Le président de la commission des finances du Sénat a obtenu des chiffrages inédits de Bercy sur les effets de la fin de l’ISF et de l’introduction de la « flat tax » sur les revenus du capital. Les 100 premiers contribuables à l’ISF économiseront en moyenne 582 380 euros. Tandis que le PIB en sera à peine augmenté.
Le gouvernement ne s’était pas montré très disert sur les conséquences de sa réforme fiscale, transformant l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et créant un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital. Au point que plusieurs parlementaires de gauche avaient, dans Libération, appelé à la transparence sur le sujet. En vain, l’exécutif se contentant de marteler que cette défiscalisation massive du capital favoriserait forcément l’investissement et donc l’emploi.
On comprend cependant de mieux en mieux la raison de cette discrétion gouvernementale. Jeudi 26 octobre, le président socialiste de la commission des finances du Sénat, Vincent Éblé, a rendu publique une série de données qu’il est parvenu à obtenir – non sans mal – de Bercy. Vincent Éblé a, la semaine passée, posé une série de questions sur les effets de ces mesures à Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, les deux ministres de Bercy. Il a fini par les obtenir mercredi 25 octobre, « après avoir menacé de recourir à [s]es pouvoirs de contrôle », affirme-t-il. Preuve que les deux ministères semblent mal à l’aise sur ce terrain glissant qu’ils avaient déjà soigneusement évité durant la discussion du projet de loi de finances 2018 à l’Assemblée nationale.
Parmi les données dévoilées par Vincent Éblé et venant donc directement de Bercy, on trouve le gain moyen annuel qui sera enregistré par les 100 premiers contribuables français à l’ISF : ce sera 582 380 euros. Pour les 1 000 premiers, le montant moyen du gain annuel atteindra 172 220 euros. Ce prélèvement forfaitaire unique confirme qu’il est un impôt particulièrement injuste et non redistributif (ce qui est logique puisque, c’est une « flat tax ») : les 1 % les plus riches capteront, toujours donc selon Bercy, 44 % de l’ensemble des gains fiscaux, estimés par le gouvernement à 1,3 milliard d’euros en 2018 et à 1,9 milliard d’euros en 2019. De quoi compenser largement, pour ces personnes, l’effet négatif attendu de la hausse de la CSG.
Concernant l’impôt sur la fortune immobilière, Bercy s’est dit incapable de fournir une estimation, en raison de l’impossibilité d’établir « le patrimoine immobilier des redevables avec précision ». Le niveau de détail des déclarations et l’inconnue de la nature des dettes semblent empêcher de tirer des conclusions. Vincent Éblé émet cependant une hypothèse en partant des déclarations de Bruno Le Maire devant l’Assemblée nationale. Celui-ci avait déclaré que les 100 premiers contribuables à l’ISF payaient chacun en moyenne 1,26 millions d’euros. Comme la moyenne du patrimoine immobilier de ces personnes est estimée à 15 % de leur patrimoine total, l’exonération pourrait permettre de dégager 1 million d’euros pour chacun de ces 100 contribuables. Si tel était le cas, les 100 premiers contribuables à l’ISF empocheraient en tout un gain fiscal moyen de 1,58 million d’euros. Autrement dit, leur baisse d’impôt dépasserait ce qu’ils payaient en ISF de 320 000 euros en moyenne annuelle. Un chiffre considérable, bien loin des gains réduits que les salariés peuvent attendre de la baisse des cotisations, qui se fera en deux temps, sans parler des « perdants » des réformes, les fonctionnaires et les retraités.
Vincent Éblé a ensuite tenté d’en savoir plus sur les effets macroéconomiques de cette mesure. C’est le cœur du problème. Le gouvernement reconnaît l’aspect inégalitaire de sa mesure mais assure que la richesse et les emplois créés compenseront largement cet effet. Le président de la commission des finances de la chambre haute a donc demandé à Bercy de faire tourner son logiciel de modélisation macroéconomique « Mésange », déjà utilisé pour l’évaluation de la TVA sociale et du CICE. Le résultat est très inquiétant : ces deux mesures coûteuses (4,2 milliards d’euros par an sur 2018 et 5,1 milliards d’euros à partir de 2019) ne permettront qu’une hausse à long terme du PIB de 0,5 point. Il s’agit d’une hausse complète, non d’une hausse annuelle. Au total, IFI et PFU devraient augmenter la richesse nationale de 0,5 point de PIB, soit, aujourd’hui, environ 10 milliards d’euros. Autrement dit, la mesure aura un rendement négatif dès la troisième année. Son coût final s’annonce astronomique.
En termes d’emplois, le bilan n’est guère plus attrayant. Bercy prévoit la création de 50 000 emplois, là aussi au total et là aussi à long terme. Le coût de chaque emploi créé s’annonce donc très élevé, de l’ordre de celui des emplois créés par le CICE, voire sans doute davantage. Ces mesures de défiscalisation du capital s’annoncent donc particulièrement inefficientes et il est étonnant que le gouvernement continue de défendre aveuglément leurs effets sur la croissance au vu d’une telle conclusion de ses propres services, comme il est étonnant que la majorité parlementaire suive aveuglément, sans sourciller.
La dernière demande de Vincent Éblé concerne les actifs improductifs qui seront exonérés de l’ISF comme les comptes courants, les métaux précieux ou les biens de luxe, actuellement inclus dans l’assiette de l’ISF. Bercy a indiqué que le maintien de ces actifs, qui représentent 36 % de l’assiette taxable de l’ISF, dans l’assiette de l’IFI permettrait de gagner 2 milliards d’euros, soit près de deux fois plus que le rendement attendu de l’IFI (850 millions d’euros). En revanche, les mesures symboliques de hausse des taxes diverses sur les produits de luxe adoptées par l’Assemblée nationale par voie d’amendements n’ont qu’un rendement attendu de 50 millions d’euros. Or, comme l’indique Vincent Éblé, cette réintégration des actifs improductifs, conforme à l’ambition du président de la République de favoriser les investissements productifs, permettrait à elle seule de financer le PFU. Sans doute faut-il s’attendre à ce que des sénateurs proposent une telle contre-mesure.
Au final, le bilan de ces réponses est cruel pour le gouvernement et Emmanuel Macron. Le PFU et l’IFI sont bien des « cadeaux aux riches », ce sont des mesures qui réduisent la redistribution par l’impôt et qui augmenteront donc les inégalités sans avoir d’effets macroéconomiques structurels notables. Ce sont donc encore des cadeaux fiscaux coûteux et inutiles. Par ailleurs, leur caractère visant purement à augmenter la richesse se remarque dans la défiscalisation, là aussi très coûteuse, des actifs improductifs. Bref, le bilan est désastreux. L’obstination du gouvernement à vouloir liquider l’ISF montre de plus en plus que son objectif est moins de renforcer l’économie française que de favoriser une moindre redistribution des richesses.
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