La France accusée de vente d'armes utilisées contre des populations
23 AOÛT 2016 | PAR LAURENT GESLIN
Depuis lundi se tient à Genève la seconde conférence internationale du Traité sur le commerce des armes (TCA), qui cherche à bannir les exportations de matériel militaire vers des pays ou des groupes susceptibles de commettre des crimes de guerre. Plusieurs organisations internationales dénoncent les livraisons de Paris à l'Arabie saoudite.
Lundi 22 août s’est ouverte à Genève la seconde conférence internationale du Traité sur le commerce des armes (TCA). Ce dernier est censé empêcher les ventes d’armes susceptibles d’être utilisées pour commettre des violations des droits de l’homme ou des crimes de guerre. Tous les pays ayant ratifié la convention de l’ONU (130 États signataires, plus de 80 ratifications) se sont engagés à présenter un rapport annuel détaillant leurs exportations et leurs importations. Cependant, malgré la précision toute relative de ces données (voir ici notre reportage sur le document livré par la France), 27 % des États signataires n’avaient toujours pas remis ce rapport avant l’ouverture du sommet. Quant à la Moldavie et à la Slovaquie, elles ont annoncé n'avoir pas l'intention de divulguer ces données.
Trois ans après l’adoption du texte par l’ONU, le 2 avril 2013, et après son entrée en vigueur le 24 décembre 2014, l’heure est venue de tirer un premier bilan de l'efficacité du TCA. Et force est de constater que les organisations internationales font grise mine. « Nous dénonçons les livraisons d’armes des États-Unis, de la France et d’autres pays européens (Allemagne, Espagne, Italie, etc.) aux États de la coalition menée par l’Arabie saoudite qui combat au Yémen », explique Rob Perkins, chercheur de l’organisation anglo-saxonne Control Arms. « Sur le terrain, ces fusils, ces véhicules blindés et ces munitions tuent des civils. Pourtant, Paris a autorisé en 2015 des ventes à hauteur de 16 milliards d’euros vers l’Arabie saoudite. » Les pays exportateurs qui marchandent avec Riyad se rendent donc coupables de « la pire des hypocrisies », a déclaré Anna Macdonald, directrice de Control Arms, lors d’une conférence de presse rapportée par l’AFP.
En parallèle de ces réunions, les violences se poursuivent au Yémen. Lundi 15 août, un hôpital où intervenait l’ONG Médecins sans frontières (MSF) était bombardé à Abs, à une quarantaine de kilomètres de la frontière saoudienne, causant la mort d’au moins 11 personnes. Depuis l’automne 2014, les combats font rage entre la rébellion houthiste, soutenue par les forces fidèles à l’ancien président Ali Abdallah Saleh, et les troupes du chef de l’État Abd Rabbo Mansour Hadi, appuyées par une coalition d’une dizaine de pays sunnites (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Jordanie, Égypte, etc.).
Après l’échec des négociations de paix du 6 août dernier au Koweït et alors que, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le bilan des affrontements entre le 19 mars 2015 et le 15 juillet 2016 s’élèverait à 6 571 morts et 32 856 blessés, Médecins sans frontières a annoncé le 18 août l’évacuation de son personnel de six hôpitaux du nord du pays.
« Depuis des mois, nous tentons d’alerter la communauté internationale sur la façon dont est menée la guerre au Yémen. Les crimes perpétrés par les forces de la coalition devraient être examinés par la Cour pénale internationale », estime Aymeric Elluin, chargé des questions « Armes et justice internationale » à Amnesty international. « Des mosquées, des écoles, des hôpitaux sont pris pour cible, avec des armes livrées par la France. » Plusieurs dizaines de chars Leclerc des Émirats arabes unis seraient notamment engagés sur le terrain. Une information confirmée par Stéphane Mayer, président de l’entreprise d’armement Nexter Systems, qui lors d’une audition à l’Assemblée nationale, en mars dernier, soulignait que l’implication des blindés français avait « fortement impressionné les militaires de la région ».
Les affaires de Paris sont donc au mieux, portées par Jean-Yves Le Drian qui troque régulièrement sa casquette de ministre de la défense contre celle de représentant commercial. En août dernier, il était ainsi à Koweït City pour signer le contrat d'achat de 30 hélicoptères Caracal (vingt-quatre destinés à l'armée, six à la garde nationale), pour plus d'un milliard d'euros. En 2015, le Qatar avait aussi acheté 24 Rafale, pour un montant de 6,3 milliards d'euros, selon l'Élysée.
Qu’importe au fond que les destinataires de ces équipements n’aient qu’une conception toute relative des droits de l’homme. « Les véhicules blindés Sherpa, vendus par Paris à l’armée égyptienne, ont par exemple été utilisés par la police égyptienne lors de la répression de manifestations en 2013 », continue Aymeric Elluin.« L’opinion publique française est peu sensible à ces questions, car l’exécutif communique énormément. À chaque fois qu’un président est en voyage d’affaire, il annonce triomphalement la signature de juteux contrats censés favoriser l’économie hexagonale et créer des emplois. Sur le domaine militaire, les députés de l’Assemblée nationale ont renoncé depuis longtemps à demander des comptes au chef de l’État. »
De l’autre côté du Rhin, le gouvernement allemand ne rechigne pas non plus à exporter ses canons, même si l’emballage médiatique de l’opération est un peu plus discret.« C’est une honte que l’Allemagne compte parmi les plus importants exportateurs d’armes au monde », s’insurgeait en janvier 2015 le ministre de l’économie, Sigmar Gabriel, cité par Le Monde diplomatique, avant de concéder quelques semaines plus tard que les exportations allemandes avaient doublé entre 2014 et 2015, passant dequatre à huit milliards d’euros.
Selon un rapport du gouvernement allemand cité par le quotidien Die Welt, Berlin aurait ainsi livré au premier semestre 2015 du « matériel » à l’Arabie saoudite, douze panzers Fuchs au Koweït, ainsi que des « fournitures » aux combattants kurdes en Irak. Avec la multiplication des zones de conflit, les exportations d’armes se portent bien, elles pourraient atteindre 100 milliards de dollars d’ici à 2018. Alors autant fermer les yeux sur la moralité des acheteurs, surtout si ces derniers sont de bons clients.
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