Décryptage. Loin d’incarner une rupture avec le libéralisme des gouvernements passés et présent, Marine Le Pen franchit une étape supplémentaire dans le travestissement des orientations qu’elle défend en vue de l’élection présidentielle. Son projet constitue en réalité un danger pour les salariés, les plus démunis et la démocratie en général.
En campagne permanente depuis la dernière élection présidentielle, Marine Le Pen s’est d’abord présentée comme la championne de la « France des oubliés », avant de prétendre ces derniers mois parler « au nom du peuple ». C’est ce credo qu’elle et son équipe de campagne ont mis en avant ce week-end à Lyon lors des « assises présidentielles » du parti. Dans son discours de clôture, la candidate a promis une triple « révolution » : du patriotisme (économique, mais développant aussi l’identité nationale) ; de la proximité en proposant aux Français une « démocratie de contrôle » par le « référendum d’initiative populaire » ; de la liberté, notamment en « retrouvant la souveraineté nationale », qui amènera la France à sortir de l’Union européenne.
Dans un grand écart entre tentative autoritaire et promesse d’écoute des Français qui lui permet à la fois de justifier les aménagements cosmétiques de son programme et de surseoir à la clarification de certaines mesures, le FN flaire l’aubaine. Plutôt facile de proposer par exemple la « Sécurité sociale garantie pour tous », même sans développer, quand François Fillon lui sert le sujet sur un plateau, en totale rupture avec la majorité des Français. Se dégagent néanmoins du projet de la candidate des lignes de force qui reprennent les fondamentaux du parti d’extrême droite. Découpé en sept grandes parties (« une France fière », « une France prospère », etc.) et comptant 144 mesures, son programme présidentiel fait la part belle au rejet de l’immigration, à la sortie de l'Union européenne et au « patriotisme économique », à la sécurité et à l’« identité ». Selon la présentation qu'en fait Marine Le Pen, ce programme représente un « choix de civilisation (qui) engagera aussi l'avenir de nos enfants ». Nous avons décidé de le passer au crible. Le résultat est sans appel : les choix qui le guident feraient entrer la France dans une régression sans précédent depuis la Libération.
IMMIGRATION
C’est le pivot de toute l’argumentation du Front national. La « cause » mobilisatrice qui a présidé à la fondation de ce parti, il y a quarante-cinq ans. Pour le Front national, la lutte contre l’immigration est la question centrale de tout programme, quel que soit l’échelon visé, municipal, régional ou, en l’occurrence, national. Celui qu’elle propose pour cette campagne 2017 ne fait pas exception à la règle.
Marine Le Pen veut favoriser "l'entre-nous"
Le FN n’a cessé de batailler contre l’accueil de réfugiés, politiques ou économiques, et entend s’opposer à cette « déferlante migratoire », ainsi que la qualifie la candidate FN. Elle propose de fixer un « solde annuel » d’immigration légale à 10 000 personnes, les départs induits par les reconduites à la frontière de migrants, dont elle souhaite « simplifier et automatiser » l’expulsion, venant compenser l’entrée sur le territoire d’étrangers triés sur le volet. La fin du droit du sol est un pilier du programme, comme la « fin de l’automaticité du regroupement et du rapprochement familial », et la possibilité d’acquisition de la nationalité française réduite à « la filiation ou la naturalisation », dont les conditions seront « plus exigeantes ». Tellement qu’elles deviennent « impossibles » pour les « étrangers en situation illégale ». Pour tenir ces objectifs, Marine Le Pen propose toujours de renforcer les contrôles aux frontières, voire de fermer ces dernières, s’adjoignant l’aide de 6 000 nouveaux douaniers, qu’elle veut recruter. D’ailleurs, dénonçant les « pompes aspirantes » que représente, selon le FN, l’accès aux droits fondamentaux (à se soigner, à l’éducation, au logement), Marine Le Pen veut supprimer l’aide médicale d’État « réservée aux clandestins ». Tant pis si l’accès aux soins pour les plus démunis des arrivants en France permet de détecter des cas de maladies en protégeant ainsi l’ensemble des Français.
