Entre le 20 octobre et 20 novembre 1947, la commission des Activités anti-américaines auditionne onze réalisateurs, scénaristes et producteurs d'Hollywood. L'accusation n'a qu'un seul but : prouver l'appartenance de ces hommes au Parti communiste américain et l'infiltration communiste dans les studios. Condamnés, emprisonnés, les Dix sont interdits de travail. L'Humanité publie des extraits des auditions, souvent musclées, de ces hommes qui signèrent les plus beaux films d'Hollywood...
Après la Cité sans voiles de Jules Dassin en 1948, le nom du scénariste Albert Maltz disparaît des génériques jusqu'en 1970, année de la sortie de Sierra torride de Don Siegle.
Audition d'Albert Maltz
M. MALTZ M. le président, j'aimerais avoir le privilège de faire une déclaration, s'il vous plaît.
LE PRÉSIDENT Avez-vous une déclaration préparée ?
M. MALTZ J'ai une déclaration préparée.
LE PRÉSIDENT Pouvons-nous la voir, s'il vous plaît ? (Après une pause.)
LE PRÉSIDENT M. Maltz, la commission vous permet à l'unanimité de lire la déclaration.
M. MALTZ Je vous remercie. Je suis un Américain etje crois qu'il n'y a pas de mot plus fier dans le vocabulaire d'un homme. Je suis romancier et scénariste et j'ai produit un corpus de travail au cours des quinze dernières années. Comme n'importe quel autre écrivain, ce que j'ai écrit vient du tissu total de ma vie ma naissance dans ce pays, nos écoles et nos jeux, notre atmosphère de liberté, notre tradition d'information, de critique, de discussion, de tolérance. Quoi que je sois, l'Amérique m'a fait. Et moi, à mon tour, je n'ai pas de loyauté plus grande que celle que j'ai envers ce pays, pour le bien-être économique et social de son peuple, pour la perpétuation et le développement de son mode de vie démocratique.
Maintenant, à l'âge de 39 ans, j'ai reçu l'ordre de comparaître devant la commission des Activités anti-américaines. (...) Qu'est-ce que cette commission veut détruire de moi ? Mes écrits ? (...) Voilà donc le travail pour lequel cette commission demande que je sois inscrit sur une liste noire dans l'industrie cinématographique et demain aussi, si la voie est ouverte, dans les domaines de la presse et de l'édition.
Par une censure froide, sinon par la législation, je ne dois pas être autorisé à écrire. Cette censure s'arrêtera-t-elle avec moi ? Ou avec d'autres désormais désignés pour cible ? S'il faut approuver les idées de cette commission pour se préserver de l'étiquette anti-américaine, alors qui est finalement à l'abri de cette commission à l'exception des membres du Ku Klux Klan ?
Pourquoi la commission cherche-t-elle maintenant à me détruire et à en détruire d'autres ? À cause de nos idées, incontestablement. En 1801, lorsqu'il était président des États-Unis, Thomas Jefferson écrivait : « L'opinion, et le juste maintien de celle-ci, ne sera jamais un crime selon moi ; elle ne portera jamais préjudice à l'individu. »
Mais il y a quelques années, au cours de l'une des audiences de cette commission, le député J. Parnell Thomas a dit, et je cite le compte rendu officiel : « Je veux juste dire ceci maintenant, qu'il semble que le New Deal travaille main dans la main avec le Parti communiste. Le New Deal est soit pour le Parti communiste, soit dans les mains du Parti communiste. »
Très bien, alors, voilà l'autre raison pour laquelle d'autres et moi-même sommes tenus de comparaître devant cette commission nos idées. Comme beaucoup d'Américains, j'ai soutenu le New Deal. Comme beaucoup d'Américains, j'ai soutenu le projet de loi anti-lynchage, les contrôles du service de l'administration des prix, les logements d'urgence pour les vétérans, la loi sur les pratiques d'emploi équitables. J'ai signé des pétitions pour ces mesures, j'ai adhéré à des organisations qui les ont défendues, qui ont contribué financièrement, qui ont parfois parlé à partir de plates-formes publiques, et je continuerai à le faire. Je prendrai ma philosophie chez Thomas Payne, Thomas Jefferson, Abraham Lincoln, et je ne me laisserai pas intimider ni donner des ordres par des hommes qui voient dans le Ku Klux Klan une institution américaine acceptable.
J'affirme en outre que, sur de nombreuses questions d'intérêt public, mes opinions en tant que citoyen n'ont pas toujours été en accord avec les opinions de la majorité. Elles ne le sont pas davantage aujourd'hui, mes opinions n'ont jamais été, non plus, fixes ni immuables ; bien ou mal, je réclame mon droit de penser librement et de parler librement, d'adhérer au Parti républicain, au Parti communiste, au Parti démocrate ou au parti de la Prohibition ; de publier ce que je veux ; de fixer mon esprit ou de changer d'avis, sans dictée de qui que ce soit ; de formuler toute critique qui, selon moi, convient à telle personnalité publique ou à telle politique ; de rejoindre toutes les organisations que je veux, quoi qu'en pensent certains législateurs. Je conteste surtout à cette commission le droit d'enquêter sur mes convictions politiques ou religieuses, de quelque manière que ce soit, et j'affirme que non seulement la conduite de cette commission, mais son existence même sont une subversion de la Déclaration des droits.
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