PASSANT OUTRE LA JUSTICE ET L'INSPECTION DU TRAVAIL, MYRIAM EL KHOMRI A VALIDÉ LE LICENCIEMENT D'UN DÉLÉGUÉ CGT. LIBERTÉS Délégué CGT licencié d'Air France: El Khomri valide les yeux fermés
L'HUMANITE
Mercredi 10 août 2016
KAREEN JANSELME ET CÉCILE ROUSSEAU
La décision de la ministre du Travail de valider le licenciement de Vincent Martinez, suite à «l'affaire de la chemise», a suscité un tollé. Irrité par la contestation contre la loi Travail, le gouvernement franchit un cap supplémentaire dans sa croisade antisyndicale.
Pas de trêve estivale dans l'acharnement antisyndical. Lundi, la décision du ministère du Travail de valider le licenciement de Vincent Martinez, magasinier et délégué syndical CGT chez Air France, à la suite de la fameuse affaire de la « chemise déchirée » de l'ancien DRH Xavier Broseta, le 5 octobre dernier lors de manifestations contre 2 900 suppressions d'emplois annoncées dans la compagnie, a fait l'effet d'une bombe. En plein été, le gouvernement a donc choisi de franchir un nouveau cap dans la répression antisyndicale, en allant à l'encontre de la décision de l'inspection du travail du 20 janvier 2015 qui avait annulé ce licenciement. Dans cette affaire ultramédiatisée, le gouvernement a d'emblée choisi son camp
Peu après les échauffourées, Manuel Valls n'avait pas hésité à qualifier les syndicalistes de « voyous », demandant « des sanctions exemplaires » pour certains participants, faisant monter d'un cran la tension sociale. Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, s'est immédiatement indigné de cette décision du ministère, jugeant cet avis favorable « proprement scandaleux », y voyant même une « attitude revancharde » du gouvernement après la bataille menée par le premier syndicat français contre la loi travail, promulguée ce même 8 août par François Hollande et le gouvernement.
L'ombre de la loi El Khomri et du mouvement social pour réclamer sa suppression planent bel et bien sur cette décision. Pour Pascal Bouvier, membre du bureau confédéral de la CGT, « le gouvernement veut faire passer le message aux salariés qu'on peut licencier sans peine leurs représentants. Ils veulent leur faire peur, c'est le même principe avec la multiplication des gardes à vue lors des manifestations contre la loi travail ». Céline Verzeletti, chargée de la question des libertés syndicales à la CGT, embraie : « C'est une attaque envers un syndicalisme de lutte et force de proposition. » Pour le PCF, « il s'agit bien d'une décision à caractère politique, bafouant d'une part l'avis très argumenté de l'inspection du travail, et d'autre part piétinant le Code du travail, le délai pour recours étant épuisé
Les attaques ciblées du gouvernement contre certains syndicats restent en travers de la gorge. Pour Karim Taïbi, responsable FO chez Air France, « l'exécutif, dans sa toute-puissance, se substitue à la justice en pleines vacances d'été. Il criminalise les hommes et rallume le feu ». Car le dossier contre Vincent Martinez est désespérément vide. C'est en tout cas l'avis des inspecteurs du travail qui avaient estimé qu'« il n'y avait aucune preuve matérielle de l'implication directe du délégué CGT » (voir article ci-contre). Mais Air France, refusant cet avis, avait alors formulé un recours auprès du ministère le 4 février. Le ministère avait ensuite procédé à un complément d'instruction et devait statuer sous quatre mois. Sans réponse de leur part, le 3 juin, le licenciement était implicitement rejeté. Ce qui n'a pas pourtant pas empêché Myriam El Khomri de prendre cette décision inique. Dans la notification, le ministère a estimé que le syndicaliste, dan « un acte délibéré non résultant d'un mouvement de foule ou de toute autre pression, a poussé l'un des deux vigiles soutenant M. Broseta, entraînant la chute de ce dernier et des deux vigiles, que cet agissement conscient non provoqué constitue une faute lourde ».
Pour le ministère, cette décision est donc « cohérente » avec le licenciement des quatre autres salariés impliqués.
« C'est une décision sans queue ni tête »
Le ministère fait aussi cette étrange mention, assurant que pour ce licenciement, il ne « relève aucun indice quant à l'existence d'un éventuel lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats exercés par M. Martinez ». Mehdi Kemoune, secrétaire général adjoint de la CGT Air France, ajoute que « le ministère reconnaît aussi que Vincent Martinez a protégé la direction et on en arrive là ! On assiste à un 49-3 antisyndical. L'affaire de la chemise, c'est l'exemple de la violence sociale par rapport à la violence économique, un catalyseur aussi du conflit sur la loi travail ».
