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7 septembre 2017 4 07 /09 /septembre /2017 18:59
Macron, la SNCF et l’impunité démocratique - par Laurent Mauduit (7 septembre 2017, Médiapart)
Macron, la SNCF et l’impunité démocratique
 PAR 

Emmanuel Macron annonce une réforme explosive de la SNCF et du statut des cheminots. Alors que les ordonnances viennent à peine d'être dévoilées, ainsi qu'une pluie d'autres mesures controversées, le chef de l’État, comme enfermé dans une bulle, avance à marche forcée sans se soucier de ce que le pays souhaite ou peut accepter.

 

Emmanuel Macron use décidément d’une méthode singulière pour annoncer ses réformes. Alors que sous d’autres majorités, les projets essentiels touchant à la politique économique et sociale ont souvent été longuement débattus – au risque parfois de s’enliser –, lui avance constamment à la hussarde. Comme si seules ses propres convictions comptaient et que l’État n’avait nul besoin de prendre le temps d’établir ce que Michel Rocard, en d’autres temps, appelait « un diagnostic partagé », ni de confronter ses intuitions à celles des autres acteurs de la vie de la Cité.

La réforme de la SNCF qui se dessine est la dernière illustration en date de cette conception monarchique dans laquelle s’insère depuis le début du quinquennat l’action publique : usant du pouvoir exorbitant que lui confèrent les institutions antidémocratiques de la Ve République, Emmanuel Macron a une opinion sur tout, décide de tout, et veut que les choses aillent vite. L’avenir de cette entreprise publique – qui est (ou était ?) un grand service public – est visiblement déjà scellé. Dans son esprit et donc dans les faits. Puisque tel est son bon plaisir…

C’est d’abord d’une manière pour le moins cavalière que cette réforme très importante – pour les cheminots, comme pour les usagers du service public – a été annoncée : au terme de ce qui est visiblement une opération de communication soigneusement préparée, le journal Le Monde a obtenu le verbatim des propos que le chef de l’État a tenus le 1er juillet dernier, alors qu’il était à bord d’un TGV pour l’inauguration de la ligne à très grande vitesse Le Mans-Rennes, propos qui ont été par la suite publiés par la direction de l’entreprise dans le magazine interne de la SNCF, Les Infos Le Mag.

L’opération de communication est même grossièrement menée, puisque le quotidien tient un récit qui confine à l’extase : « Le patron de la SNCF, Guillaume Pepy, aurait été ébahi par l’approche de M. Macron – mélange de courtoisie accessible et de propos sans fard – qui a laissé les salariés médusés, racontent les témoins de cet échange », peut-on ainsi lire, en amorce de l’article. Voici sans doute le type de journalisme qu’apprécie Emmanuel Macron, lui qui ne rate jamais une occasion de montrer son agacement contre la presse…

Ce préambule étant fait, Le Monde livre les propos du chef de l’État face à différents interlocuteurs rencontrés lors de ce voyage inaugural. « Pour être franc, je pense que le modèle sur lequel on a vécu, le mythe de la SNCF, n’est pas celui sur lequel on construira la SNCF du XXIsiècle », a-t-il ainsi répondu à un salarié du Technicentre Atlantique de Châtillon (Hauts-de-Seine), qui l’interrogeait sur l’avenir du groupe public. « Votre défi sera de ne pas rester sur la protection du passé (…). Le vrai défi sera de dire : si vous voulez défendre votre entreprise, il faut la réinventer. »

Mais la réinventer comment ? Emmanuel Macron a clairement fait comprendre que cela passerait par une réforme du statut des cheminots et par une remise en cause du régime spécial dont ils profitent. « Vous protéger, ce n’est pas protéger votre statut ou le job d’hier, c’est vous protéger en tant qu’individu, pour aller vers le job de demain (…). Soyons clairs, si nous ne réglons pas ce problème, ce sont vos enfants qui paieront. C’est injuste. »

