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14 août 2016 7 14 /08 /août /2016 05:53
"Laisser le poète à notre solitude": un article de Marina Da Silva dans les pages littéraires du Monde Diplomatique sur Mahmoud Darwich et le recueil "Présente absence"

Le Monde Diplomatique, août 2016

Laisser le poète à notre solitude

par Marina Da Silva

Cette Présente Absence (1) au titre percutant, publiée pour la première fois en 2006, renvoie à la désignation israélienne des Palestiniens ayant dû fuir leur foyer en 1948 : les « présents-absents ». Elle se révèle prose poétique testamentaire : c’est l’avant-dernier livre paru du vivant de Mahmoud Darwich. Il y pressent sa fin proche et fait défiler le film de sa vie. Depuis l’exil de l’enfance et de la patrie vers le Liban, jusqu’au retour en Cisjordanie occupée et au siège de Gaza. Une vie d’errance pour lui et pour son peuple. Vingt chapitres qu’il adresse à son double créateur et au lecteur, dans une intimité troublante. Jamais on n’avait eu autant le sentiment que le poète se confiait et se livrait, dans ses fragilités et ses tourments, ses espoirs et ses aspirations. Après la Nakba (« catastrophe » en arabe) de 1948, séisme historique et personnel, plus rien ne sera jamais comme avant. « Tout ici était comparaison douloureuse avec ce que fut là-bas. » En plus de la terreur du massacre de Deir Yassin (avril 1948), l’homme va se lester de l’encerclement de Beyrouth (juin 1982), des massacres de Sabra et Chatila (septembre 1982), d’une souffrance sans fin, jusqu’à un retour où « l’occupant est sorti de la chambre à coucher mais se vautre au salon et dans toutes les autres pièces ».

Le voyage dans cette mémoire introspective, personnelle et collective, parcourue par fragments, échappe à tout déroulé chronologique. Il se construit par associations de fragrances, douloureuses ou lumineuses, selon que Darwich est hanté par la perte des êtres chers, le souvenir-morsure de la prison, ou vivifié par la brûlure de l’amour. L’amitié — à laquelle on doit cette traduction que signent Farouk Mardam-Bey et Elias Sanbar — est aussi l’une des valeurs cardinales de son univers poétique. Qui sert de rempart à toutes les trahisons : « Si tu savais en partie ce que je sais, tu aurais abjuré la langue arabe. » Méditations politiques, philosophiques, esthétiques : après sa disparition, Darwich demeure toujours vivant et sa parole n’en finit pas d’éteindre notre solitude.

« Pourquoi choisissez-vous le métier de journaliste ? — Pour pouvoir un jour interviewer Mahmoud Darwich. » Ivana Marchalian, journaliste libanaise d’origine arménienne (2), jubile donc lorsqu’elle réussit à forcer la porte du poète-icône, en 1991, alors qu’il ne donnait plus d’interviews depuis quatre ans. Cette entrevue sera le prélude à une amitié que la journaliste-écrivaine relate dans le détail, fascinée autant par la stature de Darwich que par sa

propre prouesse, qu’elle se complaît à mettre en scène. Malgré cette faute de style, ce livre nourri d’un échange riche se lit avec plaisir et apporte de nouveaux éclairages sur la vie et l’œuvre d’un poète dont on ne se lasse pas. On y découvre un Darwich généreux et plein d’empathie, qui se laisse embarquer dans l’aventure, non sans humour : « Je soussigné, M. D., m’engage en toute conscience, au nom de toutes valeurs morales et sacrées, à remettre l’entretien journalistique avec Mlle Ivana la Terrible, dans son intégralité, à quatre heures de l’après-midi du 28 décembre 1991. » Marchalian s’engage de son côté à ne publier le texte qu’après sa disparition. Accompagné du manuscrit en arabe, ce long entretien, qui interroge le poète sur sa relation à la mère et à la terre, à l’exil et à la guerre, à l’amour et à la vie, parcourant l’œuvre et les questions esthétiques et politiques qui la traversent, vient nourrir la somme des apports prolifiques du poète palestinien, qui manque à notre poésie intérieure.

Marina Da Silva

Journaliste.

ette Présente Absence (1) au titre percutant, publiée pour la première fois en 2006, renvoie à la désignation israélienne des Palestiniens ayant dû fuir leur foyer en 1948 : les « présents-absents ». Elle se révèle prose poétique testamentaire : c’est l’avant-dernier livre paru du vivant de Mahmoud Darwich. Il y pressent sa fin proche et fait défiler le film de sa vie. Depuis l’exil de l’enfance et de la patrie vers le Liban, jusqu’au retour en Cisjordanie occupée et au siège de Gaza. Une vie d’errance pour lui et pour son peuple. Vingt chapitres qu’il adresse à son double créateur et au lecteur, dans une intimité troublante. Jamais on n’avait eu autant le sentiment que le poète se confiait et se livrait, dans ses fragilités et ses tourments, ses espoirs et ses aspirations. Après la Nakba (« catastrophe » en arabe) de 1948, séisme historique et personnel, plus rien ne sera jamais comme avant. « Tout ici était comparaison douloureuse avec ce que fut là-bas. » En plus de la terreur du massacre de Deir Yassin (avril 1948), l’homme va se lester de l’encerclement de Beyrouth (juin 1982), des massacres de Sabra et Chatila (septembre 1982), d’une souffrance sans fin, jusqu’à un retour où « l’occupant est sorti de la chambre à coucher mais se vautre au salon et dans toutes les autres pièces ».

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