Candidate France insoumise, PCF et Ensemble! dans la 11e circonscription de Seine-Saint-Denis, Clémentine Autain est bien partie pour l'emporter dimanche prochain face à la candidate La République en marche. Au-delà de l'élection, la probable future députée commence à réfléchir au « grand chambardement à venir à gauche ».
Le plus gros est fait et tout reste à faire. Dans sa circonscription, la 11e de Seine-Saint-Denis, la candidate France insoumise-Front de gauche, Clémentine Autain, est arrivée largement en tête au premier tour des élections législatives, emportant 37,21 % des suffrages devant la candidate La République en marche Elsa Wanlin (28,28 %). Mais le total gauche donne seulement 44,69 %, quand le total droite donne 39,74 %, sans compter les 14,37 % de la candidate FN au premier tour. Au niveau national, le même constat s’impose : le plus gros est fait, à savoir la disparition bien amorcée du PS au profit d’une gauche plus radicale portée notamment par La France insoumise, mais la recomposition à venir promet de n’être pas sans tempête. Tout reste à faire.
Mardi 13 juin, en début d’après-midi, Clémentine Autain retrouve plusieurs militants au marché du centre de Sevran. Malgré la chaleur quasi estivale, malgré le ramadan en cours, les allées sont pleines et les passants sont nombreux. Ce marché, parmi les moins chers d’Île-de-France, situé à 100 mètres à peine de la gare RER, draine une foule bien plus large que les seules villes alentour.
Autain se refuse à tout triomphalisme, en particulier en raison de l’abstention dimanche dernier (64,97 %). Alors cette campagne d’entre-deux-tours vise avant tout à remotiver les classes populaires qui pourtant s’étaient déplacées à la présidentielle – sur la circonscription, Jean-Luc Mélenchon avait recueilli 35,9 % le 23 avril, mais l’abstention n’avait été que de 28,7 %. « Dimanche, il faut aller voter, hein, il faut y aller ! », répète à plusieurs reprises la candidate, en tendant son tract. L’accueil est en général très bon. Des jeunes filles et des jeunes garçons se pincent et se retournent en passant, en reconnaissant « la dame qui est sur les affiches » ; un couple revient en arrière pour prendre un selfie ; Clémentine Autain distribue bises et sourires.
Gilles Boitte, du mouvement Ensemble!, comme Autain, est un pilier de la campagne – « son hologramme raté », sourit-il. Pour lui, il ne fait quasiment aucun doute qu’elle sera élue députée dimanche soir, car, explique-t-il, « ce serait pire qu’une surprise de ne pas y arriver ici ». Il admet toutefois que « le problème, c’est que quand tu es du côté des perdants, c’est difficile de mobiliser derrière ». À la distribution de tracts, se trouvent également Michel Rondeau, secrétaire de la section locale du PCF, ou encore Nadia, militante France insoumise, passée par la CGT et le PCF qu’elle a quitté en 1985. On trouve même une ancienne militante de Désir d’avenir, le parti de Ségolène Royal pour la présidentielle de 2007, toujours proche, aujourd’hui de l’ancienne ministre de l’écologie de Manuel Valls.
« Les militants communistes ont joué le jeu du rassemblement pendant la campagne », se félicite Clémentine Autain. Celle-ci a bénéficié du soutien à la fois des communistes et de La France insoumise, chose assez rare en France. Suppléante en 2012 de François Asensi sur la circonscription, elle est cette fois-ci titulaire quand lui est devenu suppléant. Asensi, maire de Tremblay-en-France depuis 1995, député sans discontinuer depuis 1981, a décidé de passer le relais mais reste actif dans la campagne. Il nous rejoint bientôt. « La campagne a été très intense », estime-t-il entre deux bonjours aux passants, « il y a eu un fort travail d’éducation populaire pour montrer les enjeux de cette élection ». Une élection, selon lui, « ankylosée par la vague Macron ». « On est satisfait quand on voit le résultat du premier tour mais on reste mobilisés », ajoute-t-il.
