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20 décembre 2016 2 20 /12 /décembre /2016 07:14
drapeau basque en Palestine, Béthléeem (photo I. Dupont)

drapeau basque en Palestine, Béthléeem (photo I. Dupont)

«L'Espagne et la France sont responsables de ce qui se passe au Pays basque»
 PAR ANTTON ROUGET

Secrétaire général d’Interpol de 1985 à 2001, le Britannique Raymond Kendall est aujourd’hui membre du groupe international de contact (GIC) censé coordonner la commission de désarmement de l’ETA.  Il dénonce l’inflexibilité des gouvernements français et espagnol. 

L’opération policière de Louhossoa n’est que le dernier épisode du récit de l’échec du processus de paix basque. Vendredi soir, dans ce village du Pays basque français, cinq personnalités locales ont été interpellées dans le cadre d’un vaste coup de filet antiterroriste. Présentée par le ministère de l’intérieur comme un nouveau coup porté à l’organisation ETA, l’opération a en réalité visé un groupe de militants pacifiques ayant pris en main la démilitarisation de 15 % de l’arsenal du groupe armé.

Car depuis 2011 et l’arrêt de la violence au Pays basque, les gouvernements refusent de s’asseoir à la table des négociations. « Ce qui se passe aujourdhui est de la responsabilité des États », dénonce, dans un entretien à Mediapart, Raymond Kendall, secrétaire général d’Interpol de 1985 à 2001 et membre du groupe international de contact (GIC). Fondé en 2011 au lendemain de la « conférence pour la paix » conduite par le Prix Nobel de la paix Kofi Annan, le GIC réunit plusieurs personnalités internationales, expertes en résolution de conflit chargées de la coordination du processus de paix basque. Il est notamment composé de Brian Currin, expert de la commission « vérité et réconciliation » post-apartheid en Afrique du Sud, de Silvia Casale, criminologue, membre de la commission chargée de la révision des peines pour l’Irlande du Nord et présidente, de 2000 à 2007, du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), ou encore d’Alberto Spektorowski, professeur de science politique à l’université de Tel-Aviv (Israël), membre de la délégation israélienne au sommet de Camp David en juillet 2000.

Comparant la situation avec le désarmement de l’IRA planifié avec le gouvernement britannique, Raymond Kendall révèle que Paris n’a jamais voulu donner suite aux sollicitations du GIC, dit « comprendre » les motivations des militants pacifiques de Louhossoa et s’inquiète des « frustrations » que cette situation engendre au sein de la société basque et de l’ETA. Entretien.

Cinq représentants de la société civile ayant mené une action de désarmement de lETA ont été transférés à Paris ce dimanche afin d’être présentés à un juge dinstruction. Comment en sommes-nous arrivés à cette incroyable situation ?

Pour moi, tout cela vient du fait que les autorités françaises et espagnoles ont refusé de discuter de ce sujet avec les personnes qui étaient équipées pour le faire. Le fait est que nous avons cherché le moyen de créer les conditions d’un désarmement, au niveau juridique notamment. Dans tous les accords de désarmement, les gens qui ont reçu les armes ont eu des immunités fixées par le gouvernement pour qu’ils soient protégés chaque fois que sont déplacés les armes, explosifs et munitions.

Ici, le procureur va poursuivre les personnes qui ont été arrêtées pour les délits qu’elles ont commis, en réceptionnant les armes parce qu’elles ont fait ça illégalement sans avoir la protection d’un accord. On peut se dire : « Oui mais ces gens-là essayaient de récupérer des armes, etc. » En fait, ils ont essayé de mettre en place un désarmement sans avoir pris les précautions nécessaires. C’est pour cela qu’ils se trouvent dans cette situation et, malheureusement, on ne peut pas tellement protester puisqu’ils connaissaient bel et bien les risques qu’ils prenaient.

Pourquoi ?