Dans la tête d’Emmanuel Macron, dès le 1er juillet, tout était donc déjà calé. Les contours de la réforme de la SNCF, mais aussi son calendrier. « Je souhaite que l’on puisse avoir au premier semestre 2018 une loi-cadre qui donne le top départ de cette réforme, par exemple au 1er juillet 2018 ou début 2019. (…) Ceux qui étaient à cinq ans de la retraite ne sont pas touchés, les autres ont des droits acquis dans un régime et à partir de ce jour-là basculent vers un régime unique où un euro cotisé donne lieu aux mêmes droits. »

La réforme pourrait-elle même être encore plus explosive ? Surfant sur les directives de l’Union européenne, qui a fixé les dates limites pour l'ouverture à la concurrence à fin 2019 pour les lignes régionales et à fin 2021 pour les lignes à grande vitesse, le chef de l’État imaginerait-il même que la SNCF aille jusqu’au bout de la logique de privatisation rampante dans laquelle elle est entrée depuis de longues années ? Ce n’est pas dit explicitement, mais c’est à tout le moins suggéré :

« Je pense que si SNCF, avec toute la force que vous représentez, sait s’adapter, elle sera le champion de la concurrence, a plaidé M. Macron. La concurrence va aider les évolutions qui sont déjà en cours. (…) Est-ce que ça veut dire qu’il n’y aura plus de SNCF, que les agents n’auront plus leur place ? Pas du tout. Mais SNCF sera un acteur des mobilités plurielles, beaucoup plus numérisées où les agents auront des missions plus variées (…). Demain, j’attends de SNCF qu’il soit un opérateur intégré qui dira : je sais vous emmener en train puis en car, puis vous louer un taxi ou une solution de covoiturage ou de vélo en ville, etc. Beaucoup ont encore le sentiment, parce que c’est notre imaginaire collectif, que la fierté de SNCF, c’est d’avoir de beaux trains, de belles gares et des infrastructures. Ce n’est pas vrai. Ce sont les voyageurs, les chargeurs, les données les concernant qui ont de la valeur dans cette entreprise. »

À la lecture de ces propos, on pourrait s’en amuser. Finie la SNCF, acteur historique du service public à la française ! Vive SNCF, « acteur des mobilités plurielles ». Mais derrière ces jongleries sémantiques, on devine bien que c’est un projet lourd de conséquences qui se profile…

Le propos présidentiel est donc inquiétant à plus d’un titre. D’abord, il vient confirmer que l’Élysée n’a pas de projets tabous : même les services publics pourraient passer à la moulinette de ce pouvoir néolibéral.

On observera certes que dans le cas de la SNCF, la dérégulation du service public est engagée de très longue date. Parmi les coups de boutoir, il y a ainsi eu la scission au début de 1997 de l’entreprise, avec d’un côté Réseau ferré de France (RFF), chargé du réseau ; et de l’autre la SNCF elle-même, chargée de l’exploitation des transports des voyageurs et des marchandises – même si en 2015, une holding de tête a finalement été créée. Il y a eu à la même époque des transferts aux régions des transports régionaux ; puis les années suivantes, des mises en concurrence sur certaines activités spécifiques de transport.

Et puis, tout au long de ces années, il y a eu une cascade de fermetures de lignes non rentables et une modification radicale des politiques tarifaires de la SNCF. Avec au bout du compte le résultat que l’on sait, que résume cette interrogation : peut-on encore dire que la SNCF est l’acteur majeur du service public des transports ? Assurément, non ! Elle a cessé progressivement de l’être. Car si un service public se définit par quelques critères très simples – comme la péréquation des tarifs ou l’égalité des conditions d’accès pour les citoyens –, la SNCF a progressivement cessé d’y souscrire. Il n’y a plus depuis belle lurette de péréquation des tarifs ; lesquels sont devenus proprement incompréhensibles ! Et il n’y a pas plus d’égalité d’accès des citoyens puisque, progressivement, n’ont plus été exploitées que les lignes rentables.