La priorité frontiste : la "priorité nationale"
La « préférence nationale » s’est muée en « priorité nationale », mais l’objectif reste le même : créer une division supplémentaire entre les travailleurs, entre les Français de fraîche date et ceux dits « de souche ». Cela commence par l’inscription de cette mesure dans la nouvelle constitution, dont le FN distribuait des exemplaires ce week-end. Y sont aussi inscrites « la défense de notre identité de peuple » et « la lutte contre le communautarisme ». Le logement social, dont l’« attribution prioritaire » revient aux Français. Idem pour le travail, puisque Marine Le Pen compte appliquer « la priorité nationale à l’emploi par l’intermédiaire d’une taxe additionnelle sur tout nouveau contrat d’employé étranger », a-t-elle déclaré au Monde, il y a quelques jours. Y compris les Européens, a d’ailleurs complété le vice-président Florian Philippot sur RTL, dans la foulée. Une méthode qu’elle compte également imposer aux clubs sportifs professionnels en y introduisant des quotas de joueurs de nationalité française.
Le musulman, un ennemi de l'intérieur
Le coordinateur du projet présidentiel, Jean Messiha, énarque et dirigeant du collectif Les Horaces, a beau vanter l’esprit de « synthèse » français, qui a fait que « Henri IV faisait des protestants et des catholiques un seul peuple », la « réconciliation nationale » n’ira pas plus loin. Car, si figure dans le programme la préoccupation d’« éradiquer le terrorisme » et de « briser les réseaux fondamentalistes islamistes » (lire par ailleurs), la manœuvre sert de prétexte à rendre suspect tout musulman. Il faut aller chercher cette proposition sur l’école pour le comprendre : « Garantir la liberté de scolariser ses enfants selon ses choix » est une référence à « l’enseignement libre » – traduisez catholique –, auquel l’extrême droite est attachée, mais « tout en contrôlant la compatibilité avec les valeurs de la République des enseignements dispensés dans les établissements privés hors contrat » signifie « garder un œil sur les écoles musulmanes »… Même le supposé féminisme de Marine Le Pen (le FN édite une brochure calquée sur Version Femina qui proclame en une « Je veux défendre les femmes françaises ») est ramené, dans la proposition « défendre le droit des femmes », à « lutter contre l’islamisme qui fait reculer leurs libertés fondamentales ».
SÉCURITÉ/JUSTICE
Voilà encore un domaine identitaire de l’extrême droite. Le FN prône un pouvoir fort : « L’autorité de l’État » a toujours figuré dans ses discours. Logique, car si cette demande d’autorité, régulièrement testée dans les sondages et plus encore depuis la vague terroriste qui a secoué le pays, est en augmentation dans la société, c’est chez les sympathisants FN qu’elle s’ancre le mieux : 60 % d’entre eux ont ce souci.
La militarisation de la société en marche
Marine Le Pen l’avait annoncé au Monde quelques jours avant ses assises de Lyon, elle entend augmenter immédiatement, si elle est élue, le budget de la défense à 2 % du produit intérieur brut, contre 1,5 % aujourd’hui, pour arriver à 3 % en 2022. Soit un doublement du budget pour supporter « la commande d’un second porte-avions baptisé Richelieu » (pour mémoire, le Charles-de-Gaulle, mis en circulation en 2001, a coûté 3 milliards d’euros, la « pérennisation de notre force de dissuasion nucléaire », « l’augmentation générale de notre format d’armée (davantage d’avions, de navires, de blindés) ». Au détriment de quel budget se fera cette inflation de dépenses d’armement, qui se distingue de la réponse aux besoins d’augmentation des moyens humains, qui devrait être la seule vraie priorité d’un(e) futur(e) président(e) ? Leur financement n’étant assuré que par des transferts de recettes, sans que de nouvelles recettes ne soient créées, la réponse découle d’elle-même : d’autres missions ou services publics paieront l’addition.
