L’agente de liaison de la Résistance, Cécile Rol-Tanguy, était aux premières loges de la Libération de Paris. Soixante-dix ans après, la veuve du chef des FFI d’Île-de-France raconte ses années dans l'armée de l'ombre et souligne le rôle des femmes.
Dans la maison de famille des Rol-Tanguy, dans le Loir-et-Cher, le souvenir de la Résistance est omniprésent, dans la bibliothèque, sur les murs… Là, les nombreuses décorations d’Henri, chef des FFI (Forces françaises de l’intérieur) d’Île-de-France durant la Libération de Paris. Ici, une photographie prise devant la gare Montparnasse en août 1944 : "C’est une voiture de FFI du 14e arrondissement, le quartier d’Henri", précise non sans fierté sa veuve, Cécile Rol-Tanguy.
À 95 ans, elle n’aime pas se mettre en avant, mais depuis la mort de son époux en 2002, c’est elle qui a repris le flambeau. D’école en école, de cérémonie en cérémonie, elle ne cesse d’entretenir la mémoire. "Je suis un peu étonnée de me retrouver là encore 70 ans après, mais c’est pour rappeler le souvenir de tous ceux et celles que j’ai connus et qui sont partis", explique-t-elle avec un sourire malicieux. Puis elle ajoute : "Cela m’émeut de voir qu’on a beaucoup oublié les femmes (…) Avec ma dernière nomination pour la Légion d’honneur, j’ai considéré que je représentais toutes les femmes qui n’avaient rien eu."
"Notre ennemi principal était le fascisme"
Même si l’Histoire a surtout retenu le rôle de son mari, Cécile Le Bihan, de son nom de jeune fille, appartient à ces héroïnes de l’ombre qui ont refusé de se soumettre à l’Occupation. En juin 1940, la jeune dactylo, élevée dans une famille communiste, fait le choix de la résistance. Alors qu’Henri Tanguy, qu’elle vient tout juste d’épouser, est pris dans la débâcle de l’armée française, elle commence à rédiger des tracts pour le syndicat des Métallos : "Mon mari m’avait toujours dit que notre ennemi principal était le fascisme. En voyant les Allemands dans Paris en 1940, je n’ai pas hésité." Lorsque son époux est enfin démobilisé au mois d’août, le couple décide de lutter ensemble. Ancien des Brigades internationales durant la guerre d’Espagne (1936-1939), Henri a l’expérience de la lutte armée. Il rejoint d’autres militants communistes dans la clandestinité, tandis que Cécile devient son agent de liaison.
Pendant quatre ans, de planque en planque, la jeune femme transporte des messages mais aussi des armes. Elle n’hésite pas à remplir ses missions avec ses enfants, encore bébés. "C’était plus facile de mettre un revolver ou une mitraillette dans un fond de landau ! Mais je n’étais pas la seule, on prenait ce qu’on avait sous la main !", raconte-t-elle avec une incroyable décontraction. Le danger est pourtant omniprésent. Au cours de ces sombres années, elle perd beaucoup d'amis suite à des arrestations. Son propre père, membre du Parti, décède à Auschwitz en 1942 après avoir été déporté. "Cela fait mal, mais cela ne m’a jamais arrêté, confie la vieille dame aux abords fragiles, mais au discours encore bien déterminé. Souvent après, on se dit 'là j’étais près d’y passer', mais sur le coup, on ne fait rien si on a la peur au ventre. J’avais confiance dans tout ce qu’on faisait."
Le souterrain de Denfert-Rochereau
Au fur et à mesure de la guerre, Henri Tanguy prend de plus en plus de responsabilités au sein des FTP (Francs-tireurs et partisans). En mai 1944, sous le pseudonyme de Rol (du nom d’un de ses camarades tué durant la Guerre d’Espagne), il est nommé chef régional des FFI, qui regroupent toutes les composantes de la résistance. Durant plusieurs semaines, il prépare activement la Libération de la capitale française. Le 18 août, il décrète la mobilisation générale et ordonne aux Parisiens de prendre les armes. Deux jours plus tard, avec son État-major et bien entendu sa femme, il installe son poste de commandement dans un abri souterrain de la place Denfert-Rochereau.
