Discours d'Ismaël Dupont, secrétaire départemental du PCF Finistère, au Château de Ker-Goz au Guilvinec pour le Banquet du Parti Communiste de la 7e Circonscription du Finistère et du Pays Bigouden. Samedi 25 février
A - Qui le Croizat ?
« Ambroise Croizat, ça n'me dis rien... », dirait monsieur tout l'monde.
Et pour cause !
Quand la Sécu n'est qu'un trou ou une charge, l'homme qui la créa doit tomber dans l'oubli du poids des années mortes et des choses désuètes.
Qu'importe que la Sécu ait permis une augmentation incroyable de l'espérance de vie, du bien-être, de l'égalité réelle devant les accidents de la vie, la mise en place d'un système de santé parmi les plus performants du monde !
Le Crime de la Sécurité Sociale version Croizat, c'est d'avoir installé le communisme dans le système social et économique français, via la gestion par les travailleurs de caisse de solidarité représentant plus financièrement que le budget de l’État et prélevés sur les richesses créées dans l'entreprise et le travail, limitant ainsi les profits de l'employeur au nom du droit à la sécurité et au bien-être de tous.
La Sécu, c'est aujourd'hui 200 milliards qui échappent à la finance (comparativement, les mutuelles ne représentent que 34 milliards), qui sont prelevés sur les richesses produites par les travailleurs, dans les entreprises, qui ne vont pas aux patrons. C'est beaucoup trop ! C'est trop énorme ! La Sécu doit donc n'être qu'un problème, un trou, un déficit !
Le trou ou le déficit annuel de la Sécu, 6 milliards d'€, créé par les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires (40 milliards), la fraude sociale (40 milliards), la soumission aux lobbies de l'industrie pharmaceutique ou de la médecine libérale, par le poids du chômage de masse (1 % de chômage en moins, 1 milliard de plus qui rentre dans les caisses de la Sécu), un trou que l’État a creusé lui-même donc, est le prétexte tout trouvé pour détruire petit à petit cette institution révolutionnaire que le mouvement ouvrier et la Résistance ont produites et que la Patronat n'a jamais, jamais digéré.
Depuis 1947, le Patronat veut récupérer les cotisations sociales que nous lui avons confisqué pour financer la protection sociale universelle (santé, retraites, allocations familiales).
Jusqu'à présent, pour faire accepter la remise en cause de la Sécurité Sociale, casser la démocratie sociale dans la gestion des caisses de sécurité sociale, livrer la protection sociale aux Patrons, aux Mutuelles, aux Assurances, et aux profits financiers, baisser le prélèvement social sur les profits des patrons, on a employé des techniques discrètes et utilisé un plan progressif mais mis en œuvre avec beaucoup de constance et de précision par la droite comme par les socialistes.
En 67, en imposant la Parité dans la gestion des caisses de Sécurité Sociale, Pompidou et la droite permettent aux Patrons de pouvoir dominer leur gestion avec l'appui des syndicats d'accompagnement.
On a cassé l'unicité de la Sécu, séparée en 4 branches séparées, on a séparé le régime obligatoire et le régime complémentaire, et favorisé le glissement vers les complémentaires, réduit considérablement les remboursements Sécu ce qui a fait grimpé le prix et l'importance des mutuelles et assurances sociales.
Merci Rocard !
La CMU et aujourd'hui le Tiers Payant Généralisé (« on ne voit plus ce qui vient de la carte verte, ce qui vient de la carte bleue ») ont servi de couverture pour dissimuler la part de moins en moins importante prise par les remboursements Sécurité Sociale sur les soins et les médicaments, la part de plus en plus importante prises par les particuliers.
On a étatisé la Sécu en la mettant sous le contrôle de l'Etat (ONDAM) et des critères de gestion à l'économie et à la rentabilité. Beaucoup voudrait faire dépendre le financement de la Sécu de la fiscalité surtout, de la CSG, et non plus des cotisations sociales : c'est le cas notamment de Jean-Luc Mélenchon.
Aujourd'hui, sous un gouvernement dit de gauche, il y a une augmentation significative de français qui doivent renoncer aux soins. Un domaine aussi important que la prise en charge du vieillissement de fait pas l'objet d'une réponse solidaire à la hauteur, dans le cadre de la sécurité sociale.
