Comme il entend respecter ses engagements européens dès cette année, le gouvernement va devoir résoudre une équation budgétaire très complexe. Mais passer sous les 3 % du PIB de budget ne sera pas suffisant, compte tenu des règles européennes à moyen terme. L’austérité semble une option non seulement possible, mais également durable.
Ce sera un des premiers chantiers du gouvernement Édouard Philippe doté de sa nouvelle majorité parlementaire : construire une stratégie budgétaire. Cette dernière s’appuie sur une ligne : le respect des engagements européens, un des piliers de la stratégie européenne d’Emmanuel Macron. Dans un entretien à Ouest-France du 11 avril, le candidat Macron avait affirmé que « l’Allemagne, aujourd’hui, attend que la France soit au rendez-vous des réformes. Tant qu’elle ne le sera pas, on ne pourra pas retrouver la confiance des Allemands qu’on a trahis deux fois, en 2003 et en 2007 ». Or, les deux dates évoquées par le futur candidat concernent deux dérapages budgétaires (dont l’un, du reste, en 2003, était issu d’un accord avec Berlin). Les « réformes » dont il est question concernent donc bien la consolidation budgétaire.
Pour convaincre Angela Merkel de s’engager dans une plus forte intégration de la zone euro, le président de la République va donc s’appuyer sur deux projets : la réforme du marché du travail et la consolidation budgétaire. Son ambition est de « rassurer » Berlin sur le fait que toute mise en commun ne conduira pas à faire prendre de risques supplémentaires à l’Allemagne si elle s’engage dans cette intégration, parce qu’elle le fera avec un partenaire jugé « solide » selon les critères dominants parmi les dirigeants des deux rives du Rhin. Voilà pourquoi il ne faut pas compter sur une politique budgétaire « souple » du nouvel exécutif. Elle sera nécessairement fondée sur une trajectoire de retour à l’équilibre, et donc sur une politique d’austérité budgétaire.
Comme, par exemple, sur la réforme du droit du travail, il faudra donner le ton rapidement. Deux chantiers risquent ainsi de s’ouvrir vite : le bouclage du budget 2017 dans le cadre exigé par la Commission européenne et accepté par le précédent gouvernement, et la mise en place d’une stratégie déterminée sur l’ensemble du quinquennat.
Le premier dossier ne sera pas le plus facile. 2017 devait être, selon la loi de finances, l’année du retour de la France sous la barre des 3 % du PIB de déficit public, pour la première fois depuis dix ans. Initialement, Bercy prévoyait un passage à 2,7 % du PIB de ce déficit, avant de relever l’objectif à 2,8 %. Cela représente néanmoins un effort budgétaire important, puisque les administrations publiques françaises ont terminé l’année 2016 avec un déficit de 3,4 % du PIB.
Or, le budget 2017 a été déjà largement critiqué pour les questions qu’il ouvrait. À commencer par le socle de l’ensemble budgétaire : la prévision de croissance, fixée à 1,5 %. Certes, de très optimiste à la fin de l’année dernière, cette prévision est devenue plus réaliste avec l’amélioration des indicateurs depuis quelques mois. L’acquis de croissance à la fin du premier trimestre est, désormais, compte tenu des diverses révisions, de 0,9 point de PIB. Mais il n’empêche : cette prévision demeure au-dessus de celle des principales organisations de prévision. La Commission européenne et laBanque de France tablent sur une croissance de 1,4 %, le FMI et l’OCDE, de 1,3 %. Si ces institutions voient plus juste que le gouvernement, l’objectif budgétaire risque mécaniquement d’être manqué.
Cet objectif est d’autant plus en danger que, si le gouvernement précédent a engagé de nouvelles dépenses pour financer les priorités de son action, notamment dans l’éducation (3 milliards d’euros supplémentaires) et la sécurité (2 milliards d’euros supplémentaires), les modalités de la maîtrise des autres dépenses visant non seulement à financer ces engagements, mais aussi à assurer le recul du déficit sont, elles, demeurées très floues. Dès septembre 2016, le Haut Conseil des finances publiques soulignait le caractère « irréaliste » des baisses de dépenses envisagées sur l’assurance-chômage et l’assurance-maladie.
