Les forces du régime syrien et ses alliés ont repris la quasi-totalité de la ville.
« L'humanité semble s'être totalement effondrée à Alep », dénonce l’ONU.
Les forces du régime syrien, appuyées par les combattants du Hezbollah et l'armée russe, ont repris la quasi-totalité des quartiers d'Alep encore tenus par les rebelles, a annoncé mardi matin une source militaire syrienne. Les défenses des insurgés dans la grande ville du nord de la Syrie se sont effondrées dans la journée de lundi, laissant aux forces gouvernementales plus de la moitié des derniers secteurs que tenait encore la rébellion.
Les forces gouvernementales pourraient annoncer « d'une minute à l'autre »l'achèvement de la reconquête de la ville, selon un porte-parole militaire du régime cité par Reuters. Au terme d'un mois d'une offensive militaire massivement appuyée par les bombardements russes, le régime d'al-Assad reprend ainsi le contrôle de la ville dont la partie est était tenue par la rébellion depuis l'été 2012. Dès lundi, les témoignages et accusations se sont multipliées, faisant état de massacres de civils dans les derniers quartiers reconquis par les forces gouvernementales.
Des dizaines de milliers de civils restaient piégés dans ces zones pilonnées par les forces gouvernementales, également massivement engagées sur le terrain. Après une journée d'intenses pressions diplomatiques sur Moscou, un accord était conclu mardi en fin d'après-midi qui devrait permettre l'évacuation de civils. L'ambassadeur russe aux Nations unies a confirmé mardi soir cet accord, insistant sur le fait qu'il portait également sur l'évacuation des rebelles tenant encore des positions dans les quartiers est. De son côté, la télévision d’État syrienne a diffusé des images filmées dans les quartiers repris aux rebelles et montrant des centaines d’hommes et de femmes quittant les zones de combats.
« L'humanité semble s'être totalement effondrée à Alep », où de multiples sources signalent des assassinats de civils par des soldats syriens et des miliciens iraniens alliés au régime, ont déclaré mardi des porte-parole de l'ONU à Genève. Rupert Colville, porte-parole du Haut Commissaire de l'ONU pour les droits de l'homme, a exprimé son « appréhension la plus viscérale » pour le sort des milliers de civils qui seraient toujours dans cette « enclave infernale de l'est d'Alep assiégé », redoutant pour leur sort.
« Au total, en date d'hier soir (lundi), nous avons reçu des informations sur l'assassinat par les forces pro-gouvernementales d'au moins 82 civils dont 11 femmes et 13 enfants dans quatre quartiers différents – Boustan Al Qasr, Fardous, Al Kalasah et Salihine
», a-t-il poursuivi, ajoutant que ces civils auraient été abattus en tentant de fuir de chez eux. « Il pourrait y en avoir bien plus », a-t-il dit, réclamant que des organismes extérieurs comme l'ONU puissent surveiller ce qui se passe à Alep.
« Selon un rapport très alarmant d'un docteur présent dans la ville, beaucoup d'enfants, peut-être plus de cent, seuls ou séparés de leurs familles, sont piégés dans un immeuble visé par de violentes attaques dans l'est de la ville », a déclaré l'Unicef dans un communiqué : «Nous appelons toutes les parties à autoriser une évacuation immédiate et sûre de tous les enfants.»
La France a obtenu mardi la tenue d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU pour évoquer les exactions qui auraient été commises à Alep par les forces de Bachar al-Assad et de ses alliés. « Face aux allégations d'exactions à Alep, la France demande une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies », écrit le chef de la diplomatie française Jean-Marc Ayrault sur son compte Twitter. Pour Ayrault, les soutiens du régime, « à commencer par la Russie, ne peuvent pas laisser faire et admettre cette logique de vengeance et de terreur systématique sans prendre le risque d’en être complices ».
À l'image de la dizaine de pays occidentaux et arabes réunis samedi à Paris, la France apparaît démunie face à l'opération de reconquête en cours des quartiers est de la ville par les forces de Bachar al-Assad, appuyées par leurs alliés russe et iranien, poussant à la fuite des milliers de civils. Depuis la reprise des bombardements mi-septembre des quartiers tenus par les rebelles par les aviations russe et syrienne, la communauté internationale a tenté, en vain, de convaincre les alliés du régime – Russie et Iran – d'user de leur influence pour mettre en place un cessez-le-feu immédiat.