Pourtant, la Sécu, les Français y sont attachés, sans percevoir forcément la logique politique et l'aspect de révolution sociale qui ont présidé à sa création.
C'est la Sécu qui fait chuter Fillon, qui voulait la détruire par ordonnance, au moins autant que le Pénélope Gate.
Le mot d'ordre du PCF depuis des années, « Remboursement à 100 % par la Sécurité Sociale », est de plus en plus repris : cela passe notamment par la taxation des revenus financiers. C'est possible en luttant contre la fraude sociale, l'évasion fiscale et la fraude fiscale, en mettant fin aux exénorations de cotisations sociales, en mettant une politique de réindustrialisation au service de l'emploi. Les frais de gestion des mutuelles sont beaucoup plus lourds que les frais de gestion de la Sécu (25 % de frais ou de charges d'exploitation pour les mutuelles contre 6 % pour la Sécu). En même temps, aujourd'hui, face à nous, dans ces élections Présidentielles - on a des candidats de la privatisation du système de santé et de protection sociale : Fillon, Macron, Le Pen sans doute. Ce pourquoi les enjeux de l'élection présidentielle sont décisifs pour l'avenir de notre modèle de société.
B- Qui le Croizat ?
Qui, avant l'extraordinaire succès du film La Sociale, et peu avant celui-ci Des Jours heureux, fruit de collaborations entre le réalisateur de documentaires militants Gilles Perret et l'historien Michel Etiévent, deux savoyards comme Croizat, qui connaissait en dehors des militants communistes et cégétistes, des lecteurs de l'Humanité, Ambroise Croizat?...
Il y a 6 ou 7 ans, François Ruffin lui consacrait un numéro spécial de Fakir remarquant qu'Ambroise Croizat était sans doute le seul petit bonhomme inconnu du XXe Siècle qui, lors de ses funérailles, avait pu dans son cercueil être entouré de près d'un million de personnes à Paris, sans avoir droit à une mention dans le dictionnaire français des noms propres, le Robert, ou dans la plupart des articles ou cours consacrés à la naissance de la Sécurité Sociale, contrairement à Pierre Laroque. L'enterrement d'Ambroise Croizat, c'était à Paris, le 17 février 1951, son cortège funéraire rassemblait des centaines de milliers de personnes venus lui rendre hommage. En plein début de la guerre froide, il allait bientôt falloir couvrir d'un manteau de silence ce communiste trop productif, et par là même les origines de la Sécurité Sociale.
Ambroise Croizat était mort cinq jours plus tôt d'un cancer du poumon et d'épuisement, un an après avoir pleuré la mort de son fils ouvrier électricien à Lyon, tué dans un accident du travail.
Quel média, quel éditorialiste, quel intellectuel médiatique abordait l'œuvre révolutionnaire et néanmoins si proche de nous de ce député communiste ouvrier, fils du peuple, que la République capitularde, puis Vichy, firent croupir dans leurs prisons abjectes, à Paris puis en Algérie, avant qu'il ne soit libéré en 1943 et ne contribue à mettre en place les bases de la démocratie sociale à la française au sortir de la guerre, après avoir été un des contributeurs du programme du CNR: « Les jours heureux » ?
Le devoir de mémoire, on s'y astreint volontiers quand il s'agit de remuer les plaies avec une certaine complaisance voyeuriste ou sensationnaliste, de confronter l'homme et la nation à leurs limites, à leurs souffrances passées, à leurs puissances de destruction et de division, mais surtout, se disent les gardiens de la mémoire, petits ou grands bourgeois serviteurs du système qui se conçoivent aussi souvent comme des gardiens du troupeau, n'allons pas montrer, en faisant revivre des figures héroïques et populaires de la conquête sociale, que la volonté du peuple a su être souveraine, que le progrès social rapide et réel, facteur d'émancipation immédiate des travailleurs, ont pu être d'actualité.
On efface les traces ...
Les traces de la fierté et de la combativité ouvrière, de la République sociale et de la contribution décisive qu'y ont apporté les luttes des travailleurs et des communistes admirablement dévoués, intelligents et rassembleurs, formés par l'expérience de l'injustice sociale, les combats ouvriers, les jours lyriques du Front Populaire, la répression sans pitié d'une droite revancharde et collaboratrice, la Résistance et l'espérance d'un monde meilleur.