À partir du moment où les membres de l’ETA ont dit qu’ils étaient d’accord pour rendre leurs armes, ils voulaient que des conditions de protection soient accordées avant de le faire. Ils savaient très bien que s’ils étaient trouvés en possession d’armes, quelles que soient les conditions, ils seraient poursuivis.

Or les États ont chaque fois refusé, en disant : « Vous faites ce que vous voulez, nous, on veut que vous rendiez tout ce quil y a à rendre sans conditions et que lorganisation soit dissoute. » Ce qu’ils demandaient en fait aux gens de l’ETA était tout simplement impossible. Il est arrivé exactement la même chose en Irlande du Nord, sauf que le gouvernement britannique était d’accord pour fixer les conditions juridiques dans lesquelles le désarmement pouvait se faire.

Quelle différence avec lexemple irlandais ?

C’est très simple. L’initiative pour le désarmement de l’IRA a été prise par le gouvernement britannique. C’est donc lui qui contrôlait tout et maîtrisait parfaitement les conditions juridiques, adoptées par le parlement, pour faire ce qu’ils ont fait.

Cela a été un peu compliqué à mettre en œuvre car on ne devait pas donner la possibilité à l’ensemble des membres de l’IRA de transporter des armes. Les conditions qui ont été fixées étaient parfaitement raisonnables et jugées acceptables par l’ensemble des parties. Mais ici les décideurs bloquent. Les seules personnes qui pouvaient débloquer la situation étaient les autorités gouvernementales françaises et espagnoles, mais elles ont refusé jusqu’ici de négocier quoi que ce soit.

L’Espagne, surtout, veut que l’ETA se rende sans conditions. Pour la France, ce n’est pas compliqué : chaque fois que l’Espagne dit quelque chose, elle dit « daccord ». Je me rappelle que Manuel Valls, quand il a pris ses fonctions de ministre de l’intérieur en 2012, est allé en Espagne et a dit publiquement : « Nous sommes avec vous. Tout ce que vous préconisez, nous le suivons. » Ils ne veulent rien écouter sur le sujet. C’est pour cela que nous en sommes là aujourd’hui.

Pourquoi une telle inflexibilité ?

Cela a toujours été le cas. Il est plus simple pour les gouvernements de dire : « Écoutez, il sagit dune organisation terroriste. Point final. » Jusqu’en 2011, il y a eu des attentats. Le temps a depuis passé sans une action de la part de l’ETA. Le danger s’est éloigné. L’ETA a passé cinq ans sans commettre d’attentat : on peut légitimement croire ce qu’ils disent. 

Je crois que l’attitude des gouvernements commence à créer une situation difficile pour l’État français, alors qu’il est obligé de faire appliquer la loi sachant qu’il a toujours refusé de créer les conditions pour que l’ETA rende son arsenal. Le blocage est total. Ce qui compte maintenant est la manière dont l’opinion publique peut percevoir la décision des représentants du mouvement social [de procéder eux-mêmes au désarmement – ndlr]. Car cela ne se résume pas à une simple infraction à la loi : en faisant cette action, ils ont essayé de démilitariser une organisation terroriste et armée.

Justement, le nouveau ministre de lintérieur Bruno Le Roux a estimé samedi que« personne na le droit de se proclamer destructeur darmes » et a sous-entendu que le groupe aurait pu détruire des preuves. Comment analysez-vous cette déclaration ?

Le ministre de l’intérieur est quand même obligé d’appuyer l’action de son gouvernement. Il y a une explication très simple qui dit : « Ce sont des gens qui ont enfreint la loi. » Mais, moralement, l’opinion publique n’accepte pas ce genre d’arguments dans les circonstances dans lesquelles tout ça se présente. Elle va répondre : « Mais, écoutez, que pouvaient faire ces gens-là ? Ces armes, ils voulaient les rendre, mais vous ne facilitez pas les choses. » Le gouvernement a eu durant cinq ans la possibilité de régler cette question une bonne fois pour toutes mais a toujours refusé toutes les propositions qui ont été faites.