Et l’on devine sans peine que les ouvertures définitives à la concurrence prévues pour fin 2019 pour les lignes régionales et fin 2021 pour les lignes à grande vitesse risquent de jouer un rôle formidable d’accélérateur : c’est la logique du profit qui va définitivement l’emporter sur la logique du service public.

Même si la déréglementation du service public des transports s’inscrit dans une histoire longue, on se prend à penser que l’ultime coup de boutoir, celui qui fera irrémédiablement basculer la SNCF dans les logiques du privé, aurait pu mériter un débat. Une consultation des cheminots, et tout autant un grand débat public avec les citoyens. Car la SNCF n’est assurément pas une entreprise comme les autres, compte tenu des rôles majeurs qu’elle joue dans la vie de la Cité pour les usagers ; dans la vie économique ; dans les questions d’aménagement du territoire…

Emmanuel Macron ne l’entend visiblement pas de cette oreille. « L’État, c’est moi ! » : toujours pressé, il semble constamment adepte de la méthode autoritaire. Ou plus précisément, il semble empreint d’un trait de caractère, qui est la marque de certains grands corps de l’État et tout particulièrement l’Inspection des finances : lui sait ce qui est bon pour le pays, ce que le pays ne sait pas forcément lui-même. C’est le propre d’un système oligarchique : les élites qui le composent ont la ferme conviction de contribuer au bonheur du peuple, même contre son gré.

Dans le contenu même de la réforme de la SNCF qu’il a ainsi annoncée, comme dans la méthode qu’il a choisie pour ce faire, Emmanuel Macron révèle donc ce qui est sans doute l’une de ses principales faiblesses : il semble enfermé dans une bulle, incapable de pressentir le choc que ses propos peuvent susciter. Incapable de comprendre que la démocratie n’est pas une perte de temps et qu’elle repose d’abord sur un va-et-vient constant entre gouvernants et gouvernés…

 

Le sentiment qu’Emmanuel Macron donne d’être enfermé dans une bulle est d’autant plus fort que cette annonce d’une réforme à hauts risques de la SNCF intervient dans un contexte pour le moins chahuté.

D’abord, le pays vient tout juste de découvrir le choc social que risquaient d’induire les ordonnances, avec à la clef un démantèlement de pans entiers du code du travail. Instruit du conflit social gravissime qu’avait dû affronter Alain Juppé pendant l’hiver 1995, après avoir annoncé pêle-mêle une réforme de l’assurance maladie, une réforme des retraites et la suppression des régimes spéciaux de retraite, tout autre gouvernement aurait avancé avec précaution. Emmanuel Macron, lui, ne se soucie visiblement pas de cela. En avant toute ! Et qu’importe la journée de grèves et de manifestations organisée par la CGT dans toute la France le 12 septembre : pour le chef de l’État, tout cela semble secondaire. Ne perdons pas de temps…

Cet enfermement du pouvoir est même encore plus spectaculaire que cela, puisque l’actualité sociale n’est pas constituée que de la révélation du contenu des ordonnances. Il y a aussi une pluie d’autres mesures, qui continuent jour après jour… De la réduction de 5 euros du montant des aides personnalisées au logement (APL) en passant par de nombreuses mesures d’austérité pour les fonctionnaires, c’est une farandole interrompue de mesures controversées.

Emmanuel Macron semble si sûr de son fait qu’on en viendrait presque à oublier les conditions de sa victoire à l’élection présidentielle : du fait d’un vote de rejet de la candidate de l’extrême droite, beaucoup plus que d’un vote d’adhésion à son propre programme. Mais cela, le chef de l’État ne semble guère s’en soucier, préférant s’enfermer dans un dangereux système d’impunité démocratique. C'est le paradoxe de la situation présente : la violence des mesures concoctées par le chef de l’État est, si l'on peut dire, inversement proportionnelle à la légitimité du pouvoir qu'il incarne…

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