Députés et représentants politiques des mouvements kurdes se mobilisent en Europe pour dénoncer les bombardements ordonnés par Erdogan contre la ville d’Afrin en Syrie. Ils ont manifesté mardi à Strasbourg pour réclamer le soutien du Conseil de l’Europe.
Le Conseil de l’Europe à Strasbourg est depuis le début de la semaine le point de convergence de nombreux élus et représentants politiques Kurdes qui profitent de la session d’hiver de l’assemblée parlementaire ( qui réunit des députés de 48 pays d’Europe, dont la Turquie ), pour venir expliquer les conséquence des attaques menées depuis samedi par la Turquie contre le canton et la ville d’Efrin située en Syrie, et placée sous administration kurde. La tension est sensible, à l’intérieur même des bâtiments du Conseil, entre les élus et les diplomates turcs soutenant l’action militaire lancée par Erdogan, et les députés et les représentants kurdes qui dénoncent l’agression contre les civils, et soutiennent la résistance des combattants kurdes face à l’agression de la Turquie.
Dès samedi, les bombardements de l’aviation turque se sont accompagnés au sol d’une offensive du groupe djihadiste Hayet Al-Tahir ( ex-Font Al-Nosra, ex-Al-Qaïda ), allié d’Erdogan dans cette offensive menée contre une ville qui avait jusqu’à présent été épargnée par les combats de la guerre en Syrie. Selon plusieurs sources, il y aurait déjà plusieurs dizaines de morts, dont de nombreux civils. Erdogan vient de transformer la guerre contre Daesh en une guerre faite à ceux qui ont permis au Moyen-Orient de se débarrasser de Daesh.
Cette situation ubuesque n’a pas l’air pour l’instant de bouleverser la communauté internationale, Europe en tête, au delà des propos de circonstance : les Etats-Unis ont appelé la Turquie à « faire preuve de retenue », Emmanuel Macron a fait part à Erdogan de sa « préoccupation. » On ne saurait être plus aimable.
En attendant, sur place, les bombardements continuent.
« On a peur tous les jours. »
Hassan est originaire d’un village proche d’Afrin, situé à la frontière avec la Turquie. Aujourd’hui installé en Allemagne, il est venu mardi à Strasbourg participer à la manifestation, pour demander au Conseil de l’Europe de réagir contre l’agression turque contre Afrin. En contact régulier avec ses trois sœurs et ses parents restés au village, il témoigne : « Les gens de ma famille m’expliquent qu’ils ont peur tous les jours, les enfants notamment sont très affectés. Ils me disent que les miliciens kurdes des YPG ( Unités de protection du peuple, ndlr ) les protègent, mais contre les bombardements de l’aviation, ils n’ont pas de solution. » Selon Hassan, ces bombardements n’empêcheront cependant pas les habitants d’Afrin et des villages voisins, de rester sur place. « On sait ce qu’on a vécu à Kobané ( 1 ), on risque de vivre la même chose à Afrin, mais on ne veut pas quitter notre terre, c’est là qu’on veut vivre en liberté, » affirme-t-il.
Un choix confirmé par une autre manifestante, Nazife Muhammed, qui habite depuis 2 ans en France, et qui elle aussi est en contact avec sa famille à Afrin. « Ce qui domine quand je les ai au téléphone, » explique-t-elle, « c’est effectivement la peur, mais malgré cela, ils vont rester sur place, ils veulent lutter car ils ne peuvent pas se résoudre à laisser faire Erdogan, qu’ils traitent de fasciste. »
Feleknas Uca, est une élue kurde turco-allemande. Elle a été députée européenne, membre de « Die Linke ». Elle est aujourd’hui députée du HDP de la ville de Diyarbakir à l’assemblée nationale de Turquie. C’est aussi une ancienne membre de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Elle explique : « selon nos dernières informations, ce sont les civils qui sont visés et tués. C’est triste à dire, mais ça ressemble à ce qui s’est déjà passé à Kobané, je suis vraiment inquiète de voir que les Turcs font la même chose. Ce qu’ils veulent, c’est d’abord faire peur, installer la terreur à Afrin et dans les villages, pour ensuite faire partir la population. On insiste vraiment pour que cette opération cesse, sinon on ne sait pas jusqu’où ils vont aller.»