Apparemment, ces craintes n’étaient pas injustifiées. À fin avril 2017, la situation budgétaire montrait clairement une dégradation du solde d’exécution du budget de l’État, par rapport à fin avril 2016, de 1,5 milliard d’euros. Ce point intermédiaire ne préjuge en rien du niveau du déficit public sur l’ensemble de l’année, qui intègre le budget de la Sécurité sociale et celui des administrations locales. Mais il montre que l’effort durant les huit derniers mois de l’année va devoir être soutenu pour atteindre l’objectif d’une baisse de 0,3 point de PIB du déficit du seul budget de l’État.
Le 13 juin, le premier ministre Édouard Philippe a préparé le terrain sur France Info en évoquant un « risque extrêmement fort » de rater l’objectif de 2,8 % du PIB. Ce risque devrait être officialisé le 3 juillet, lors de la publication par la Cour des comptes de l’audit des comptes publics.
Si le scénario d’une dégradation de la situation budgétaire se confirme, quelle sera la réaction du gouvernement ? La marge de manœuvre pour accepter un dépassement de l’objectif est très faible, puisque, comme on l’a vu, le « respect des engagements » est essentiel pour le président de la République.
D’autant que la Commission, de son côté, sera peu encline à se montrer conciliante, alors qu’elle est menacée par les projets de réforme de la zone euro. On sait, par exemple, que le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, souhaite confier à un « ministre des finances de la zone euro » un contrôle renforcé des engagements budgétaires des États membres. Dès le 19 juin au matin, le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Pierre Moscovici, a mis en garde sur le risque pour la France de se retrouver seul pays en procédure de déficit excessif. « C’est de l’intérêt du pays d’être conforme à ses engagements », a-t-il indiqué sur Sud Radio.
Pierre Moscovici avait déjà rappelé, au lendemain de l’élection présidentielle, que la« France peut et doit sortir de la procédure de déficit excessif ». Bruxelles s’est ainsi montrée très ferme dans ses recommandations par pays au sujet la France, publiées le 22 mai dernier : « La France doit se tenir prête à prendre des mesures supplémentaires pour assurer le respect des dispositions du pacte de stabilité et de croissance en 2017. »
En cas de dépassement et de non-respect de ses engagements, la France pourrait être menacée de sanctions. Ce serait politiquement un désastre pour Emmanuel Macron, qui serait alors en position de faiblesse face à l’Allemagne et à son nouveau gouvernement, peut-être issu d’une coalition CDU/CSU-FDP particulièrement à cheval sur l’orthodoxie budgétaire. Paris serait alors réduit à reprendre la stratégie de Nicolas Sarkozy et de François Hollande menée depuis 2010.
Édouard Philippe a donc prévenu qu’il fallait sans doute s’attendre à des mesures complémentaires. Donneront-elles lieu à une loi de finances rectificative ? L’option n’a pas été exclue, mais la priorité reste, selon le premier ministre, d’ajuster, sans collectif budgétaire, par « toute une série de mesures ». Autrement dit, si le dérapage budgétaire reste réduit, il sera réglé par une réduction des dépenses dans les ministères. S’il est trop élevé, il faudra envisager des mesures plus sévères et donc en passer par un collectif budgétaire. Le 6 juin dernier, Les Échos évoquaient un besoin de 5 à 6 milliards d’euros pour parvenir non pas à remplir l’objectif, mais à atteindre un déficit sous les 3 % du PIB. Or, Édouard Philippe a bien évoqué les 2,8 % promis à Bruxelles…
Passer sous les 3 % ne sera pas suffisant
Mais l’exécution du budget 2017 n’achèvera pas la tâche du gouvernement. Souvent réduites à une obsession des 3 % du PIB de déficit, les règles européennes ne se limitent plus à ce seuil symbolique. Depuis le renforcement des dispositions budgétaires et la ratification du pacte budgétaire en 2012, les objectifs sont fixés à moyen terme et en termes structurels, autrement dit indépendamment des évolutions de la conjoncture.
La Commission exige de la France un retour à un déficit structurel de 0,4 % du PIB en 2020, contre 1,5 % en 2016. Le précédent gouvernement avait prévu, dans son programme de stabilité, de revenir à l’équilibre structurel en 2020, mais là encore, Bruxelles doute de cette trajectoire et souligne qu’en 2018, une détérioration du solde structurel de 0,5 % du PIB est prévue. Il est vrai que le Sénat avait souligné, lors de l’examen du projet de loi de finances, une tendance du budget 2017 à reporter les dépenses et les charges engagées. La haute Assemblée avait évalué ces reports à 12 milliards d’euros.