Quant aux forces de l’ordre, on notera que le « réarmement » proposé ne s’entend pas seulement sur les plans humain et matériel, mais aussi « moralement et juridiquement (notamment par la présomption de légitime défense) ». En clair, l’élargissement du champ de la répression autorisée par une police que l’on promet plus et mieux armée : la porte ouverte aux bavures et au sentiment d’impunité des forces de l’ordre porteuses de graves dérives pour un État dit de droit.
La justice sous contrôle de l'exécutif
Dans la société que Marine Le Pen brosse à grands traits dans son programme, la police occupe une place prépondérante. Aujourd’hui, le FN regarde d’un œil bienveillant les manifestations de policiers, soi-disant apolitiques et spontanées, qui réclament non seulement plus de moyens, mais aussi moins de « laxisme » de la part de juges (« supprimer l’École nationale de la magistrature » y pourvoira, selon le projet lepéniste) qui n’auraient qu’une hâte, délivrer les délinquants qu’ils arrêtent. Pour le FN, la « tolérance zéro » se décline, sur le terrain comme dans les palais de justice, par une répression aveugle et tous azimuts qui piétine les pouvoirs des juges : « Rétablissement des peines planchers », « suppression des remises de peine automatiques », coupure des aides aux parents de mineurs délinquants, « expulsion automatique des criminels et délinquants étrangers » pour qu’ils « purgent leur peine dans leur pays d’origine »… et tant pis si ces mesures, dont certaines ont été expérimentées durant le quinquennat Sarkozy, se sont révélées contre-productives, inapplicables ou inefficaces sur le plan de la lutte contre la délinquance et sa récidive ? Dans le futur rêvé du FN, « l’administration pénitentiaire (passerait) sous le giron du ministère de l’Intérieur », ce qui garantirait que les « 40 000 places de prison » supplémentaires qu’elle souhaite construire en cinq ans (portant le chiffre à 97 680 places) ne seraient jamais vides. Au passage, cela suppose une augmentation de budget de 1,28 milliard d’euros par an (un détenu coûte en moyenne 32 000 euros par an). Quant à la peine de mort, dont le retour a longtemps été une demande du FN, elle ne figure plus dans le programme de la candidate frontiste, même si elle s’y est déclarée à de nombreuses reprises « favorable personnellement ». Elle propose l’instauration de la « perpétuité réelle », c’est-à-dire la condamnation à mourir en prison…
INSTITUTIONS
Le FN et sa candidate prétendent parler « au nom du peuple ». Pour le préserver, c’est un grand bond en arrière que propose Marine Le Pen, en programmant, dès son accession à l’Élysée, l’appauvrissement de sa voix au Parlement et en Europe.
La "démocratie de proximité"... loin des Français
La présidente du FN, bien qu’ayant trouvé confortable, dix-huit ans durant et dans deux régions différentes, le statut d’élue régionale, envisage d’en finir avec les conseils régionaux et les communautés de communes… sans le dire expressément. Elle préfère parler de « maintien de trois niveaux d’administration : commune, département, État », sans s’expliquer sur les échelons voués à disparaître. Derrière sa proposition de « référendum en vue de réviser la Constitution » pour « élargir le champ d’application de l’article 11 », se cache la volonté de donner « plus de poids »… au chef de l’État. Car, au-delà du rétablissement du « septennat, non renouvelable » proposé par Marine Le Pen, l’article visé organise les conditions du référendum, notamment son contrôle par le Parlement. Le projet du FN ne fait pas mention de ce dernier à part pour valider son affaiblissement. Ainsi la proposition de « réduction du nombre de députés à 300, contre 577 aujourd’hui, et du nombre de sénateurs à 200, contre 348 actuellement », est-elle inspirée par une démarche à la fois comptable – moins de parlementaires égale moins de dépenses – et antiparlementariste, bien dans la tradition de l’extrême droite, qui surfe sur