Ambroise Croizat est né en 1901 dans la vallée de la Tarentaise, en Savoie.
Son père, originaire de Chambéry, était ferblantier dans la métallurgie et « travaillait douze heures par jour, face à l'éclat des fours, sept jours sur sept (la loi sur l'attribution du congé hebdomadaire ne date que du 13 juillet 1906), le visage et les mains brûlés par les ébarbures de métal en fusion ». Il travaille d'abord à Notre-Dame de Briançon et la famille vit dans une maisonnette de deux pièces bien exigües pour une famille de cinq, mais c'était le lot commun du peuple à l'époque. En 1906, son père, ayant récemment adhéré au Parti Ouvrier Français et à la CGT est un des meneurs d'une grande grève organisée après un accident de travail ayant causé la mort de huit ouvriers. Il est licencié et doit embaucher à Ugine, dans une autre usine, dont il sera à nouveau chassé pour activités syndicales.
Ambroise Croizat commence à travailler à treize ans comme apprenti ajusteur-outilleur dans une usine de Lyon.
A 19 ans, au sortir de la guerre, il adhère à la Jeunesse socialiste qui rejoint la IIIème Internationale et prend vite des responsabilités dans le Syndicat CGTU des Métaux.
Dans les années 1920, Ambroise Croizat milite contre le militarisme, pour une paix plus juste avec l'Allemagne, contre le colonialisme et la guerre du Rif au Maroc, quand Pétain et Franco s'associent pour éliminer les insurgés dans les montagnes du Nord du Maroc.
En 1926, il devient permanent du PCF à Paris, puis secrétaire général de la Fédération CGTU des métaux, pour laquelle il organise des grèves partout en France pour les salaires, la réduction du temps de travail, contre le chômage.
En 1934, le PCF et la CGTU lancent une stratégie de Front Populaire face à la montée de la menace fasciste et la tentative de coup d'état du 6 février 1934. Les mots d'ordre de la gauche unifiés sont « Pain, Paix, Liberté ». L'unité de la CGT sera finalement réalisée le 1er mars 1936, deux mois avant l'arrivée du Front Populaire au pouvoir.
Aux élections législatives du 28 avril 1936, Croizat devance le candidat socialiste sortant de 900 voix environ dans la circonscription de Plaisance, 14e arrondissement de Paris puis il est élu député avec trois mille voix d'avance sur le candidat de droite.
« Devant la porte de l'usine,
Le travailleur soudain s'arrête.
Le beau temps l'a tiré par la veste,
Et comme il se retourne
Et regarde le soleil,
Tout rouge, tout rond,
Souriant sous un ciel de plomb,
Il cligne de l'œil
Familièrement:
Dis-donc camarade soleil,
Tu ne trouves pas
Que c'est plutôt con
De donner une journée pareille
A un patron? »
A l'image de ces Paroles de Jacques Prévert, l'été 1936 est lumineux, avec les grandes grèves festives dans les usines de Breguet-Le Havre, Courbevoie, Saint-Ouen, Levallois.
Partout, on prend possession des ateliers. On y entretient l'outil, on y découvre les loisirs et la culture. Le 7 juin s'ouvrent les discussions qui aboutiront aux Accords de Matignon qui donneront à la classe ouvrière les congés payés, les 40 heures, les conventions collectives, le libre exercice du droit syndical.. Dans les entreprises, les salaires augmentent de 15 à 40%, doublent parfois. Les effets syndicaux sont multipliés par dix !
Depuis mai 1936, Croizat siège à la « Commission spéciale » du gouvernement qui a été chargée d'élaborer les réformes et veille à leur application sur le terrain. En 1937, il inaugure des maisons de repas, des parcs de loisirs, des colonies de vacances pour la classe ouvrière.
Mais dès février 1937, le gouvernement, sous la pression du patronat, décide d'une pause dans les réformes.
La guerre civile en Espagne, et le refus de Blum et du gouvernement, sous la pression anglaise notamment, de venir en aide à la République assiégée par les fascistes, éloigne les communistes de leurs alliés socialistes et radicaux.