Dans ce dédale relié aux postes d’égout de Paris, Cécile Rol-Tanguy assure le secrétariat de son mari et une partie de son travail de liaison : "Henri a beaucoup circulé à ce moment-là, moi j’étais bloquée en bas pour relayer les communiqués. (…) Quand je vais au musée du général Leclerc à Montparnasse et que je vois certains documents, je me dis ‘Ah c’est moi qui les ai tapés !’ Je reconnais les formulations de mon mari."
Durant une semaine, l’État-major FFI coordonne les combats des résistants dans les rues de la capitale. Même si certains historiens estiment que le commandement de Rol-Tanguy a été parfois dépassé par les événements, son épouse loue son action : "Ils ont réagi comme il fallait. Quand il y a eu la trêve, mon mari a décidé de ne pas l’accepter en accord avec l’État-major. Il a aussi été décisif quand il a fait faire les barricades. C’était une réaction du peuple et cela a tout de suite pris."
Le 24 août au soir, les premiers éléments de la 2e Division blindée (DB) du général Leclerc font leur entrée dans Paris. Dans le souterrain, les résistants peuvent enfin laisser éclater leur joie. "Quand on nous l’a annoncé, nous n’avons pas entendu les cloches sonner, mais on a fait une bataille de polochons avec les filles qui étaient avec moi", se souvient l’ancienne FFI en revivant la scène. "Le lendemain, mon mari m’a dit ‘je te rappelle que tu es femme de colonel, tu n’as pas à faire ça’, mais moi cela m’est passé au-dessus !", ajoute-elle dans un éclat de rire.
"Un peu de folie"
Après avoir vécu plusieurs années en état d’alerte permanent, la jeune femme a du mal à réaliser que la France est de nouveau libre. Prise dans un tourbillon, elle se laisse porter par les événements. Au lendemain de la signature par son mari de l’acte de reddition des forces allemandes du général von Choltitz, Cécile Rol-Tanguy assiste le 26 août au défilé du général de Gaulle : "Il y avait un peu de folie. C’était tellement nouveau. J’étais là, mais je ne me posais pas de questions, estime-t-elle. On m’a demandé ce que cela me faisait d’avoir rencontré de Gaulle. Je ne me rendais pas compte. Cela m’est passé un peu au-dessus de la tête. J’étais là car je devais être là, mais sans plus. Mais c’est vrai qu’après réflexion, une semaine comme ça, c’est autre chose que la vie courante !"
Alors que la France se reconstruit peu à peu, la jeune femme reprend aussi un quotidien plus normal. Tandis qu’Henri Rol-Tanguy poursuit une carrière de militaire, elle s’occupe de leurs quatre enfants. "Cela m’a beaucoup changé, souligne l’ancienne résistante, autrefois surnommée Jeanne ou encore Lucie dans la clandestinité. Mais je n’ai pas regretté cette période car on était 24 heures sur le qui-vive. J’ai surtout regretté tous ceux qu’on avait laissés en route."
Soixante-dix ans après ces événements, les visages des disparus ne l’ont jamais quittée. "Quand je vais à la cloche au Mont Valérien, tous ces noms que je retrouve, cela me bouleverse. On me tire pour que je m’en aille." C’est en leur nom qu’elle s’exprime inlassablement. À bientôt 100 ans, l’agent de liaison n’a rien perdu de sa fougue et de son esprit. Dans son regard, la flamme est toujours là : "Cela conserve d’avoir été dans la résistance !"
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Les Bigoudènes encadrent Rol Tanguy (chef FFI qui a libéré Paris, ancien métallo né à Morlaix, ancien des Brigades Internationales), Paul Le Gall (futur secrétaire départemental du Finistère-Sud), Alain Signor, responsable communiste depuis l'avant guerre, résistant, député à la Libération, et Pierre Le Rose - photo prise à la fête de la Bretagne du Parti Communiste dans le sud-Finistère (Archives Pierre Le Rose)
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