le climat actuel du « Tous pourris », entretenu – à tort – par les affaires. Ces mesures lui permettraient de se « débarrasser » d’un seul coup de 2 183 élus (1 758 conseillers régionaux et 425 parlementaires). Et si son programme prétend instaurer la proportionnelle à toutes les élections, il faut lire dans les détails pour déceler les lourdes concessions faites au scrutin majoritaire qui en dénature le sens : à l’Assemblée nationale, une « une prime majoritaire de 30 % des sièges » serait réservée à « la liste arrivée en tête » et un seuil d’éligibilité fixé à 5 %. Une manière d’assurer aux partis majoritaires une hégémonie ad vitam aeternam…
L'Europe, mère de tous les maux
Le FN prétend garantir l’indépendance de la France… mais ne va pas jusqu’à défendre la sortie de notre pays de l’Otan. Marine Le Pen fait illusion en prônant une mesure qui n’effraiera personne dans les cercles atlantistes : la sortie du « commandement militaire » de l’Alliance… ou comment faire passer la France du rang de caution à celui de vassale des puissances de l’Otan ! Cela colle bien à la volonté de Le Pen fille de s’afficher en élève modèle du nouveau président américain, dont elle se rêve en alliée, tout comme Le Pen père se voulait le « Reagan français ». Non, ce ne sont pas les États-Unis de Trump qui posent un problème au FN, mais l’Europe. Le parti compte mettre un terme à toute coopération européenne. Saluant le Brexit, à l’instar du président des États-Unis, elle entend, après une « négociation avec nos partenaires européens », organiser « un référendum » sur « l’appartenance à l’Union européenne ». Il s’agit, dit-elle, de « redonner à la France sa souveraineté monétaire, législative, territoriale et économique ». Pourtant, Marine Le Pen a l’air de douter des vertus de son propre programme : la sortie de l’euro ne figure plus clairement dans le texte, le FN lui préférant le terme de « retour à une monnaie nationale adaptée à notre économie ». Sortir de l’Europe sans sortir de l’euro, tout en en sortant… Le programme du FN a tout du leurre électoral, monument de tromperies sur les intentions réelles du parti et, surtout, sur les conséquences de ses choix pour la France et l’Europe.
Une nouvelle constituion pour valider l'isolement
Le FN a depuis longtemps tranché : il ne veut ni se battre pour une Europe plus sociale et solidaire, pour une Europe politique, mais en isoler la France. L’introduction de nouveaux principes (défense de l’identité, priorité nationale, lutte contre le communautarisme) dans la nouvelle constitution que propose Marine Le Pen participe de cette volonté. Comme le rétablissement de la « supériorité du droit national » sur le droit européen. Dans les faits, cela veut dire aussi, par exemple, supprimer le droit de vote des résidents européens aux élections locales. Pour parachever ce mouvement, la candidate FN veut que, « en cas de conflit de normes devant une juridiction entre un traité (européen – NDLR) et une loi (française – NDLR), le juge tranche en faveur de la loi, si celle-ci est postérieure au traité ». En clair, si un Parlement FN votait, demain, une loi sur le rétablissement du travail des enfants, elle serait supérieure à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne… Marine Le Pen propose, en outre, de « réaffirmer la supériorité de l’autorité judiciaire française sur les autorités judiciaires internationales reconnues par la France », Cour européenne des droits de l’Homme, Cour de justice et Tribunal pénal international inclus !
POUVOIR D'ACHAT
Marine Le Pen a un « problème » avec l’augmentation du Smic : « Cela entraîne une charge supplémentaire pour les entreprises, qui sont déjà dans une très grande fragilité dans notre pays », a-t-elle déclaré, le 25 janvier, sur Europe 1, pour justifier qu’elle ne l’augmentera pas. Niant l’effet mécanique d’une hausse du salaire de base, elle préfère distribuer des aumônes catégorielles pour flatter ses électorats.