Pour Hassan également, ce sont bien les civils qui sont d’abord la cible de l’aviation turque. « J’insiste là-dessus », explique-t-il, « les Turcs disent qu’ils veulent s’en prendre aux milices armées, mais ce ne sont pas les YPG qui sont visés par les bombardements, ce sont les habitants. Et il n’y a pas que des Kurdes qui habitent à Afrin, c’est une ville très cosmopolite. Il y a des Arabes, des Syriens, des Arméniens, et différentes religions s’y côtoient. Beaucoup de gens sont venus se réfugier dans la région d’Afrin suite aux guerres qui ensanglantent le Moyen-Orient depuis des années. Ce qu’ils recherchent, c’est la protection des Kurdes, et ce qu’ils veulent, c’est simplement vivre en liberté. »
La députée de Dyarbakir Feleknas Uce, qui est elle-même Kurde yézidie, le confirme : la population d’Afrin et de ses environs est une mosaïque de communautés, de langues et de religions différentes : « on parle d’Afrin et des Kurdes mais ce n’est pas qu’une communauté qui est visée. Il y a des Yézidis comme moi, mais aussi des Alevis et d’autres minorités ethniques. On ne veut pas qu’on connaisse encore une fois un massacre comme celui qui a été commis contre la population yézidie à Sinjar en août 2014 ( 2 ).»
Et elle ajoute : « Les Kurdes d’aujourd’hui ne sont pas les Kurdes d’il y a un siècle. Oui nous avons subi beaucoup de massacres et de génocides dans notre histoire. On peut dire que c’est la première fois malgré toute la répression, que les Kurdes sont autant unifiés pour défendre leurs territoires. On sait qui sont nos amis et qui sont nos ennemis, ceux qui font des calculs sur notre dos pour avancer leurs propres intérêts, on le sait, mais ce qu’on veut c’est qu’ils défendent les valeurs fondamentales de l’humanité. Ils ne doivent pas se taire face à une telle injustice, La Turquie n’a rien à faire à Afrin, il n’y a pas de Daesh à Afrin, c’est juste un système démocratique que les Kurdes ont organisé, c’est ça qui est visé, pas autre chose. »
Briser le mur du silence
Quand on demande aux Kurdes sur qui ils peuvent compter pour tenter de stopper l’agression de la Turquie contre Afrin, ils répondent invariablement : d’abord, sur nous-mêmes. Car, nul n’est dupe : si Erdogan a pu déclencher son attaque contre Afrin, alors que l’espace aérien de ce territoire syrien est sous le contrôle de la Russie, c’est que Moscou a donné son aval. Pourtant, selon Fayik Yagizay, le représentant du HDP auprès des institutions européennes, la Russie, pas plus que les Etats-Unis, ne peuvent être complètement d’accord avec l’invasion du nord de la Syrie par les Turcs. « Bien sûr, » explique-t-il, « on ne peut pas faire confiance aux grandes puissances, elles agissent toujours en fonction de leurs intérêts. Mais ni Les Russes, ni les Américains n’ont envie de perdre le contact avec les Kurdes. On ne pense pas qu’ils ont envie d’abandonner complètement les Kurdes, ils représentent une force de stabilité dans la région. »
Le représentant du HDP pense plutôt que les Russes ont donné leur accord à la Turquie pour un temps limité, « pas pour détruire complètement Afrin , » estime-t-il, ajoutant : « nous ne pensons pas que ça va durer très longtemps.
L’Europe, dans cette agression menée par un pays membre du Conseil de l’Europe, et censé à ce titre en partager les valeurs, aura encore une fois, brillé par son silence. L’attaque contre Afrin a pourtant permis au régime d’Erdogan de donner quelques tours de vis supplémentaires dans les droits démocratiques et la liberté d’expression.
