Enregistré au terme d’une nuit de débauche à Tel Aviv en 2015, Yaïr, le fils du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, affirme que son père aurait intercédé pour qu’un homme d’affaires empoche plus de 16 milliards d’euros dans le cadre d’un accord gazier.
Jérusalem, de notre correspondante.– L’origine de l’enregistrement reste inconnue, mais la chaîne Arutz 2, qui l’a dévoilé lundi, assure qu’il a été diffusé légalement. La scène se déroule un vendredi soir de l’été 2015. Yaïr Netanyahou, 24 ans à l'époque, fils aîné du premier ministre israélien, se trouve dans une voiture en compagnie de deux amis. Il y a Ori Maïmon, fils de l’homme d’affaires israélien Kobi Maïmon. Et Roman Abramov, que les médias israéliens soupçonnent d’avoir été embauché indûment par le milliardaire australien James Parker, proche de Benjamin Netanyahou.
Les trois amis viennent de sortir d’un club de strip-tease du centre de Tel Aviv. Visiblement éméchés, ils plaisantent sur leur nuit de débauche et les sommes qu’ils ont dépensées. Ori Maïmon se vante notamment d’avoir payé une addition de 2 400 shekels, soit près de 600 euros. Soudain, la conversation prend un tour politique. « Mon père a fait gagner 20 milliards de dollars [plus de 16 milliards d’euros – ndlr] au tien, tu peux bien me donner 400 shekels [environ 100 euros] », lance Yaïr Netanyahou à Ori Maïmon.« Mon frère, tu dois le reconnaître : mon père a beaucoup fait pour le tien, il s'est battu à la Knesset [le Parlement israélien] pour ça. »
Le fils du premier ministre fait clairement référence à l’accord approuvé en août 2015 par le gouvernement Netanyahou pour l’exploitation des champs gaziers découverts en Méditerranée. Le père d’Ori, Kobi Maïmon, est un des principaux actionnaires de Isramco, l’une des compagnies qui possèdent les champs gaziers offshore de Tamar, au large d’Israël.
Controversé, l’accord en question a été retardé de nombreux mois en raison de l’opposition de la commission israélienne antitrust et du ministre de l’économie de l’époque, Aryé Deri. Ce dernier avait refusé de recourir à une dispense spéciale prévue par la loi israélienne pour autoriser un monopole à opérer dans le pays, par exemple pour des questions de sécurité. Pour forcer la conclusion de l’accord, Benjamin Netanyahou avait finalement organisé et obtenu un vote au Parlement israélien début septembre 2015.
Au cours de l’enregistrement, Yaïr Netanyahou et ses deux amis s’inquiètent du caractère explosif de leur conversation et du fait qu’elle puisse être rendue publique. « Si cela sort, ce sera l’enfer », prévient Ori Maïmon. Détail important, ce soir-là, Yaïr Netanyahou et ses deux comparses ne sont pas seuls. Le fils du premier ministre est en effet accompagné d’un chauffeur et d’un agent de sécurité payés par l’État israélien. Les trois amis commencent alors à menacer le garde du corps sur le ton de la rigolade. « S’il est viré, nous serons obligés de le tuer », lance Roman Abramov. « Fais attention si tu démissionnes, mon frère, tu pourrais mourir », le mettent-ils en garde.
Au-delà du fond politique de l’affaire, la bande-son présente une image désastreuse du fils du premier ministre israélien. Tout au long de la conversation, Yaïr Netanyahou tient des propos dégradants au sujet des femmes et notamment de son ex-petite amie, dont le nom a été supprimé de l’enregistrement pour préserver sa vie privée.
À un moment, il affirme que les 400 shekels évoqués plus tôt avec Ori Maïmon étaient destinés « à une prostituée ». Il suggère également qu’il va « arranger » un rendez-vous pour ses amis avec une strip-teaseuse dont il a pris le numéro de téléphone. Selon Arutz 2, la mère de Netanyahou, Sara, aurait essayé de l’appeler au cours de la soirée.« Ma mère appelle… Quelle blague », aurait-il dit.