Vincent Martinez, encore sous le coup de la nouvelle, attend désormais la lettre de licenciement d'Air France. Sans baisser les bras. « C'est une décision sans queue ni tête. Je ne laisserai pas cette victoire au gouvernement. » Salarié depuis dix ans, le jeune homme de 28 ans estime que « cette histoire est très politique ». Lors de l'enquête menée par le ministère, il note qu'« Air France n'a pas fourni de preuves supplémentaires par rapport à (l'enquête) menée par l'inspection du travail. La compagnie n'a même pas porté plainte contre moi. Si j'ai eu un mauvais geste envers le vigile, je ne regrette pas de m'être mobilisé avec mes collègues ». Face à la colère suscitée par la validation du licenciement, l'exécutif a été contraint de dégainer les statistiques. Selon la direction générale du travail (DGT), cette décision du ministère d'invalider une décision de l'inspection générale du travail n'a « rien d'exceptionnel »: le ministère annulerait environ un tiers des 1900 décisions contestées dont il est saisi chaque année.
Quoi qu'en dise le ministère du Travail, une telle prise de position allant à l'encontre de l'inspection du travail reste théoriquement rare. Mais sous l'ère de François Hollande, dans le contexte de contestation sociale exacerbée, les cas ont effectivement une fâcheuse tendance à se multiplier. À la Sodexo, le 27 juin dernier, le ministère du Travail infirmait une décision de l'inspection du travail dans un cas similaire. Après une grève menée dans l'entreprise à Marseille, 18 chauffeurs-livreurs avaient été mis à pied puis licenciés. 17 ont été réintégrés ou ont négocié financièrement leur départ. Seul le délégué CGT Yvon Caprice a été viré. « J'ai été réintégré par l'inspection du travail, qui a estimé la grève licite et conclu que le blocage des cuisines était une conséquence de la grève. »
Dans ce climat tendu , la CGT a interpellé la France devant l'ONU pour dénoncer les violences anti-syndicales.
Pourtant, le ministère du Travail revient sur cette décision en plein été... « Ils ont attendu l'été, la fermeture des écoles et des cantines pour prendre des décisions, relève Nordine Ziani, délégué syndical. Ça arrange notre direction, elle est sûre qu'il n'y aura pas de vagues syndicales. C'est la même situation qu'à Air France. Le ministère prend tous les dossiers CGT et les traite en direct. » La fédération du commerce et des services CGT a écrit un courrier le 8 juillet à la ministre du Travail exigeant la « réintégration immédiate du délégué syndical » et demandant une rencontre à la ministre. Ces démarches sont restée lettre morte.
Le gouvernement a choisi sans états d'âme la voie de la sanction
Dans un autre registre, l'affaire des Goodyear avait au début de l'année 2016 aussi déclenché une onde de choc. Alors que les plaintes de la direction avaient été retirées, le parquet avait quand même décidé de poursuivre certains salariés pour avoir retenu des cadres dans l'entreprise. Neuf d'entre eux avaient été aussi condamnés à de la prison ferme, une sentence très lourde, quasi inédite. Dans ce climat tendu, la CGT a d'ailleurs interpellé la France devant l'ONU pour dénoncer la répression et les violences antisyndicales.
Pressé de faire plier l'échine aux syndicats réfractaires, en échec sur sa politique dite de relance de l'emploi, le gouvernement a choisi sans états d'âme la voie de la sanction pour faire taire la fronde. Peine perdue, les représentants des salariés ne sont pas décidés à se laisser faire. Vincent Martinez va formuler un recours auprès du tribunal administratif pour contester son licenciement. Une procédure qui pourrait traîner de un à deux ans. Il comparaîtra également avec quatre autres salariés les 27 et 28 septembre prochains au tribunal correctionnel de Bobigny pour violence en réunion. Ces épreuves n'entament pas ses convictions. « Ce n'est pas facile à vivre, mais je ne vais pas me résigner », explique le syndicaliste mobilisé contre les suppressions d'emplois dans la compagnie et contre la loi travail.
Car la promulgation de ce texte de loi est loin d'avoir effacé le mécontentement massif des Français. Après une pause estivale, une journée d'action intersyndicale est prévue le 15 septembre prochain. Les nuages s'accumulent sur le gouvernement et présagent d'une rentrée sociale orageuse.
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