Intérêt commun
édito de Lydia Samarbakhsh, responsable du secteur international du PCF
La « route des Balkans » est comme l’enfer.
Les dirigeants européens, restés sourds depuis des années aux alertes du Haut commissariat aux réfugiés, ont invoqué la responsabilité de « protéger les populations européennes » – qu’ils ne protègent pourtant pas de la crise économique et sociale, bien au contraire. Sur fond de crise sans précédent, et de leur obstinant refus de sortir des politiques d’austérité qui appauvrissent nos pays et nos peuples, ces dirigeants ont préféré – non pas sauver des vies – mais fermer les frontières, confiner les migrants dans des camps, monter des murs de barbelés, mobiliser les forces armées pour les pourchasser, attiser une peur panique fabriquée par la droite et l’extrême droite, de voir l’Europe « submergée ».
En Hongrie et au Danemark, il est maintenant question de confisquer leurs biens, le peu qui leur reste, aux migrants.
Cela nous ramène violemment aux heures les plus noires de notre histoire.
Devant la détresse de familles entières fuyant la guerre en Syrie, en Irak, en Afghanistan, devant les tragiques morts de milliers d’entre eux en Méditerranée, devant l’élan de survie de milliers de femmes et d’hommes fuyant la misère, les bouleversements climatiques ou la dictature, les habitants des îles grecques ou des côtes italiennes ne sont pas restés tétanisés par l’émotion ou la peur, et ont déployé des trésors de solidarité pour leur venir en aide. Partout en Europe, des réseaux de solidarité se sont organisés tandis que les gouvernants ont opposé les populations les unes aux autres en arguant du poids du chômage, de l’avenir incertain, de la précarité. Autant de peurs renforcées par des attentats conduisant à installer l’amalgame « migrants / terroristes ». Certains rêvent même à présent d’exclure de la zone Schengen la Grèce qui a, seule, fait face à l’arrivée de milliers de migrants, et dont le premier ministre a été le seul dirigeant européen à aller à la rencontre des réfugiés et des acteurs de la solidarité. Si les migrants et réfugiés sont plus nombreux que jamais, « l’invasion » n’a pas eu lieu et, en France, moins qu’ailleurs… Les chiffres sont là.
ALORS POURQUOI CETTE OPÉRATION ?
Parce que jouer sur la peur des migrants permet de masquer les vé- ritables causes des difficultés qui assaillent les Français et qui sont à chercher dans les conséquences de la politique d’austérité et de la soumission aux dogmes libéraux qui créent chômage, bas salaires et délitement social. Austérité et solidarité sont incompatibles.
Parce que jouer sur la peur des « autres », de ceux que l’on présente comme des désespérés alors qu’au contraire, c’est l’espoir pacifique d’une vie meilleure qui les meut permet de masquer les responsabilités respectives dans les déséquilibres mondiaux qui causent ces mouvements massifs de populations. La crise des migrants est mondiale : tous les continents sont touchés d’autant que, pour l’essentiel, ces mouvements migratoires qui atteignent des records historiques restent cantonnés pour 80 % d’entre eux du sud vers le sud. Il y a donc aussi des solutions mondiales à mettre en oeuvre.
Alors comment répondre à cette vaste entreprise de falsification qui vise à brouiller les cartes et conduit dans l’impasse alors qu’il est urgent d’agir.
Le PCF avance des propositions qu’il développe dans ce livret. Il s’agit de changer de logique mais il y a des politiques possibles aujourd’hui.
J’en soulignerai 3 à engager d’un même mouvement :
• D’abord, les migrants ont des droits fixés par des institutions internationales et ratifiés par les Etats qui ont la responsabilité de les mettre en œuvre. Il faut souligner le courage, le dévouement des associations, des militants, des élus qui agissent pour le respect des droits et de la dignité des migrants. C’est eux que le gouvernement doit écouter et appuyer.
• La politique d’austérité en dégradant les conditions de vie et de travail s’en prend à tout ce qui concoure à faire vivre les valeurs d’égalité et de fraternité, moteurs du vivre ensemble : le travail, les services publics, le droit au logement et à l’éducation, à la santé, les droits collectifs et individuels. L’asphyxie budgétaire du pays et de nos collectivités territoriales ne mène qu’à plus d’inégalités et d’injustices.