Faute d'augmenter les salaires, le FN colle des rustines
La présidente du FN n’a jamais été pour la hausse des bas salaires : depuis 2012, sa ligne est de faire financer la hausse du pouvoir d’achat aux travailleurs eux-mêmes, les 200 euros d’augmentation qu’elle proposait à la dernière présidentielle étant en fait une baisse de cotisations sociales du même montant, grevant les finances publiques. En 2017, elle propose une ridicule « prime de pouvoir d’achat » annuelle – Marine Le Pen a avancé à Lyon, dimanche, le chiffre de 1 000 euros par an, qui n’est pas repris dans son projet présidentiel –, pour « les bas revenus (jusqu’à 1 500 euros – NDLR) et les petites retraites ». La mesure serait financée par « une contribution sociale sur les importations de 3 % »… ce qui aura pour effet mécanique de faire grimper les prix des produits concernés d’autant, les consommateurs les plus modestes, qui sont aussi les plus tentés par les produits importés à bas coût, finançant ainsi eux-mêmes cette soi-disant prime de pouvoir d’achat ! Concernant l’augmentation promise du minimum vieillesse, pas besoin d’annoncer de financement : cela se déduit tout seul de la suppression de son versement aux étrangers, puisqu’il sera désormais « conditionné à la nationalité française ou à vingt ans de résidence en France ». Quant à la « diminution de la taxe d’habitation pour les ménages modestes » et à celle « de 10 % des taux des trois premières tranches de l’impôt sur le revenu », le FN ne précise pas non plus de financement. Et quant à la « défiscalisation des heures supplémentaires », elle est inefficace, l’expérience Sarkozy l’a prouvée. Non seulement cette défiscalisation a privé la protection sociale de 4 milliards d’euros par an de cotisations, mais encore elle a fortement dégradé l’emploi, des plus précaires notamment : une étude du ministère du Travail de 2010 a montré que 44 % des entreprises concernées utilisaient cette mesure comme alternative au recrutement en CDI ou CDD, et 52 % pour remplacer l’intérim.
Des promesses... non financées pour le public
Les salariés de la fonction publique et leurs bataillons d’électeurs (5,4 millions de salariés) sont une nouvelle proie pour le FN. Aussi avance-t-il des propositions destinées à les séduire, qui l’engagent d’autant moins que Marine Le Pen ne dit pas comment elle compte les financer, comme la « hausse du point d’indice », de même que la promesse de « maintenir au maximum les hôpitaux de proximité », ce qui n’engage pas à grand-chose, ou d’« augmenter les effectifs ». Les quelques pistes avancées sont là aussi imprégnées par l’obsession de la « priorité nationale » : ainsi celle de « relever le numerus clausus » dans les études de santé, justifiée par la nécessité d’« éviter le recours massif aux médecins étrangers », celle de la suppression de l’aide médicale d’État pour les étrangers, ou encore celle de « lutter contre la fraude » en créant une carte Vitale biométrique « fusionnée avec le titre d’identité », donc réservée aux seuls Français…
FISCALITÉ
Le FN avance ici aussi à visage masqué : alors qu’il s’est toujours prononcé pour la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou sa disparition-fusion avec d’autres impôts comme la taxe foncière, le FN ne mentionne plus ce marqueur sans doute jugé trop ouvertement ultralibéral dans la nouvelle mouture de son programme, proposant désormais son maintien… Si d’autres expressions sont apparues, comme la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, le FN préserve toujours le capital, en menant, sous couvert de « fiscalité plus juste », une politique à la discrétion des plus riches.
