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11 novembre 2016 5 11 /11 /novembre /2016 07:17
La victoire de Donald Trump souligne les aveuglements européens (Hubert Huertas, Médiapart)

Excellent journaliste politique à France Culture, Hubert Huertas fait le rapprochement entre la situation américaine et la situation européenne: "Cela craque de toute part": entre "rage identitaire" et discrédit du politique au service du système capitaliste et néo-libéral, tout est réuni en France, en Europe, comme aux Etats-Unis, pour que notre société malade vomisse des monstres du type de Donald Trump. 

Le vote américain souligne les aveuglements européens
 PAR HUBERT HUERTAS

Euphorie à travers l’Europe, dans les partis d’extrême droite. Pendant que la gauche s’interroge sur elle-même, Donald Trump a été félicité par Marine et Jean-Marie Le Pen. Sa victoire fait écho aux aveuglements des responsables européens.

 

Il fallait bien que ça arrive… Que ça craque quelque part. À force de Front national en France depuis 35 ans, de Vlam Belang en Belgique, de « Parti pour la liberté » aux Pays-Bas, d’AfD (Alternative pour l’Allemagne), de « Ligue du Nord » puis de « Mouvement cinq étoiles » en Italie, de « Jobbik » en Hongrie, de « Parti de la Grande Roumanie », de « FPÖ » quasiment majoritaire en Autriche, de « Parti du progrès » en Norvège, de « Parti populaire » au Danemark, d’humiliation des Grecs, de Brexit, on s’était habitué…

Cette furieuse envie de se replier sur soi, de chasser les étrangers ou d’organiser, comme Beppe Grillo, des journées « Vaffanculo » en direction des politiques et des élites en général, cette perspective tranquille de second tour pour Marine Le Pen aussi, et cette impossibilité de choisir une autre voie, bref ces symptômes qui crevaient les yeux étaient si répétitifs, et si systématiques, qu’on s’était habitué.

L’Europe se désagrège depuis des années. Un à un les pays de l’Union sont gagnés par une rage identitaire, même dans cette Allemagne pourtant citée en modèle de sagesse, mais reconnaissons-le, nous partagions une certitude majoritaire. Il existait un paratonnerre. Un plafond de verre qui nous mettait à l’abri. La poussée générale de l’extrême droite était identifiée, mais contenue pour toujours. Ces gens-là ne seraient jamais majoritaires. Ils étaient trop effrayants. Leur présence dérangeante pouvait même, comme en France, être intégrée au maintien du système. Marine Le Pen au second tour, et alors ? C’est la primaire de la droite qui désignerait le président de la République et basta. Cet inconfort devenait même un élément de confort pour les candidats au trône !

Quant aux diktats des économistes officiels, ceux qui prennent leurs œillères pour des lunettes et leurs folies pour une science exacte, ils répétaient imperturbablement leurs évangiles. Déficit, austérité, réduction de l’État, concurrence obligatoire, et tant pis si un à un, presque partout, les gouvernements étaient renversés. Le premier ministre d’un paradis fiscal, le Luxembourg, devenait président de la Commission européenne, et son prédecesseur pouvait aller chez Goldman Sachs. Et alors ? Circulez, y a rien à voir.

Partout les mêmes situations, intenables, les mêmes conflits d’intérêts, les mêmes souffrances en bas, et le même sentiment d’abandon, mais ça pouvait durer mille ans puisque le monde allait comme il allait depuis Reagan et Thatcher et qu’il n’y avait « pas d’alternative ».

Et voilà que le plafond de verre vient de nous tomber sur la tête. Voilà que l’inimaginable est arrivé au cœur même du réacteur. On n’écartait pas l’idée qu’un pouvoir « populiste » puisse arriver aux manettes, on le redoutait, mais on l’imaginait dans un petit coin reculé. L’Autriche par exemple, ou la Hongrie, c’était certes un peu chagrin mais on ne meurt pas d’un bouton sur le nez.

Ça s’est passé en Amérique ! Dans le saint des saints. On se faisait peur avec Marine Le Pen en France, et son grand frère est devenu président des États-Unis. Hillary Clinton avait beau être impopulaire, disqualifiée, sans charisme, représentante d’un milieu politique rejeté, rien ne nous alertait vraiment, en dépit des avertissements (lire ici l’analyse prophétique de Michael Moore). L’élection de Donald Trump ne pouvait pas avoir lieu. Le plafond de verre nous mettait à l’abri.

