il permet de mettre de l'argent dans des entreprises pour y créer des emplois. » C'est la fameuse théorie du « ruissellement », selon laquelle les petits ruisseaux des privilèges font les grandes rivières de l'opulence collective.
Seulement voilà : ce raisonnement relève au mieux de la fausse information ( pardon : de la fake news) et au pis du complotisme idéologique entretenu par les suprémacistes du marché. S'il suffisait de rendre les riches plus riches pour que les pauvres le soient moins, cela se saurait.
Avec le CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi), le crédit d'impôt recherche et quelques autres joyeusetés, la France a mis au point une machine infernale qui consiste à piocher dans les caisses publiques pour remplir celle des oligarques, avec à la clé la promesse de relancer la croissance et de créer des emplois comme le Christ multipliait les petits pains. Résultat : alors que les taux
LA CASTE DU CAC 40 EXHIBE DES PROFITS AU BEAU FIXE, ET LA FRANCE DETIENT LE RECORD D'EUROPE DES DIVIDENDES VERSÉS.
d'intérêt sont nuls et le prix de l'énergie au plus bas, la reprise demeure faiblarde et le chômage, massif. En revanche, la caste du CAC 40 exhibe des profits au beau fixe, et la France détient le record d'Europe des dividendes versés, ce qui valide la définition de l'actionnaire naguère proposée par Robert Sabatier : « Un homme bénéficiant de l'action des autres ».
Après une telle expérience, persister à dire qu'il suffit d'enrichir les riches pour enrichir le pays relève de l'acharnement idéologique. C'est le niveau zéro de la pensée économique, à peine au-dessus d'un tweet de Donald Trump. Que des personnes aveuglées par un postulat de classe s'y rallient, passe encore. Que des esprits se réclamant du combat émancipateur ne s'en émeuvent pas davantage et vénèrent Emmanuel Macron alors même qu'il fait reculer un principe clé de l'idéal républicain, voilà qui est moins compréhensible. Albert Camus était plus lucide quand il affirmait : « II n'y a ni justice ni liberté lorsque l'argent est toujours roi. »
Jack Dion (Journal Marianne)
commenter cet article …