« En Turquie actuellement, » explique Feleknas Uca, « rien que le fait de prononcer le mot « Afrin », ou de l’écrire dans un article, suffit à vous faire arrêter. La seule propagande acceptée, c’est celle qui dit que l’on va tuer les miliciens kurdes. Erdogan l’a dit : il va tout faire pour faire taire tout le monde, surtout le HDP. L’Europe doit prendre une position claire. »
Ertogrul Kürkçü, est également député du HDP, membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et militant de la cause Kurde depuis plus de 50 ans. Il déplore lui aussi la « neutralité » de l’Europe qui reste silencieuse face aux menées militaires d’Erdogan. Mais selon lui, non seulement l’Europe n’est pas vraiment unifiée et il faut faire la différence entre les gouvernements et les forces vives de chaque pays. « Il y a des intellectuels, des syndicats, des associations qui ont des positions très correctes sur la situation. Les gouvernements eux, n’arrêtent pas de faire des erreurs, mais heureusement les peuples européens contrebalancent ces erreurs en soutenant les Kurdes d’Afrin et du Rojava. Je fais la distinction, » explique-t-il.
« Il faut se souvenir, » ajoute Feleknas Uca, « c’était hier, les jeunes Kurdes contre les djihadistes. Ils se sont battus, ils ont sacrifié leur vie pour les valeurs qui sont celles défendues par l’Europe. Maintenant, on ferme les yeux sur ces gens qui ont défendu nos valeurs. Il y aura une responsabilité de l’Europe s’il y a un massacre à Afrin. Cette escalade ne peut pas amener de bonnes choses pour l’Europe. Il faut agir aujourd’hui, pas demain. » Et elle ajoute : « Nous sommes la force principale actuellement pour défendre les valeurs démocratiques au Moyen Orient. Ceux qui défendent la stabilité, la paix, les valeurs démocratiques doivent être avec nous. »
( 1 ) En juillet 2014, les djihadistes de l’Etat islamique ont lancé une offensive contre la ville kurde de Kobané, située dans le nord de la Syrie, près de frontière avec la Turquie. Défendue par les combattants kurdes des YPG et du PKK, Kobané a été occupée en partie par les djihadistes, avant d’être finalement libérée par les groupes kurdes avec le soutien des forces aériennes de la coalition. Cette bataille qui a duré jusqu’en juin 2015, a fait plusieurs milliers de morts, et plusieurs centaines de civils ont été massacrés par Daesh. Kobané est aujourd’hui le symbole de la résistance kurde. La ville a été déclarée « ville martyr. »
( 2 ) Le 3 août 2014, à la suite de la prise de la ville de Sinjar, dans le nord-ouest de l’Irak, les djihadistes de l’EI ont massacré plus de 500 Yézidis, dont des femmes et des enfants, et en ont réduit plusieurs milliers d’autres, spécialement les femmes, en esclavage. Les Nations Unies ont qualifié ces actes barbares de « tentative de génocide. »
Le PCF appelle la France à agir de manière résolue contre l'agression du peuple kurde par le régime d'Erdogan
Les récents évènements placent à nouveau le Kurdistan au cœur de l’actualité.
L’agression criminelle de la Turquie contre le canton d’Êfrin (nord de la Syrie) vise sans ambiguïté à éliminer les combattants kurdes qui, avec la coalition internationale, ont infligé une déroute à Daesh et mis en place des institutions démocratiques qui promeuvent le progrès social, le féminisme, l’écologie et la paix. La Turquie ouvre ainsi un nouveau chapitre meurtrier de la guerre en Syrie, lourd de conséquence pour tout le Moyen-Orient.
Parallèlement, R.T. Erdogan poursuit la polarisation, la fragmentation et la radicalisation de la Turquie. Exerçant un pouvoir dictatorial sans partage, il interdit toute forme de dissensus politique et qualifie de « traîtres » ou de « terroristes » tous les démocrates s’opposant à lui. La guerre contre les Kurdes a été relancée provoquant la destruction de villes, la mort de centaines de personnes et l’exode de 500 000 d’entre eux. La force de résistance demeure le HDP (Parti Démocratique des Peuples). L’Assemblée de Turquie a levé l’immunité parlementaire des députés HDP dont 18 ont été incarcérés et risquent des peines extrêmement lourdes de prison. 86 de leurs maires sont destitués et emprisonnés à côté de 5 000 cadres de leur organisation. Dans des conditions très difficiles, le HDP devrait tenir son congrès le 11 février 2018. Notre parti y sera représenté.