En novembre 1938, le gouvernement Daladier publie une série de décrets-lois qui instaurent la baisse des salaires, déjà fortement grignotés par l'inflation (50% en 2 ans), des impôts nouveaux et surtout la fin de la semaine des 40 heures, qualifiée pour l'occasion de « loi de paresse et de trahison nationale ». Daladier le capitulard s'écrie déjà tel un Fillon ou un Macron, reprenant le discours haineux des privilégiés vis à vis de la classe populaire: « Cette loi est responsable de tous les maux de l'économie. On ne peut avoir une classe ouvrière à deux dimanches et un patronat qui s'étrangle pour faire vivre le pays ».
Le 1er décembre 1938, 36 000 ouvriers sont licenciés dans l'aéronautique et les arsenaux, 8000 dans la chime et l'automobile.
Plus de la moitié sont des responsables syndicaux CGT. Dans son modeste appartement du 79, rue Daguerre où il vit depuis 1936, Croizat rédige son édito:
« Le 30 novembre, le patronat a opéré le savant triage qu'il attendait. Il tient sa revanche sociale sur 1936. Des femmes ont faim, des enfants ont froid. L'homme n'est plus au travail. Partout, les consignes ont été données par les patrons revanchards. Des listes noires circulent. Les sous-traitants des grandes entreprises ont été sommés de ne pas embaucher des ouvriers licenciés sous peine de voir leurs commandes supprimées. La haine est partout. Ils ont défendu leurs outils parce qu'ils croyaient en la grandeur de la France, en ses traditions de dignité, en cet espoir que mai 1936 avait fait éclore. Plus que jamais, nos solidarités vont vers eux. C'est eux, la France. Cette France bafouée par ceux qui ne rêvaient que de revanche ».
Tu ne crois pas si bien dire Ambroise. Après l'interdiction de la presse communiste, la dissolution du PCF, la déchéance des élus communistes faisant suite au climat d'anti-communisme exacerbé et de revanche sociale ayant pris pour prétexte mais non pour point d'origine le pacte germano-soviétique de l'été 39, tu es arrêté le7 octobre 1939 sur les marches de l'Assemblée Nationale, puis enfermé à la Prison de la Santé avec d'autres députés communistes, dont le père de Guy Môquet, Prosper, bientôt fusillé à Chateaubriand.
L'extrême-droite réclame purement et simplement la loi martiale pour les communistes. En Janvier 1940, Croizat fait parti des 36 députés communistes condamnés à 5 ans de prison au terme d'un simulacre de procès, sous l'impulsion des anciens collègues de l'Assemblée Nationale, dont certains appartenaient à la majorité du Front Populaire.
En octobre 1941, Croizat est au côté de Prosper Môquet quand le député communiste apprend l'assassinat de son fils Guy, arrêté le 13 octobre 1940 alors qu'il distribuait des tracts, le plus jeune des otages cégétistes ou communistes fusillés à Châteaubriant.
En avril 1941, Croizat et ses camarades communistes sont envoyés en prison en Algérie, où ils vivent dans des conditions de détention très dures.
Le débarquement allié à Alger a lieu le 8 novembre 1942 mais les députés communistes ne sont libérés que le 5 février 1943, après trois ans d'enfermement.
Les communistes dérangent, inquiètent. Les Américains craignent qu'une fois libérés, ils ne deviennent vite les principaux animateurs de la politique anti-vichyste et soulèvent entre autre le problème du droit à la Liberté des pays du Maghreb. Et de fait, une fois libéré, Ambroise Croizat contribue à réorganiser le mouvement communiste et le syndicat au Maghreb, à tel point qu'en janvier 1944, la CGT affiche 120 000 adhérents en Afrique du Nord.
Dès août 1943, dans un discours devant un public d'ouvriers, il parle de cette France nouvelle qui naîtra de la Libération:
« Redonner à la Nation sa grandeur et aux travailleurs la place qu'ils méritent par leur effort et leur sang versé sera notre tâche. Les larmes et la mort n'auront pas été vaines. Elles accoucheront d'une France nouvelle, celles des nationalisations et de la Sécurité Sociale ».
En septembre 1943, Ambroise Croizat rejoint au titre de la CGT l'Assemblée Consultative instaurée autour du Conseil National de la Résistance créé par De Gaulle à Alger le 3 juin 1943. Il préside la commission du Travail. C'est là que va prendre vie le programme du Conseil National de la Résistance.
