HUMANITE DIMANCHE
Jeudi 24 mars 2016
LA CHRONIQUE DE JEAN-CHRISTOPHE LE DUIGOU (*)
Selon les derniers chiffres publiés mi-mars, le déficit du régime général de Sécurité sociale s'est limité à 6,6 milliards d'euros en 2015 alors que l'on attendait un besoin de financement bien supérieur. « En quatre ans, nous avons divisé par trois le déficit. Il n'a jamais été si bas depuis 2002 », a claironné immédiatement, sur son blog, la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine. Peut-on croire pour autant que nous assistons à un redressement structurel du système de protection sociale ? Que disent vraiment les chiffres ? Il est vrai que la crise financière de 2008 avait fait grimper le déficit à plus de 20 milliards. Il est aussi exact que le besoin de financement était déjà de 9 milliards avant le début de la crise. L'amélioration est cependant moins nette que ne l'affiche le gouvernement.
Les responsables successifs n'ont eu en effet de cesse de cacher les problèmes en utilisant toutes les techniques possibles de « débudgétisation ». La créativité de nos comptables est telle qu'il est parfois difficile de s'y retrouver. Il faut, par exemple, pour l'assurance maladie, tenir compte de la ponction opérée sur la branche accidents du travail. Il faut surtout ajouter aux résultats de la Sécurité sociale pour 2015 les résultats négatifs du Fonds de solidarité vieillesse qui prend en charge les droits à retraite des anciens chômeurs. Cette prise en compte relève le besoin de financement de 3,9 milliards, ce qui fait passer le déficit à 10,5 milliards. Bien plus haut donc qu'avant la crise. Ce que dissimule la ministre est cependant plus grave.
Ces résultats sont avant tout la conséquence d'une réduction de la couverture des besoins. Les coups de rabot n'ont pas épargné grand monde et annoncent de nouveaux sacrifices à venir
Les économies principales ont été obtenues sur l'assurance maladie, qui n'affiche plus qu'un besoin de financement de 5,8 milliards alors que le chiffre anticipé dans la loi annuelle de financement de la Sécurité sociale s'élevait à 7,5 milliards. Les dépenses de soins progressent de 2 %, comme c'était prévu. Mais d'importantes économies ont été dégagées sur les coûts de gestion et les dépenses d'invalidité.
Ce qui ne sera sans doute pas reproductible en 2016. L'assurance vieillesse affiche un quasi-équilibre obtenu par l'amputation des retraites notamment par la réforme du mode de revalorisation des pensions. Mais ce qui explique l'essentiel des économies, c'est le différé dans la liquidation de la retraite dû aux réformes successives. L'effectif de liquidants serait en baisse en 2015, avec seulement 610 000 départs, soit une diminution de 7 % par rapport à 2014. La caisse d'allocations familiales a, quant à elle, versé moins de prestations que prévu en raison de la mise en application de la modulation des droits.
La seule bonne nouvelle tient au résultat de la collecte des cotisations qui explique la réduction de la moitié du déficit enregistrée l'année passée. Les 107 000 emplois supplémentaires comptabilisés en 2015, comme les modestes augmentations des salaires arrachées, ont fait croître la masse salariale de 2 % et donc les cotisations en proportion. Cela démontre bien dans quelle direction il faut chercher des moyens de financement pour assurer l'équilibre de notre système de Sécurité sociale. On aurait aimé que le gouvernement, au lieu de cacher les problèmes, désigne le véritable enjeu financier des recettes.
(*) Économiste et syndicaliste.