Les suicides de personnels hospitaliers s’additionnent dans les services de l’hôpital public. La semaine dernière, un neurochirurgien a mis fin à ses jours au CHU de Grenoble.
France Télécom, devenue Orange, a été la première entreprise du CAC 40 contrainte à s’expliquer devant un tribunal pour harcèlement moral. Entre 2008 et 2009, 35 salariés de l’entreprise s’étaient donné la mort. L’un d’eux avait laissé une lettre : « Je me suicide à cause de mon travail. C’est la seule cause. » Comme en écho, les suicides s’additionnent dans les hôpitaux soumis à des réorganisations express, aux sous-effectifs. Et au désengagement de l’État : 1,7 milliard « d’économies » sont inscrites au PLFSS 2018.
« Le suicide est un acte extrêmement complexe qui ne peut pas se réduire au travail. Je m’y refuse en tout cas. Ce que je peux dire, c’est qu’il y a beaucoup de souffrances autour de moi. Pour se préserver certains deviennent cyniques, d’autres se désengagent, explique le docteur Bruno Caron. Les plus investis font des burn-out. » Ce psychiatre est l’un des initiateurs d’une lettre à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, signée par plus de 800 praticiens hospitaliers de la région Rhône-Alpes. Ils dénoncent la « dégradation du service public hospitalier » et « les grandes difficultés rencontrées par les professionnels de santé, pour exercer leur métier, en raison de la politique de santé depuis plusieurs années et du management qui en découle ». Une cinquantaine de médecins hospitaliers du CHU de Grenoble sont signataires de cette lettre. Là, justement, où, la semaine dernière, un neurochirurgien a mis fin à ses jours dans le bureau jouxtant le bloc opératoire où il travaillait depuis 2013. Son service faisait l’objet d’une réorganisation depuis trois ans. Tout n’allait pas bien. « Des axes de progression ont été identifiés. Un plan d’action sera présenté à la fin du mois de novembre », nous a expliqué, dans un courriel laconique, Hélène Sabbah, la secrétaire générale de l’établissement. Le CHU se refuse par ailleurs à toute déclaration concernant le suicide du médecin, « par respect pour sa famille. Sa mère, en particulier », nous a-t-on précisé. Des difficultés personnelles sont évoquées par ses collègues. L’un d’eux s’interroge toutefois. « Se suicider sur son lieu de travail n’est pas anodin. Le bloc est emblématique de la souffrance de beaucoup d’entre nous (…). Nous avons l’impression que désormais l’argent prime sur tout. »
« La question financière a pris le pas sur l’objectif de santé »
À Toulouse, en 2016, cinq agents du CHU se sont donné la mort en 19 jours. Selon le rapport du cabinet d’experts Addhoc Conseil, mandaté par le CHSCT du CHU de Toulouse, présenté le 25 octobre dernier, trois facteurs ont pu concourir à ces drames. D’abord, l’impact des réorganisations, comme à Grenoble, le CHU de Toulouse avait été soumis à un plan de retour à l’équilibre financier pour éponger un déficit de 30 millions d’euros. « La question financière a pris le pas sur l’objectif de santé », indique le rapport. En second lieu, un nouvel outil de gestion des effectifs, ou plutôt des sous-effectifs, a été mis en place dans tous les services. Or, ce dernier non seulement n’intègre plus les congés maternité, mais confond les motifs d’absence. Ce qui génère des dysfonctionnements. À Grenoble, la direction comptabilise désormais le « temps de perdu », qui fait l’objet d’une fiche spécifique du « benchmark ». Les experts de Toulouse notent que « les services fonctionnent grâce au surinvestissement du personnel ». Et d’ajouter que « l’administration a pris le pas sur le soin et le médical, avec pour seul objectif le retour à l’équilibre financier ». Les experts demandaient un moratoire sur les réorganisations. « La direction leur a opposé un refus catégorique. Or, le développement de l’ambulatoire nous impose de faire en un jour ce que nous faisions en trois », déplore Julien Terrié, membre du CHSCT du CHU toulousain.
La souffrance au travail, réalité incontestable dans notre pays, peut avoir des conséquences dramatiques, comme en témoigne l’augmentation du nombre de suicides au travail. On la mesure d’autant mieux quand le métier des salariés consiste précisément à s’occuper de soigner des êtres humains, qu’il s’agisse de l’hôpital public, mais aussi du privé. Avec des moyens restreints ou défectueux, un manque de personnel évident, c’est la logique financière qui sévit dans des lieux où l’humain devrait être la règle d’or. La santé publique n’est pas une dépense mais un investissement. C’est le signe d’une société moderne. L’efficacité, ça ne se mesure pas avec des histogrammes ou des camemberts, surtout en matière de santé publique. Ainsi comment peut-on arbitrairement définir un temps maximum à passer avec des patients sans prendre en compte leur pathologie, leur situation sociale ou familiale ? C’est cette logique qui explique l’augmentation des arrêts de travail de salariés poussés à bout. Pourtant, les critiques contre les fonctionnaires perdurent sur le refrain du « fainéant »… d’où la mise en place d’un jour de carence pour faire la chasse aux malades. Ce sont les salariés qu’il faut écouter pour soigner le travail, leur rendre la liberté de bien travailler avec les moyens et les effectifs nécessaires.
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