Le programme du Conseil National de la résistance, constitué en mai 43, est arrêté le 15 mars 1944.
Il paraît en zone sud sous le nom simple et magnifique « Les jours heureux » et décline au futur liberté, démocratie économique, solidarité, avec pour fondement L'humain et l'intérêt général d'abord.
L'invention sociale est en marche: « Instaurer une véritable démocratie économique et sociale impliquant l'éviction des féodalités économiques et financières de la direction de l'économie... Retour à la Nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d'énergie, des richesses du sol-sol, des compagnies d'assurance et des grandes banques... Droit d'accès dans le cadre de l'entreprise aux fonctions de direction et d'administration pour les ouvriers et participation des travailleurs à la direction de l'économie... Droit au travail... Liberté de pensée et d'expression ».
Le chantier s'ouvre à la Libération avec une classe ouvrière grandie par engagement dans la résistance, une CGT à cinq millions d'adhérents, un parti communiste à 27% des voix... Le « Parti des Fusillés », premier parti de France, a acquis le prestige et l'autorité d'un parti national, d'autant que les groupes FTP ont accepté de rendre les armes pour que s'installent les commissaires de la République et l'autorité des lois plutôt que celles des maquis.
En Octobre 1945, 5 millions de voix se portent aux législatives sur les communistes, qui obtiennent 151 députés à l'Assemblée Nationale.
Le 13 novembre 1945, De Gaulle, chef du gouvernement provisoire, fait appel à cinq communistes. Aucun grand ministère régalien mais Charles Tillon au ministère de l'armement, François Billoux à l'Economie Nationale, Marcel Paul à la Production Industrielle, tandis que Maurice Thorez se voit confier un ministère d'état et qu'Ambroise Croizat hérite du travail et de la Sécurité Sociale.
L'ordonnance qui crée la Sécurité Sociale paraît le 4 octobre 1945.
La protection sociale, qui relevait jusque là des « Assurances sociales » (loi du 5 avril 1928), ne protégeait contre la maladie qu'une faible partie des salariés et de leurs ayant droit. A peine un tiers de la population française... Le système était anarchique, avec une multitude de caisses patronales, confessionnelles, syndicales, mutuelles, concurrentes entre elles et n'offrant pour la plupart qu'une protection aléatoire.
Pour les retraites (loi de 1910), la couverture est dérisoire ou inexistante. Pas plus d'un million de Français en bénéficient, alors que 5 millions d'entre eux pourraient y prétendre et n'ont pour seuls recours que la charité et leurs économies.
"Désormais, analyse Michel Etiévent, la sécurité sociale devient un droit fondamental, universel, obligatoire et solidaire et non un mécanisme d'assurance couvrant un risque. Dans l'esprit d'Ambroize Croizat, la Sécurité Sociale devait couvrir tous les travailleurs, salariés ou non (loi du 22 mars 1946). Les non-salariés (petits commerçants, professions libérales et artisans notamment) refusèrent par la voix de leurs responsables, qui n'acceptaient pas de se laisser assimiler à de "vulgaires prolétaires". Beaucoup le regretteront.
Le nouveau système va "digniser" l'ensemble autour de quatre mots clefs:
- L'unicité: une institution unique, obligatoire, couvrira désormais l'ensemble des domaines de la protection sociale, des "risques sociaux", dit-on à l'époque (maladie, vieillesse, décès, invalidité ainsi que les accidents du travail, gérés jusque-là par les assurances privées). "L'ambition, déclarait Croizat à l'Assemblée, le 20 mars 1946, est d'assurer le bien-être de tous, de la naissance à la mort. De faire enfin de la vie autre chose qu'une charge ou qu'un calvaire".
- L'universalité: la couverture est étendue à tous les citoyens, avec la volonté de généraliser à court terme le nouveau système. Et ceci malgré l'opposition de certaines professions qui refuseront de s'y intégrer....