Et nous voilà abasourdis, tandis que des milliers de manifestants défilent aux États-Unis. Cette élection n’est pas seulement américaine. Elle est la nôtre. C’est l’histoire intime de nos nations européennes depuis trente ans. Ce qui a porté Donald Trump, les mêmes ressentiments, le même sentiment de déclassement, les mêmes peurs d’être largué sur le bord du chemin, menacé par les étrangers, alimente clairement l’extrême droite et une partie de la droite française ; il fallait lire et entendre les commentaires de Marine Le Pen, de Nicolas Sarkozy, ou de Jean-François Copé (lire l'article d'Ellen Salvi, La victoire de Donald Trump donne des ailes à Nicolas Sarkozy). Et ce qui alimente l’extrême droite française nourrit les mouvements voisins à travers toute l’Europe. Si la qualité du « malade » nous interpelle à ce point, c’est que nous partageons son virus.

Nous pataugeons aussi dans les mêmes contradictions, et elles sont intenables. Que s’est-il passé aux États-Unis, et que se passe-t-il chez nous avec les forces censées incarner le peuple ? Que fait la gauche depuis trente ans, du rouge vif au rose pâle ? Elle perd ce peuple. Elle l’oublie. Elle se l’est fait voler, et cette coupure se voit parfois sur son visage, quand elle éprouve, face à lui, des dégoûts d’aristocrate. Cette « gauche » installée se contente de lancer des alertes pour contrer les « populistes », comme autrefois la droite agitait la menace des chars soviétiques sur la place de la Concorde en cas d’arrivée de Mitterrand au pouvoir.

Sous leur forme sociale-démocrate, ou sociale-libérale, ces courants en appellent à la patience, ils crient « sois sage ! » à des gens qui n’en peuvent plus. Ils n’en appellent pas aux grands changements, mais au respect des critères de Maastricht. Symbole de ce glissement gestionnaire : qui entendait-on pleurer en chœur, mercredi matin après le désastre de la nuit ? Les « démocrates » et les Bourses du monde entier. Dans la soirée, les Bourses reprenaient des couleurs, pas la démocratie…

Aux États-Unis, le peuple a donc reçu cinq sur cinq le discours d’un milliardaire trouble, lui-même fils de milliardaire. Donald Trump, parce qu’il parle comme une petite frappe, est devenu l’archétype du déclassé, la figure injustement persécutée par la pensée unique, comme Sarkozy aimerait bien le redevenir en France. Le déclassé numéro un, le héro antisystème dans le fauteuil du président, il fallait quand même le faire. Après avoir brassé des milliards dans l’immobilier, après avoir évité de payer ses impôts, ce prolo-là est à la tête de l’économie et de l’armée la plus puissante de la planète, mais c’est un banni parmi les bannis ! C’est un poor lonesome cow-boy. L’image serait loufoque si elle ne menaçait pas la France, dans les semaines qui viennent, et si, au-delà des échéances conjoncturelles, elle n’exprimait pas l’effondrement tragique de nos systèmes démocratiques.

Petit père de son peuple et petit père « démerdez-vous »

Mais puisque le mal est fait, ne tombons pas d’un extrême à l’autre. Ne passons pas du déni à la fascination. Le triomphe de Donald Trump, donc son accession au pouvoir, le menace autant qu’il le consacre. Il gérait la parole et il devra passer aux actes. Les malheurs le dopaient, il va devoir les soigner. S’il a été élu, c’est en galvanisant ses électeurs excédés, et ce n’est pas le tout d’avoir été messie au moment de la campagne, encore faut-il devenir sauveur. Ce n’est pas le tout d’avoir dénoncé le système, il va falloir l’incarner. Ce n’est pas le tout d’avoir promis des murs, il va falloir les construire et qu’ils soient infranchissables, ce qui sera impossible. Ce n’est pas le tout d’avoir électrisé les déclassés, il va falloir les reclasser. Ce n’est pas le tout d’avoir joué sur le clavier des passions, il va falloir dépassionner les foules, sous peine d’être emporté.