• Enfin, c’est toute la politique extérieure française qu’il faut changer. Les migrations qui augmentent au plan mondial ont une triple origine : fuir les conflits et les violences ; échapper à la misère pour assurer à sa famille une vie meilleure et aux dérèglements climatiques que nos modes de développement et de production, mais aussi les règles du « libre-échange », engendrent. S’attaquer aux causes c’est donc promouvoir un nouvel ordre mondial, basé sur la paix et le développement et le recul des inégalités que provoque une mondialisation capitaliste prédatrice, c’est aussi commencer à s’attaquer au terreau du fondamentalisme religieux et du terrorisme. Ainsi, que la guerre cesse en Syrie, et des milliers de Syriens pourraient retrouver leur pays.
Français et immigrés partagent un intérêt commun, celui de construire une société de justice, de partage, de mise en commun, qui réponde aux aspirations de tous les citoyens à égalité de droits et libertés. C’est de ce côté que se trouve l’avenir, un avenir pour chacun d’entre nous.
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Revenir aux droits de l'homme
- par Patrick Le Hyaric, député européen, directeur de L'Humanité
La crise migratoire a changé le visage de l’Europe.
Elle a pour origine essentielle la guerre qui se poursuit au Proche-Orient et qui jette sur les routes de l’exode des centaines de milliers de personnes victimes de violences et de persécutions. La volonté de l’organisation Etat islamique de pratiquer des attentats au sein de l’espace européen et les menaces qu’il fait peser ont des incidences sur la réaction des opinions européennes face aux questions migratoires.
La réponse ne peut pas être, pour autant, dans le repli sécuritaire et dans l’Europe forteresse. Avec de telles réactions l’Europe foule aux pieds des valeurs dont elle se réclame. Plus encore, le non traitement des questions aggrave la crise : on n’empêchera pas des hommes et des femmes de fuir les massacres. On ne favorisera pas ainsi la sortie des logiques de guerre en Orient. La France doit faire le choix d’un rôle beaucoup plus actif et positif pour que soit traitée conformément aux textes internationaux, à la convention de Genève dont elle est signataire, la question du droit d’asile. Nous ne pouvons pas en rester à la déclaration de M. Valls du 18 novembre 2015 en Allemagne rapportée par le Süddeutshe-Zeitung : « Nous ne pouvons pas accueillir plus de réfugiés ».
Alors que dans un premier temps l’Union européenne avait laissé entendre qu’elle pourrait ouvrir modestement ses portes et pratiquer une politique de « relocalisation » des migrants, arrivés en grand nombre en Italie et en Grèce, avec une répartition par quotas, la réalité est vite devenue bien différente.
Ainsi la France a accueilli le chiffre famélique de 19 demandeurs d’asile « en besoin manifeste de protection » depuis le mois de septembre.
Ils sont les seuls des quelques 30 000 personnes que l’Etat français s’était engagé à recevoir en deux ans dans le plan européen de relocalisation qui portait sur 160 000 personnes. C’est tout simplement une honte !
Pour toute l’Europe ce sont 200 personnes qui auront été accueillies.
Quant au chiffre hors quotas de gens qui sollicitent l’asile dans notre pays il ne progresse que de 15 % à 20 % par rapport à 2014 année où il était en baisse, pour atteindre entre 75 000 et 80 000. Cette augmentation serait liée à la situation à Calais et à Dunkerque où se concentrent dans des conditions indignes des migrants qui veulent aller en Angleterre où ils sont refusés. Ces chiffres sont très loin de ceux de l’Allemagne qui aurait accueilli plus d’un million de personnes en 2015.
Mais désormais c’est dans toute l’Europe que se développe l’hostilité à l’accueil des réfugiés. En Europe orientale et centrale ce mouvement prend une tournure explicitement raciste avec l’érection de barbelés et des décisions de chasse à l’homme qui sont contraires aux principes fondateurs de l’Union.