Des appels jusqu'à présent restés lettre morte. Pour la sixième fois depuis le début du conflit en Syrie en 2011, la Russie a mis son veto le 5 décembre dernier à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Le texte demandait notamment l’arrêt des bombardements sur les quartiers est d’Alep, pour permettre l’acheminement d’aide humanitaire. Malgré ce blocage à l'ONU, la France entend maintenir « la pression sur le régime et ses soutiens », a souligné une source diplomatique, pointant une contradiction russe. « On ne peut pas être dans une stratégie à la Grozny, raser tout le pays, et réclamer en même temps des négociations politiques. Le régime syrien ne gagnera pas cette guerre, les Russes ne gagneront pas cette guerre. Il ne faut pas penser que, une fois la Syrie utile reconquise, tout va reprendre comme avant, les fleurs vont repousser, l'Union européenne va payer la reconstruction et on tournera la page du conflit syrien. »
Dans la partie gouvernementale de la ville, des manifestations de joie se sont poursuivies jusque tard dans la nuit de lundi à mardi pour fêter ce que les autorités syriennes présentent comme la reconquête imminente de toute la ville. Le général syrien Zaïd al-Saleh a annoncé lundi que la reconquête des quartiers rebelles d'Alep est était entrée dans sa « phase finale ». « Nous sommes dans les derniers instants avant la proclamation de la victoire de l’Armée arabe syrienne dans la bataille d’Alep-Est. Nous pouvons l’annoncer à tout moment », a-t-on ajouté par la suite de source militaire. L’OSDH a également estimé lundi que la bataille d'Alep touchait à sa fin.
Alors que les défenses des insurgés cédaient, plusieurs milliers de personnes ont fui les combats. D'après le « centre de réconciliation » mis en place par le ministère russe de la défense sur la base aérienne de Hmeimin, d'où décollent les avions russes, plus de 8 000 civils, dont une moitié d'enfants, ont fui Alep-Est au cours des dernières 24 heures. La télévision publique syrienne a diffusé les images d'une véritable marée de réfugiés marchant par centaines dans la pluie et le froid.
Dans les secteurs perdus lundi par les insurgés, des informations non vérifiées font état d'atrocités commises par les soldats syriens et leurs alliés, miliciens chiites libanais du Hezbollah ou iraniens. Selon des activistes locaux et le témoignage de deux habitants toujours présents dans la dernière poche rebelle, au moins 79 civils ont été exécutés sommairement dans les quartiers de Fardous et Salihine par des milices pro-gouvernementales.
« Il y a plus d’une centaine de corps, et d’autres pourraient encore être vivants, ensevelis sous des décombres que personne ne peut aller fouiller », a déclaré Ammar al-Selmo, de la protection civile. Dans un communiqué, le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon s'est dit « alarmé par les informations faisant état d’atrocités contre un grand nombre de civils, des femmes et des enfants notamment, ces dernières heures à Alep », tout en signalant que l'ONU ne pouvait les vérifier.
Le ministre turc des affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, s'est déclaré « horrifié » par ce qu'il qualifie de « massacres de civils ». « Nous assistons à la forme la plus cruelle de sauvagerie à Alep, et le régime et ceux qui le soutiennent sont responsables. Des blessés ne sont pas évacués et des gens meurent de faim », a-t-il ajouté lors d'une conférence de presse à Ankara, précisant que son pays tentait de négocier un cessez-le-feu avec la Russie.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a réitéré ses appels à « protéger » les habitants d'Alep-Est avant qu'« il ne soit trop tard », ajoutant qu'il était prêt à assurer l'évacuation des civils si un accord était conclu avec le régime d'Assad. « Nous devons agir maintenant, a déclaré Pawel Krzysiek, du CICR, présent à Alep, nous devons dépolitiser ce processus de protection des civils et d’abord sauver leurs vies. Nous devons le faire avant qu’il ne soit trop tard. »
« Le secrétaire général exprime sa préoccupation aux parties concernées. Il a donné pour instruction à son émissaire spécial pour la Syrie de s’informer auprès des parties concernées », a ajouté le porte-parole de Ban Ki-moon, Stéphane Dujarric. En France, François Hollande, qui recevait lundi à l'Élysée le coordinateur général du Haut Comité de l'opposition syrienne Riyad Hijab, a une nouvelle fois condamné les attaques du régime de Bachar al-Assad sur Alep. « Le régime croit avoir gagné une partie alors qu’il a simplement gagné une horreur supplémentaire après tant d’autres commises », a dit le président français.
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