Enfin, après l’assassinat des trois militantes kurdes à Paris en 2013, le procès qui devait se tenir n’aura pas lieu en raison du décès du présumé coupable. Comme l’ont montré l’instruction et des révélations récentes, l’implication des services secrets et de l’État turc est avérée. La France se doit de poursuivre dans la voie judiciaire afin de traduire les commanditaires devant les tribunaux. Parallèlement, le Tribunal permanent des Peuples tiendra en mars 2018 deux audiences à Paris afin de juger les crimes de la Turquie au Kurdistan.
Le peuple kurde connaît une période de versatilité meurtrière et un environnement brutalisé qui hypothèquent les acquis de ces dernières années. Le PCF entretient des liens d’amitié et de solidarité avec les Kurdes depuis de nombreuses années.
Afrin : Toute intervention militaire turque ouvrirait un nouveau chapitre de la guerre en Syrie (PCF)
L'enclave kurde d'Afrin en Syrie est en danger. Les forces turques bombardent depuis plusieurs jours maintenant ce territoire et une invasion est imminente. Le président turc, R.T.
Erdogan, de plus en plus isolé sur la scène internationale, a juré la perte de l'expérience démocratique kurde du nord de la Syrie (Rojava) dont les combattants ont été au premier rang dans la lutte contre l'organisation de l'Etat islamique. R.T. Erdogan, après avoir soutenu les groupes djihadistes, menace de semer à nouveau la violence dans une Syrie déjà meurtrie.
La France qui recevait, voici quelques jours, le président turc, l'Union européenne, mais aussi les pays engagés dans la coalition, les Nations unies doivent, dans l'urgence, peser de tout leur poids pour dissuader la Turquie de poursuivre dans cette voie qui ne ferait qu'ouvrir un chapitre supplémentaire à la guerre qui déchire la Syrie.
Le Parti communiste français (PCF) en appelle au président de la République, Emmanuel Macron, et à toutes les forces démocratiques, pour s'élever contre cette nouvelle agression turque contre le peuple kurde et l'intégrité territoriale de la Syrie.
Parti communiste français
Paris, le 19 janvier 2018
AFRIN : STOPPONS L’AGRESSION CRIMINELLE DE LA TURQUIE
La Turquie vient de lancer une sauvage agression dans le canton d’Afrin (Syrie) peuplé de Kurdes, d’Assyro-Chaldéens et d’Arabes. Les tirs d’artillerie, les bombardements de l’aviation ont ce dimanche 21 janvier 2018 fait 8 morts parmi les civils et de nombreux blessés. L’offensive s’est concentrée sur la ville d’Afrin, des villages environnants et un camp de réfugiés. Les forces turques présentent au sol encadrent plus d’un millier de djihadistes issus d’Al Nosra ou d’Al Qaïda.
La Turquie tente par tous les moyens d’instaurer la terreur contre un peuple qui n’a jamais constitué le moindre danger pour Ankara si ce n’est de tenter de bâtir une société démocratique et pacifique.
Cette invasion ouvre un nouveau chapitre de la guerre en Syrie alors que la lutte contre l’État Islamique semblait arriver à son terme. Les Kurdes ont joué, aux côtés de la coalition, un rôle déterminant dans l’éradication de la barbarie obscurantiste. La Turquie sème le chaos dans une Syrie déjà meurtrie par 7 années de guerre et viole la souveraineté d’un État souverain.
Le Parti Communiste Français condamne cette agression, appelle à la mobilisation et à l’union de toutes les forces démocratiques afin d’exprimer notre solidarité avec les populations d’Afrin.
À la demande de la France, le Conseil de Sécurité des Nations Unies se réunira en urgence le 22 janvier 2018. La France, l’Union Européenne, les membres de la coalition doivent condamner l’invasion turque, exiger l’arrêt des combats et le retrait immédiat des forces d’occupation.
Comme pour le Kurdistan Irakien, le nord de la Syrie doit être placé sous protection des Nations Unies, seul moyen d’assurer la sécurité des populations civiles.
Parti Communiste Français
21 janvier 2018
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