« On a fait une campagne qui marche sur deux jambes : une gauche bien à gauche, pour une voix forte à l’Assemblée nationale ; tout ce qui concerne l’ancrage local – le côté vote utile d’un député », explique de son côté la candidate. « On essaie d’être toujours dans les mobilisations locales et de les raccrocher à la politique nationale », poursuit Clémentine Autain. Qui illustre : « Nous avons par exemple mené une grosse bataille pour sauver le parc forestier de la Poudrerie à Sevran, classé Natura 2000 mais menacé par le retrait de l’État et de la Région. On se bat pour améliorer le RER B. On propose aussi la création d’une université sur 35 hectares de friches entre Sevran et Villepinte, c’est important car il n’y a pas ici d’université. » « On est une force au long cours, j’insiste là-dessus. »
« Si on veut une force large, il faudra qu’elle soit plurielle »
Cette « force au long cours », qui rassemble communistes, insoumis, militants d’Ensemble! et citoyens non encartés, entre évidemment en résonance avec le paysage national au lendemain des élections. Élue, Clémentine Autain se trouverait de fait au centre du – petit – échiquier de la gauche à l’Assemblée nationale. Il est peu probable que La France insoumise seule, ou le PCF seul, sans même parler du PS – du moins sa frange de gauche –, soient à même de constituer un groupe. Il faudra donc, à tout le moins se parler. Quand on lui demande, ingénu, si elle est prête à prendre la présidence d’un groupe PCF-FI, Autain préfère ne pas prendre la question au sérieux. Il n’empêche, l’année électorale qui vient de passer constitue pour la candidate un « big bang qui appelle une refondation ». « Il va y avoir un grand chambardement et c’est bien, c’est sain. La gauche est morte, vive la gauche », ajoute-t-elle.
Sa formation, Ensemble!, est concernée. « Un débat interne va s’engager, certains veulent intégrer La France insoumise, d’autres y sont hostiles et contestent la volonté hégémonique de Mélenchon », et « si La France insoumise devient un mouvement pérenne, c’est une question légitime de savoir si on veut y entrer », explique-t-elle. Elle-même se dit « favorable à un dépassement d’Ensemble! », sans pouvoir dire, dans l’immédiat, vers quoi.
Selon elle, « Jean-Luc Mélenchon a importé du PS dans notre gauche l’objectif d’être majoritaire, cette audace doit être saluée ». Le candidat « a fait quelque chose de très fort, il a donné du contenu au mot gauche sans insister sur le mot lui-même », de même qu’il a eu « deux grandes intuitions, extrêmement justes : se dissocier clairement et très vite de François Hollande ; présenter des formes politiques nouvelles – un mouvement au lieu d’un parti, la notion de dégagisme… » « Le problème, c’est de rendre ce mouvement durable : il faudra tendre la main. » Autain admet qu’« une élection présidentielle n’est pas le moment de la conflictualité », que « La France insoumise a été très efficace », mais « sur la durée, il va falloir se coltiner cette question ». En clair, « La France insoumise doit avoir des partenaires mais pas des vassaux ».
Une réponse à ces craintes a été apportée par La France insoumise elle-même dans l’entre-deux-tours. Alors que son intransigeance avant le premier tour – des candidats quasiment partout y compris contre le PCF, refus absolu de dialogue avec le PS – avait agacé les autres formations, son communiqué lundi 12 juin a ouvert certaines portes. Le mouvement y appelle en effet « à voter pour toutes celles et ceux qui s'opposent à la loi travail, à l'état d'urgence et au projet austéritaire et productiviste d'Emmanuel Macron.C'est-à-dire, en premier lieu, les 74 candidats investis par La France insoumise présents au second tour mais aussi celles et ceux présentés par le PCF ainsi que les frondeurs socialistes ayant signé la motion de censure contre la loi El Khomri ». Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon n’avait pas fait preuve d’une telle ouverture, sans exiger de contreparties, depuis le début de sa campagne en janvier 2016.
« Si on veut une force large, il faudra qu’elle soit plurielle », estime Clémentine Autain, qui se dit « très attachée au pluralisme ». Il faut « de la cohérence et du pluralisme », ajoute-t-elle, « pour la cohérence, c’est bon, la FI en a, il faut à présent du pluralisme ». Elle met en garde : « Il ne faudra pas de stratégie d’humiliation, pas de stratégie de sectarisme. »
Quant au PS, il peut certes disparaître demain, mais selon Autain, « il y aura toujours une gauche d’accompagnement et une gauche de rupture », même s’il n’est pas « certain que ce soit le courant d’adaptation qui donne le la demain ». Elle prend en exemple Benoît Hamon et Cécile Duflot, qui resteront toujours dans la mouvance sociale-démocrate. Mais rappelle aussi que pendant longtemps, surtout chez les socialistes, certains « parlaient de faire un congrès de Tours à l’envers [au congrès de Tours, en 1920, le futur PCF et le futur PS actent leur séparation – ndlr] ». « Une autre question sera de savoir où se situe le PCF dans tout ça », note-t-elle, rappelant qu’il ne s’agit pas, de son point de vue, « de faire un parti unique ».
« Il faut savoir, entre le neuf et l’ancien, ce qui va dominer. On ne fait pas du neuf qu’avec du neuf mais il faut quand même que le neuf domine », conclut-elle, avant de filer vers le quartier populaire des Beaudottes à Sevran, poursuivre sa campagne. Car pour peser sur le « grand chambardement à gauche », il faudra d’abord remporter l’élection dimanche prochain.
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