L’expérience américaine est une excellente nouvelle à court terme pour tous les démagogues européens, elle ravit Nicolas Sarkozy et pourra doper Marine Le Pen en mai prochain, mais elle est redoutable à moyen terme. La force de ces courants extrêmes, propulsés par la même colère, c’est, au moins pour la plupart, de n’avoir jamais gouverné. Aux innocents les mains pleines. L’accession de l’un des leurs au fauteuil de président des États-Unis est une immense victoire, mais un profond danger pour tous les populistes. Donald Trump se retrouve au pied de son mur, et c’est à lui de l’escalader, au nom de tous les autres.

La tâche sera d’autant plus difficile qu’elle ne dépendra pas de son savoir-faire technique ni de celui de son équipe. L’accession de Donald Trump à la présidence des États-Unis est fondée sur une histoire trop ancienne, et trop globale, pour être contournée par une habileté conjoncturelle. Désormais président, le magnat de l’immobilier incarne une contradiction fondamentale, et cette contradiction le piégera comme elle a piégé ses adversaires « du système ».  

Car de quoi souffrent les fameux déclassés américains, comme ceux d’Europe ? Ils sont épuisés par un mal dont les symptômes se traduisent par un repli nationaliste, parfois xénophobe ou raciste, et par un sentiment d’abandon. Ils souffrent d’insécurité. Non pas, ou pas seulement de cette insécurité physique martelée dans les discours, pas seulement de la menace des délinquants ou des étrangers, mais d’une insécurité sociale. La tragédie de dizaines de millions d’Européens et d’Américains, c’est de survivre au jour le jour. De ne ne pas savoir de quoi sera fait le lendemain, pour eux et, pire encore, pour leurs enfants. Ce que réclament les électeurs de Trump, c’est d’être protégés, et protégés par qui ? Par l’État, naturellement. La preuve, ils viennent de transformer leur héros en chef des États-Unis.

Or Trump est l’héritier de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher pour qui l’État, par principe, n’est pas la solution mais le problème. Or Trump, non content d’hériter d’un État minimum, va encore lui couper les vivres en lançant un programme général de baisse d’impôts, y compris pour les plus riches. Le premier acte de ce président qui jure de reprendre les choses en main sera donc de se couper un bras, en vertu de ses intérêts, et des lois du libéralisme. Il compte sur la fameuse théorie du ruissellement pour financer ses promesses. Les riches étant plus riches, les pauvres seront moins pauvres car l’argent ruissellera. Or depuis Reagan, pas un dollar n’a ruisselé, les riches sont infiniment plus riches, et les pauvres se sont retrouvés à voter Trump dans l’espoir de s’en sortir. Les sociétés en crise qui sécrètent des mouvements extrémistes, partout en Occident, en appellent à la protection d’un État fort, mais elles sont les filles d’une théorie libérale qui met en pratique son affaiblissement. C’est cet État que Trump promet de renforcer avec des murs, tout en l’affaiblissant dans ses moyens et ses actions, notamment en détruisant l’amorce de système de santé mise en place par Obama. Difficile d’être à la fois un petit père de son peuple et un petit père qui dit « démerdez-vous ».  

La contradiction est si puissante, et si incontournable, que le nouveau président sera confronté à des choix dramatiques. Ou bien, même entouré de Sarah Palin en guise de Nadine Morano, il mettra du vin dans son eau et deviendra un politicien classique. Ou bien il persistera sans changer de système, parce qu’il est Trump et qu’un Trump ne transige pas, et on ne voit pas comment cohabitera sa promesse protectionniste, ses grands travaux et l’équilibre budgétaire du pays dans cette économie sans règle, vomie par ses électeurs.

C’est là que surgit la question la plus inquiétante de cette arrivée au pouvoir, dans l’une des nations les plus puissantes du monde. Quand les problèmes sont insolubles sur le plan intérieur, les « faucons » les transfèrent en général à l’extérieur, en désignant un ennemi, comme ils le font à l’intérieur en désignant les étrangers. Compte tenu de ce qu’on a vu de Donald Trump, et entendu dans sa bouche, cette hypothèse ne peut pas être écartée. Englué dans les réalités, ce descendant lointain de Reagan a toutes les chances de devenir le fils de Bush, de l’Irak, du 11-Septembre, et le créateur de nouvelles aventures.

Hubert Huertas

 

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