Le pacte budgétaire prévoit de plus un amortissement progressif du stock de dettes. C’est ainsi que l’Italie se débat encore avec les exigences budgétaires de Bruxelles, alors même que son déficit est inférieur à 3 % du PIB. Là encore, Pierre Moscovici le 17 juin l’a rappelé : « C’est en 2018 qu’on constatera que la France est sortie ou non de la procédure de déficit excessif. »
Bref, passer sous les 3 % ne sera pas suffisant. Il faudra aussi engager une baisse sensible du déficit structurel et un processus de désendettement. Évidemment, le parcours budgétaire dépendra de l’évolution de la croissance, qu’il est impossible de prévoir réellement dans les prochaines années. Et si la consommation des ménages reste solide, elle n’est nullement portée par une dynamique salariale et est à la merci d’une remontée des prix et des taux. D’autant que la conjoncture pourrait être affaiblie par l’effet des réformes du marché du travail dans un premier temps. Cet effet négatif est largement accepté par les économistes, y compris les partisans des réformes, comme par exemple l’économiste de Natixis Patrick Artus, qui l’a reconnu dans une note du 30 mai dernier. Bref, il serait un peu audacieux de s’en remettre à la seule croissance pour rentrer dans les clous des règles européennes.
Là encore, le nouveau gouvernement et le président de la République semblent décidés à« respecter les règles ». C’est pourquoi, selon Les Échos du 13 juin, l’Élysée s’apprêterait à bousculer les habitudes budgétaires françaises. Finies les discussions de chaque ministère pour négocier sa propre marge de manœuvre budgétaire. Des grandes priorités budgétaires seront définies en septembre. Les ministres seront chargés de les mettre en œuvre et seront désormais aussi jugés sur « leurs capacités à faire des économies ». Autrement dit, la trajectoire budgétaire ne devrait plus seulement être indicative, mais elle sera le cadre de chaque ministère. En sortir sera beaucoup plus complexe que jusqu’à présent. Et comme il est évident que ce cadre sera celui inspiré par la trajectoire de la Commission, les ministères soumis aux économies seront donc plus nombreux que ceux généreusement dotés. Dans ce cas aussi, la politique budgétaire de la France s’annonce comme nécessairement restrictive.
Or, cette démarche est risquée. D’abord, si les politiques d’austérité ont marqué le pas en zone euro, la politique budgétaire en zone euro serait, de l’aveu même de la Commission, neutre, en 2017. Dans un tel contexte, il est beaucoup plus difficile de consolider le budget à marche forcée que lorsque les partenaires du pays s’engagent dans une politique expansive. À partir de 2005, l'Allemagne avait ainsi réduit son déficit dans un contexte d'expansion de la dépense publique dans la zone euro.
L’effet de cette politique budgétaire centrée sur le respect des objectifs européens sera nécessairement négatif sur la croissance. On ne peut, étant donné la fragilité de la reprise mondiale, écarter une spirale négative où l’affaiblissement de la demande, dans la foulée de la consolidation budgétaire, conduit à un affaiblissement de la demande, laquelle oblige à de nouveaux efforts pour rester dans les clous de la trajectoire budgétaire promise à Bruxelles. De plus, comme l’a souligné, voici un an, le FMI, le succès des réformes sur le marché du travail, si tant est que l’on puisse en attendre un, dépend d’une politique budgétaire en soutien.
C’est la politique officiellement défendue par le programme du président de la République, mais, compte tenu des priorités du gouvernement, on voit mal comment l’on pourra engager les 50 milliards d’euros d’investissements publics prévus d’ici 2022. Ces investissements, du reste, ne compenseraient pas les 60 milliards d’euros d’économies promises… Il faudra de plus financer les mesures dites de “compétitivité” auxquelles Bruxelles tient tant : transformation du CICE en baisse de charges (avec un effet de double paiement la première année) et baisse de l'impôt sur les sociétés. Le seul moyen alors sera de sabrer dans les dépenses, notamment les dépenses sociales.
Contrairement à ce qu’il a prétendu durant la campagne, il n’est pas sûr qu’Emmanuel Macron ait tiré les leçons de la crise de 2010 en zone euro. La route de l’austérité semble grande ouverte, avec toutes les conséquences négatives, désormais largement documentées par la science économique.
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