Le nouveau leader travailliste, Jeremy Corbyn, déroute décidément les observateurs politiques français. Cet authentique homme de gauche se permet à la fois de s'opposer à la sortie de la Grande-Bretagne de l'UE et de lutter pour une autre Europe. Il n'en faut pas plus pour que "Libération" s'interroge: "Est-il "in" ou "out"? Ceci est la question".
Certes le journal de Laurent Joffrin l'admet: " Il l'a clairement dit: il votera en faveur du maintien". Mais comment croire à son engagement contre la sortie de l'UE alors qu'il a voté contre tous les traités européens et qu'il ne "s'est jamais privé de critiquer l'union européenne" (15 avril).
Autrement dit, pour paraphraser un ancien président: l'Europe, on l'aime telle qu'elle est ou on la quitte! Cela nous rajeunit de 11 ans: en 2005, ou bien l'on votait pour le traité constitutionnel, ou l'on était qualifié d'europhobe! Même son de cloche à "l'Express": "Corbyn soutient le maintien dans l'UE du bout des lèvres", titrait l'hebdo le 14 avril.
C'est que "l'éternel rebelle de l'aile gauche du Parti" a rappelé que cette UE qu'il n'entend pas quitter à en revanche "besoin de changer (car elle) manque de représentation démocratique" et qu'elle poursuit de mauvaises politiques qu'il entend continuer de combattre (TAFTA, privatisations - NDLR). En effet, n'en déplaise au esprits bornés, "il est parfaitement possible d'être critique et en même temps de rester convaincu de la nécessité de rester membre" comme l'a précisé Corbyn dans ce même discours et comme il l'a maintes fois réitéré depuis.
Cette position est aussi celle des principaux syndicats britanniques: ils appellent leurs adhérents à voter pour le maintien dans l'UE tout en estimant que celle-ci "doit changer" en rompant avec "les politiques d'austérité"*. Il est enfin intéressant de noter que 70% des jeunes Britanniques (de 18 à 24 ans) sont, eux aussi, clairement opposés à une sortie de leur pays de l'UE, sans être nécessairement des béni-oui-oui de l'Europe telle qu'elle se fait.
Manifestement, ni les uns ni les autres ne se font la moindre illusion sur les avantages à attendre d'un face-à-face isolé avec les forces du capital de leur pays ni d'une flambée populiste consécutive à une victoire du Brexit. Sans être au garde-à-vous devant Bruxelles.
Est-ce à dire que les "eurocritiques" de gauche devraient pour autant faire cause commune avec ce politicien foncièrement réactionnaire et ultralibéral qu'est David Cameron, sous prétexte qu'il est, lui aussi, contre la sortie de l'UE, pour de tout autres raisons? Qui peut l'imaginer un seul instant? Qui? "Le Monde" apparemment, qui vient de consacrer une demi-page et une manchette sur six colonnes à une critique en règle de Corbyn, coupable de faire le "service minimum" pour le "in" (le maintien dans l'UE). La preuve? "Il refuse d'apparaître aux côtés de M. Cameron". Pire: au Parlement de Londres, "il s'en est pris vivement à ce dernier alors qu'il est du même côté que lui dans la bataille référendaire".
Pourtant, note, dépité, le quotidien, "le premier ministre ne ménage pas sa peine". N-a t-il pas "renoncé à son projet de loi destiné à asphyxier les syndicats et le Labour"? Certes, pas pour longtemps, puisque, reconnaît le correspondant, "les hostilités pourraient reprendre dès le lendemain du référendum" (10 juin).
Drôle de compromis! "On attendait mieux d'un homme de gauche" insiste pourtant "le Monde" (12 juin) dans un éditorial au vitriol où l'on peut lire, en se frottant les yeux, que "par sa passivité, M. Corbyn s'associe à l'ultra-droite nationaliste anglaise pour faire perdre l'Europe"!
Pour notre part, nous disons merci à notre ami de ne pas renier ses valeurs progressistes dans cette campagne si complexe, en affirmant en quelque sorte un "non" de gauche au Brexit.
* Lettre des dirigeants des dix principaux syndicats à "The Guardian" le 6 juin. A noter que "le Monde" a publié l'information... en en ignorant le second volet.
Francis Wurtz, ancien député européen PCF-Front de Gauche- Gauche Unitaire Européenne
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