Quelques heures après la diffusion de l’enregistrement, Yaïr Netanyahou, aujourd’hui âgé de 26 ans, a présenté ses excuses dans un communiqué. « Lors d'une conversation nocturne, sous l'influence de l'alcool, j'ai dit des choses ridicules au sujet des femmes et d'autres choses idiotes qu'il valait mieux ne pas dire, écrit-il. Je m'excuse si quelqu'un a été blessé par mes mots. » Au sujet de l’accord gazier approuvé par le gouvernement israélien, le fils du premier ministre prétend qu’il « s’agissait d’une blague » et que« n’importe qui doué d’un peu de bon sens s’en rend tout de suite compte ».
Un peu plus tôt, un représentant de la famille Netanyahou avait également publié un communiqué pour dénoncer la manière « honteuse et illégale » dont avait été obtenu l’enregistrement et nier la véracité des propos tenus par Yaïr Netanyahou sur son père.« Le premier ministre n'a aucun lien avec Kobi Maïmon, qu'il n'a rencontré qu'une seule fois, il y a dix ans. (…) Le premier ministre ne savait rien de la relation entre son fils Yaïr et le fils de Kobi Maïmon. Yaïr n'était aucunement impliqué dans l'affaire du gaz, et s'il parlait de l'affaire, il l'a évidemment fait en plaisantant. »
Sur Twitter, le chef de l’opposition travailliste, Avi Gabbay, s’est empressé de dénoncer une « nouvelle tache sur l’accord de gaz corrompu » conclu par le gouvernement Netanyahou.
La polémique enfle également autour du dispositif de sécurité déployé pour Yaïr Netanyahou lors de cette virée nocturne. Se gardant de commenter les déclarations du fils du premier ministre sur l’accord gazier, le bureau de Benjamin Netanyahou a affirmé que ce dernier n'était « pas consulté sur les conditions de la protection de ses enfants, décidées par les services de sécurité ».
Or jeudi dernier, Yoram Cohen, ancien chef du Shin Bet, le service de sécurité intérieur israélien, avait au contraire jugé sur une radio israélienne que, selon lui, les fils du premier ministre n’avaient pas besoin d’une protection permanente. Et qu’il avait tenté lorsqu’il était toujours en poste d’alléger le dispositif dont ils bénéficient, mais que cela n’avait « pas été accepté ».
Habitué aux frasques
Ce n’est pas la première fois que Yaïr Netanyahou fait parler de lui. Poursuivi pour calomnie à la suite d’un post publié sur son compte Facebook en août 2017, le fils du premier ministre est en effet au cœur d’une bataille judiciaire avec le think tank israélien de gauche Molad. En septembre dernier, le jeune homme avait par ailleurs fait scandale en publiant sur le réseau social un dessin empruntant aux codes de l’imagerie antisémite pour suggérer qu’une conspiration était à l’origine des problèmes judiciaires de sa famille.
Ce qui avait pu être classé jusqu’ici comme les frasques de jeunesse du fils du premier ministre se transforme aujourd’hui en véritable bombe politique. L’enregistrement dévoilé par Arutz 2 et les confidences choc qu’il contient, quelle que soit leur véracité, tombent en effet très mal pour Benjamin Netanyahou et son entourage, cernés par les affaires de corruption.
Pour mémoire, la justice israélienne a annoncé en septembre dernier l’inculpation de la femme de Netanyahou, Sara, pour avoir détourné à des fins personnelles 400 000 shekels de fonds publics, soit environ 100 000 euros, alloués à la résidence du premier ministre.
En dépit de ses dénégations, Benjamin Netanyahou fait lui-même l’objet de deux enquêtes distinctes pour avoir reçu des cadeaux « illicites » de la part de milliardaires et avoir tenté de monnayer une couverture favorable de sa personne dans les colonnes du journal d’opposition Yediot Aharonoth. D’après les médias israéliens, la police, qui tarde à rendre ses conclusions depuis plusieurs mois, pourrait recommander l’inculpation du premier ministre d’ici à la fin du mois de mars.
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