Des héritiers non épargnés
Le diable est dans les détails. Certes, le FN inscrit en gras son refus de « toute hausse de la TVA » ou son intention de « baisser de 10 % l’impôt sur le revenu sur les trois premières tranches », mais il faut regarder plus loin. Que cache, par exemple, la proposition, insérée dans la partie « Garantir la protection sociale » et intitulée « Renforcer la solidarité intergénérationnelle », de pouvoir « transmettre sans taxation 100 000 euros à chaque enfant tous les cinq ans (au lieu de quinze ans actuellement) et en augmentant le plafond des donations sans taxation aux petits-enfants à 50 000 euros, également tous les cinq ans » ? Une mesure de préservation du capital des plus fortunés. Pour rappel, le patrimoine des Le Pen, bien que Marine et Jean-Marie le sous-estiment sciemment dans leurs déclarations de patrimoine, dépasse plusieurs millions d’euros… Quant à la suppression des « impôts à très faible rendement », Marine Le Pen ne dit pas lesquels sont visés… mais il est clair que l’ISF peut entrer dans ce cadre, si on le compare à l’impôt sur le revenu ou à la TVA. Est-il crédible, enfin, d’annoncer vouloir « lutter efficacement contre l’évasion fiscale » ? Non, si l’on se souvient que le nom de Le Pen père était cité dans l’affaire d’évasion fiscale dite des Panama Papers, comme ceux de proches de Marine Le Pen (Frédéric Châtillon, principal acteur de sa communication).
Le Medef n'en demandait pas tant
L’entreprise familiale Le Pen n’oublie pas l’entreprise tout court. Ainsi Marine Le Pen veut-elle réduire le taux d’impôt sur les sociétés à 15 % pour les TPE et créer un « taux intermédiaire » à 24 % (contre 33 % aujourd’hui) pour les entreprises moyennes, abaisser les « charges » sociales des TPE et PME, autant de recettes dont le patronat a toujours goûté la saveur. Le « soutien aux entreprises » est inscrit dans l’ADN du parti d’extrême droite, pour qui privilégier « l’économie réelle » n’est bien évidemment pas améliorer les conditions de travail des Français.
Le dialogue social sous contrôle
Sur le plan social également, le FN est « Medef-compatible »: la réduction des « obligations administratives liées au seuil social de 50 salariés » est assortie d’une fusion des institutions représentatives du personnel qui va éloigner les salariés de leurs élus et affaiblir le dialogue en entreprise. En cohérence avec la proposition d’instaurer une « véritable liberté syndicale par la suppression du monopole de représentativité » qui ouvre la voie aux syndicats « maison » et celle de « moraliser la vie syndicale par un contrôle public (de leur) financement », prétexte à leur musellement et à leur contrôle tout courts. Ajoutez à cela la « possibilité d’allongement du temps de travail via des accords au niveau des branches professionnelles », en contradiction flagrante avec l’affirmation du « maintien de la durée de travail à 35 heures », et vous aurez la teneur de l’imposture du FN. Un exemple ? Marine Le Pen dit vouloir abroger la loi travail, et pourtant les sénateurs FN n’ont pas voté la proposition de loi communiste déposée en janvier. Les actes en disent plus que les mots…
SÉCU
La retraite à 60 ans, un leurre intégral pour le FN
Le FN reprend la proposition phare de la gauche, abandonnée par le social-libéralisme de Hollande et Valls, de la retraite à 60 ans au bout de « quarante annuités de cotisations pour percevoir une retraite pleine ». Disons-le tout net, c’est une filouterie : le FN n’avance en effet aucune piste de financement, pourtant plus essentielle que dans n’importe quel autre domaine pour permettre de garantir ce droit, puisque c’est au nom du déficit des caisses de retraite et du refus d’envisager de nouveaux financements que les gouvernements successifs ont mené leur réforme d’allongement de l’âge légal à 62 ans et des annuités demandées pour y prétendre. Faute de réduire significativement le temps de travail, de proposer une politique de relance audacieuse des salaires apte à générer de l’emploi et des cotisations, et de mettre à contribution les revenus financiers, il n’y a aucune chance de voir rétablie la retraite à 60 ans. Ces questions ne sont en effet pas un détail technique qui pourrait se régler une fois passées les élections : elles sont au cœur de la lutte à mener face au refus catégorique des forces de l’argent de contribuer davantage au financement du système solidaire. Il est donc clair que le FN avance sur ce terrain par pur opportunisme électoral, dans le but tactique de priver ses adversaires d’un argument, mais qu’il n’a aucunement l’intention de passer aux actes.