Au début, quand notre groupe s’est formé, nous avons immédiatement créé la commission de désarmement. Cette commission a commencé à travailler. Il y a même eu un premier semblant de rendu de son arsenal par l’ETA, mais ce n’était pas vraiment sérieux. Aujourd’hui, nous avons quasiment arrêté le travail de la commission car cela n’allait nulle part, pour les raisons que j’ai expliquées précédemment.

Les gens de cette commission ont l’expérience irlandaise, ils savent ce qu’il faut faire. Mais, chaque fois que quelqu’un a fait des propositions officielles, cela a échoué. Le gouvernement français, par exemple, ne reconnaît même pas notre groupe. Il ne veut pas discuter avec nous.

Et puis, il y a eu cet incident ridicule où nous avons été convoqués au commissariat de Bayonne pour nous expliquer [en mars 2014, après la remise d’une infime partie du stock d’armes de l’ETA justement – ndlr]. Je veux bien croire que le ministre de l’intérieur est un peu embêté, surtout parce qu’il a agi [vendredi] à partir d’une information qui ne venait même pas de la France. C’étaient des informations qui venaient d’Espagne. Alors il peut dire lui même : « Ah oui, mais nous, on coopère avec les Espagnols, etc., etc. »Mais cela n’explique pas le refus qu’a opposé le gouvernement pour essayer de trouver une solution.

Avez-vous cru que Paris aurait pu sengager dans le processus de paix après la conférence internationale pour la résolution du conflit basque du 17 octobre 2011 ?

Les gens de l’ETA pensaient pouvoir négocier avec la France. Notre groupe aussi pensait qu’on pouvait peut-être changer l’attitude de la France, même si on ne pouvait rien faire en Espagne.

Nous avons notamment cru qu’un argument humanitaire pouvait marcher. Les prisonniers, par exemple, ont essayé de négocier le rendu des armes afin d’améliorer leurs conditions de détention. Il faut dire que la France comme l’Espagne ont été condamnées par la Cour européenne des droits de l’homme pour les conditions dans lesquelles les prisonniers sont maintenus en détention. Toutes les conditions prévues par les textes internationaux ne sont pas respectées ni par la France, ni pas l’Espagne. Nous avons évidemment voulu régler cela avec les autorités. Mais la porte a été refermée chaque fois.

La protestation contre les interpellations sorganise au travers de manifestations et de pétitions. Localement, des représentants de tous les partis politiques réclament la libération des personnes interpellées. Des mouvements comme Greenpeace France, Attac, la Ligue des droits de lhomme ou la Confédération paysanne se sont joints à cet appel. Cette contestation peut-elle mettre en difficulté le gouvernement de Bernard Cazeneuve ?

Il y a de nombreuses oppositions qui se manifestent. En France notamment, le mouvement social et les politiques de la région sont entrés en jeu pour essayer de régler le problème et il y a eu un début de protestation de certains représentants politiques français. Il faut attendre quelques jours pour voir comment cela va évoluer.

Il est évident que cela pourrait devenir un vrai problème politique pour le gouvernement. Mettez-vous à la place des gens dans la rue. S’ils examinent la situation, ils vont dire : « Mais, attends, la décision judiciaire [de poursuivre les personnalités interpellées – ndlr] ne me paraît pas acceptable dans le cas où il sagit de personnes qui essayent de désarmer une organisation terroriste. Cest le gouvernement qui lempêche.»

Je comprends par ailleurs la frustration de ces représentants du mouvement social qui ont fait l’action [de Louhossoa]. Cela s’explique. Quand vous êtes bloqué chaque fois, quoi que vous proposiez, il est évident que cela pousse les gens vers la frustration. Heureusement, que l’ETA elle-même n’a pas fait part de sa frustration. Cela aurait pu mener à la reprise des attentats.

 

 

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