Comme le démontrent une nouvelle fois les révélations de l'enquête Paradise Papers, l'évasion fiscale a un poids économique plus important qu'on ne le pense. Elle ne consiste plus seulement à trouver des refuges pour de plus ou moins grandes fortunes fuyant le fisc de leur pays. Elle accompagne les flux financiers et commerciaux qui, profitant de la dérégulation, cherchent globalement à échapper à tout contrôle. Une part importante du commerce international, le tiers des flux financiers transnationaux, un tiers aussi des investissements directs étrangers des multinationales transitent désormais par ces centres financiers déterritorialisés. Quant aux fonds spéculatifs, les deux tiers d'entre eux y auraient une domiciliation.
Le montant global des sommes investies dans ces places financières par les particuliers et les entreprises est compris entre 17 000 et 32 000 milliards de dollars. Ces chiffres sont à comparer avec le montant de la dette publique mondiale, 50 000 milliards. La preuve est faite que, bien au-delà de l'évasion fiscale, cette finance de l'ombre constitue aujourd'hui un rouage essentiel d'une économie foncièrement spéculative.
Au niveau européen, la directive dite « épargne » de 2005 devait marquer une étape dans la lutte contre la fraude. L'esprit de la directive consistait à taxer à la source des revenus de l'épargne placés dans les pays européens pratiquant le secret bancaire : la Suisse, le Liechtenstein, la Belgique, l'Autriche et le Luxembourg. Mais la découverte, en 2008, de la gigantesque fraude organisée à partir du Liechtenstein a démontré la limite du dispositif. L'Union européenne dispose théoriquement de moyens de coercition puissants. Elle peut par exemple menacer un groupe bancaire de lui retirer sa licence. Mais tant que chaque pays restera tenté de jouer sa propre carte contre les intérêts collectifs comme le montrent les exemples irlandais, luxembourgeois et la place de la City de Londres, l'Europe ne sera pas crédible. Les pays négocient des conventions bilatérales d'échanges d'informations avec les paradis fiscaux. Mais ces conventions sont tellement peu satisfaisantes que l'on peut se demander si les listes détournées, qui ont permis la divulgation de milliers de noms, ne s'avèrent pas plus efficaces que l'échange d'informations interétatiques.
Le monde des affaires s'est de tout temps joué de la concurrence entre territoires. Il n'est pas prêt à y renoncer. En retour, nombre de pays ont estimé pouvoir jouer sur une attractivité artificielle de leur territoire, même si elle opère au détriment du pays voisin. C'est seulement à partir de l'analyse de l'imbrication de l'évasion fiscale et de la croissance des flux financiers dérégulés que l'on peut concevoir une contreoffensive.
Dès lors la priorité n'est sans doute pas de viser une fiscalité mondiale hors de portée et qui serait en tout état de cause à un niveau très bas. La clé réside dans le contrôle du système bancaire. Les peuples doivent reconquérir du pouvoir sur les monnaies et les banques. Commençons par engager la maîtrise collective et publique des principales institutions financières qui sont derrière les montages financiers illégaux. Cet objectif peut paraître trop ambitieux ? Organisons déjà la transparence sur les mouvements de capitaux, y compris par leur taxation sélective, et revendiquons la mise en oeuvre d'un cadastre financier mondial.
(*) Économiste et syndicaliste.
LA CLÉ RÉSIDE DANS LE CONTRÔLE DU SYSTÈME BANCAIRE. LES PEUPLES DOIVENT RECONQUÉRIR DU POUVOIR SUR LES MONNAIES ET LES BANQUES.