Garantir la Sécu... en l'accusant de tous les maux
Cette indigence des propositions sur le point crucial du financement s’illustre d’ailleurs dans le chapitre concernant l’assurance-maladie, le FN se targuant de « garantir la Sécurité sociale pour tous les Français (la précision est capitale, puisqu’il faut alors comprendre que les étrangers, qui cotisent pourtant dans les mêmes conditions, en seraient exclus – NDLR) ainsi que le remboursement de l’ensemble des risques pris en charge par l’assurance-maladie ». On voit bien l’objectif, pour le FN, de prendre le contre-pied de la proposition de Fillon de ne plus faire rembourser les « petits risques » par le régime de base qui a tant inquiété les électeurs : Marine Le Pen espère faire venir à elle les déçus du candidat de la droite. Mais comment compte-t-elle pérenniser la couverture santé – qu’elle ne propose d’ailleurs aucunement d’améliorer, en dépit de son insuffisance ? Eh bien, « en simplifiant l’administration du système , en luttant contre la gabegie financière et en investissant dans les nouveaux outils numériques pour permettre des économies durables ». Quel est le montant de cette mystérieuse « gabegie », alors que le système crève du sous-financement ? L’administration est-elle si complexe qu’on puisse gagner de l’argent en la « simplifiant », alors que tout le monde reconnaît que la Sécu a des frais de gestion inférieurs à n’importe quelle assurance complémentaire ? Les « économies durables » escomptées de l’usage des outils numériques annoncent-elles des fermetures de guichets d’accueil du public ? Tout cela n’est pas sérieux, si ce n’est que le vocabulaire employé (gabegie, simplification, économies…) désigne à nouveau la Sécu comme coupable des maux du système, et semble bien plutôt préparer de nouvelles réformes d’austérité.
SOCIÉTÉ
S'il existe plusieurs lignes au Front national, elles se réconcilient toujours sur les fondamentaux de l’extrême droite : identité, famille, chrétienté. Mais les services publics, la défense du monde paysan, l’école émancipatrice ou la mixité sociale passent à la trappe.
Une politique familiale à définition étroite
« Un papa, une maman, il n'y a pas mieux pour un enfant. » Ce slogan de la Manif pour tous résonne encore dans la tête de Marine Le Pen, qui propose, dans la partie « une France juste » (sic), de « créer une union civile (Pacs amélioré) qui viendra remplacer les dispositions de la loi Taubira ». Même « sans effet rétroactif », c'est une abrogation du mariage pour tous qui ne dit pas son nom. Ce souci de la famille stéréotypée est également visible dans la proposition de « mettre en œuvre une politique nataliste »... « réservée aux familles françaises ».
« Une France éternelle », le slogan oublié
Dans la partie « une France fière », pas de fioritures : dès la première ligne est affirmée la volonté de « défendre l'identité nationale, les valeurs et les traditions de la civilisation française ». La citoyenneté française est un « privilège » qui ouvre d'ailleurs droit à la « priorité nationale » qui serait inscrite dans la Constitution. Ici, le vocabulaire n'est que « défense » de la citadelle France assiégée : « défendre » la langue, « rétablir » l'égalité réelle en « refusant le principe de ‘‘discrimination positive’’ » pourtant introuvable dans les textes de loi français, « défendre » l'unité et l'intégrité du territoire français... Et encore une fois, la « laïcité » est utilisée comme un outil coercitif qui s’étend à « l'ensemble de l'espace public » et « dans le Code du travail ». Traduction : interdiction du voile, de la kippa et autres burkinis, partout et tout le temps. À quand une « police vestimentaire » à l'iranienne pour veiller au respect des règles qui siéent au FN ?