- La solidarité: c'est la pierre angulaire du système. Solidarité inter-générations, solidarité actifs-inactifs, malades bien-portants. Le tout financé par les richesses créées dans l'entreprise. En ce qui concerne le financement de l'institution, les propos de Croizat sont d'une modernité brûlante: "Outre le fait que cela grèverait fortement les contribuables, disait-il, faire appel au budget de l'Etat serait subordonner l'efficacité de la politique sociale à des considérations purement financières qui paralyseraient les efforts accomplis".
- Démocratie enfin, et c'est là "l'exception française" car seule une gestion par les intéressés eux-mêmes peut garantir que la santé restera un droit fondamental pour tous. Là encore, les mots du ministre sont novateurs: "Pour la première fois, l'appareil nouveau met la gestion de l'intérêt des travailleurs dans les mains des travailleurs eux-mêmes. Ceci est d'autant plus important car l'assurance (et particulièrement pour les accidents du travail) relevait jusqu'à ce jour de compagnies commerciales et, pour les allocations familiales, d'une gestion purement patronale".
L'ordonnance n'avait fait qu'énoncer les principes. Il restait à bâtir l'édifice. Ce sera l'oeuvre principale de Croizat. Deux ans d'un chantier immense, rendu possible par l'élan de solidarité et le nouveau rapport de forces politiques qui suit la Libération. Tout est à faire, substituer à l'immense fatras des 1093 Caisses diverses et organismes privés un système cohérent, décentralisé, bâti autour de 138 Caisses primaires d'assurance-maladie et 113 caisses d'allocations familiales, essentiellement gérées - au début tout du moins- par les travailleurs..."..
En mai 1946, grâce aux efforts d'Ambroise Croizat, une loi accorde une pension de retraite à tous les salariés âgés de plus de 65 ans. Quand Croizat quittera le gouvernement en mai 1947, le montant des retraites sera majoré de 130 à plus de 200%. 4 millions de français bénéficient de la retraite.
Le travail de Croizat au ministère du travail ne s'arrête pas là. Le 25 février 1946, il fait voter la loi sur la majoration des heures supplémentaires. Il fit de même pour l'augmentation des primes et le travail de nuit et du dimanche. C'est également Croizat qui fixe la durée des congés payés à un mois pour les jeunes de moins de 18 ans et à 3 semaines pour la classe d'âge entre 18 et 21 ans. Il est également à l'origine d'un vrai service public de l'emploi, de la refonte d'une grande partie du Code du Travail, de la revalorisation des rentes des mutilés du Travail et des vieux mineurs, de la création d'un Conseil national du Travail chargé d'examiner les projets relatifs à la législation sociale, mais également d'innover en la matière. Il engage un vaste chantier dans le domaine de la formation professionnelle pour libérer l'enseignement technique de la tutelle patronale ou confessionnelle. Grâce à ses efforts et à ceux de Maurice Thorez, de nouveaux statuts de la fonction publique sont adoptées. "On y trouve des avancées extraordinaires comme la reconnaissance intégrale du droit syndical, la participation des syndicats à la gestion du personnel, la démocratisation du recrutement, l'égalité des sexes pour l'accès à la promotion dans les services publics". On développe la prévention des accidents et des maladies du travail en créant la médecine du travail, les ancêtres des comités hygiène et sécurité. On attribue pour la première fois un rôle économique et décisionnel aux comités d'entreprise. En avri 1946, Croizat propose d'instituer l'égalité de salaire entre homme et femme: "Si l'égalité politique est une victoire partielle, l'égalité économique est une victoire complète" dit-il alors.
Quand l'éviction des ministres communistes a lieu en mai 47, au motif que les ministres et députés communistes sont trop ouvertement solidaires des ouvriers grévistes de chez Renault, la droite et les socialistes de compromission avec le patronat ont déjà redressé un peu la tête, freiné les nationalisations, remis en cause le statut des mineurs, des gaziers et électriciens, des cheminots, lancé la guerre d'Indochine, mais l'essentiel de l’œuvre de la Sécurité Sociale demeure.
Ismaël Dupont et André Le Roux, co-secrétaire de section dans le Pays Bigouden, au Guilvinec le 25 octobre pour le Repas Républicain des communistes dédié à Ambroise Croizat
Un château avec son pigeonnier pour le banquet des communistes du Pays Bigouden et du cap Sizun... Rien n'est trop beau pour la classe ouvrière, paroles que n'aurait pas renier Croizat...
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