L'école à la baguette
Marine Le Pen a entendu son allié Robert Ménard, le maire d’extrême droite de Béziers : « Le port de l'uniforme à l'école » sera rendu « obligatoire » si elle était élue. Elle entend ainsi focaliser l'attention d'élèves débarrassés du paraître sur « l'apprentissage des fondamentaux », français, calcul et histoire (exit « l'enseignement des langues et cultures d'origine »). D'ailleurs, la « promotion du roman national » comme le « refus des repentantes d'Etat » seront au programme scolaire. Les cours d'histoire vont s'en ressentir ? Qu'importe, puisque l'obligation de « neutralité » sera imposée aux élèves comme aux professeurs, forcément mal-pensants... Et si les élèves se révèlent imperméables aux nouvelles règles, la candidate frontiste leur ménage une issue, en développant « massivement l'alternance » en entreprise (contrat d'apprentissage et de professionnalisation) dans l'artisanat, le secteur public et privé.
Une politique agricole revue... sans les revendications paysannes
Les paysans sont des Français comme les autres, qui n'aspirent selon le FN qu'à sortir de l'Europe. C'est ce qu'elle leur propose en transformant « la politique agricole commune en politique agricole française », sans sortir du système de « subventions », même si elles seraient désormais fixées « par la France et non plus par l'Union européenne ». Mais pour « sauver et soutenir le modèle français des exploitations familiales », ne sont proposés que le « patriotisme économique », le développement des circuits courts, la simplification des normes administratives ou l'encouragement à « l'installation des jeunes agriculteurs » à coups de défiscalisation, la promotion des labels français... Des mesures étudiées pour séduire mais qui ne prennent pas en compte la principale revendication paysanne : vivre de son travail, pas de subventions. Et ce n'est pas la promesse d'améliorer les infrastructures « en particulier dans la ruralité » qui compenseront leurs pertes.
L'égalité mais pas pour tout le monde
Marine Le Pen veut « rééquilibrer la politique de la ville vers les zones désertifiées et rurales ». Tant pis pour le collectif Banlieues patriotes du Rassemblement bleu Marine, qui devait savoir à quoi s'en tenir. C'est un seul ministère, regroupant aménagement du territoire, transports et logement qui serait chargé d'assurer cette « égalité sur tout le territoire ». Le FN pille comme autant de slogans des revendications de la gauche pour brouiller les cartes, en promettant de « renationalis(er) les sociétés d'autoroutes » ou de refuser « la libéralisation du rail ». Mais le FN ne détaille pas la manière dont il compte s’y prendre, et pour cause ! Quand ils en ont eu l’occasion, le 7 avril 2015, ses sénateurs ont refusé de voter un amendement communiste qui obligeait le gouvernement à déposer au Parlement « un rapport examinant les conditions de mise en œuvre d’une nationalisation des sociétés d’autoroutes ». Quant au ferroviaire, les élus FN au Parlement européen ont voté le deuxième « paquet » de libéralisation en 2004, puis Marine Le Pen s’est abstenue sur le troisième en 2007, quand son père siégeant à ses côtés l’approuvait… Bref, faîtes ce que je dis, pas ce que je fais.
Mais ce n’est pas tout, le FN veut aussi s’attaquer aux « normes d'urbanisme et de construction ». En clair : en finir avec la règle d'obligation de construction de 25 % de logement social sous peine de sanctions. Avec Le Pen aux commandes, non seulement le logement social ne suffira pas aux besoins (aujourd'hui plus de 60 % des Français y sont éligibles) mais en le réservant « prioritairement aux Français », le FN affiche la couleur : plutôt que de répondre à la demande, il propose de partager la pénurie, en créant de nouvelles divisions entre les plus modestes… au plus grand profit des bailleurs privés qui prospèrent sur la crise de l’habitat ! D'ailleurs, ce type de logement à loyer modéré se raréfiera également par le rachat facilité « par les locataires de leur logement social pour parvenir à 1 % du parc HLM vendu chaque année ». Le « grand plan d'aide à la construction et à la réhabilitation » promis, comme « la baisse de la taxe d'habitation pour les plus modestes et le gel de son augmentation », la « pérennisation » de l'aide personnalisée au logement ou le « plan de construction de logements étudiants » servent à faire avaler la pilule d’une politique de destruction programmée du parc social, et ne suffiront pas à désengorger un marché au bord de l'explosion.
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