En Suède, les réfugiés sont spoliés de leurs biens personnels. Les mesures de contrôle et de surveillance aux frontières de l’Union sont renforcées, la Grèce et l’Italie sont pressées de bloquer les entrées sur leur territoire et un accord douteux est passé avec la Turquie pour qu’elle garde sur son territoire le maximum de réfugiés syriens. Il faut tout faire pour sortir de cette logique mortifère et aller vers une sécurisation des parcours des réfugiés et un traitement de ce douloureux dossier conformes aux textes de l’ONU.
Le mythe de l'invasion - Par Emilien Urbach, journaliste chargé des questions migratoires au journal L'Humanité
Avec plus de 3 800 personnes noyées en 2015 en cherchant à traverser la Méditerranée, le nombre de personnes ayant trouvé la mort sur le chemin de l’exil dépassera, en 2016, les 30 000 depuis l’an 2000.
Au lieu de prendre la mesure de ce funeste décompte les Etats membres de l’Union européenne confirment, de sommets en conseils, leurs politiques xénophobes et sécuritaires. À coup de chiffres alarmistes, les défenseurs de l’Europe forteresse feignent de faire face à une crise migratoire sans précédent. Mais les chiffres disent autre chose. Il y a, à ce jour, autant de demandeurs d’asile par habitant de l’UE qu’il y en avait au début des années 1990. Et, dans le monde, le nombre de personnes sous mandat de protection du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies est le même qu’en 1995. En effet, en 2015, plus de 60 millions de nos semblables ont été contraints de quitter leur foyer à cause de la guerre et de la pauvreté. Mais les pays riches, de par leurs logiques de dominations économiques et militaires, en sont les principaux responsables.
58 % des demandeurs d’asile, l’an passé, venaient des zones de conflits où les armées occidentales sont les plus engagées : Syrie, Afghanistan et Irak.
Et pourtant, 86 % des migrations se font du sud vers le sud.
Le Liban reste le pays qui accueille le plus grand nombre d’exilés, avec 209 réfugiés pour 1 000 habitants. En Allemagne, par exemple, ce rapport est de 6 pour 1 000. Et de 5 pour 1 000, en France.
La prétendue invasion que subirait l’Europe est un mythe. Pire, c’est un mensonge qui vise à alimenter la peur et à justifier des politiques dictées par une idéologie d’extrême droite. Si les images de bidonvilles dans le nord, de campements en plein Paris ou sur les côtes mentonnaises inondent nos écrans de télévision, c’est qu’en France, comme dans les autres pays de l’UE, les dirigeants font le choix de l’égoïsme contre nos valeurs de fraternité.
Calais: pour des solutions humaines
par Dominique Watrin, sénateur du Pas de Calais
À plus d’un titre, Calais se trouve dans une impasse. Impasse des politiques sécuritaires : procédures administratives, judiciaires, reconduites à la frontière et déplacements d’office qui atteignent aujourd’hui des sommets (un millier de personnes renvoyées ces dernières semaines vers des centres de rétention administrative) au nom de la lutte contre « l’appel d’air ».
Impasse d’une logique qui voudrait séparer réfugiés politiques et migrants économiques « qui ont vocation à être reconduits à la frontière » selon Bernard Cazeneuve quand la jungle de Calais est peuplée d’Érythréens, d’Afghans, d’Irakiens et de peu de Syriens.
Impasse des logiques de guerre et de grandes puissances menées au Moyen-Orient depuis 25 ans qui ont fait le lit des dictateurs et de Daesh.
Avant tout, je tiens à rendre un hommage appuyé à la population calaisienne qui subit une triple peine avec d’une part, un taux de chômage record (16 %) tandis que les suppressions d’emplois se multiplient (dentelle, Tioxide, My ferry Link…). Et d’autre part, la pauvreté, la précarité encore renforcées par cette situation de cul-de-sac migratoire. Hommage aux associations humanitaires pré- sentes 24h sur 24 aux côtés des réfugiés, et qui mènent un travail irremplaçable d’accompagnement (social, juridique, sanitaire…) et de lien humain. Il a tout de même fallu que Médecins du monde et le Secours catholique-Caritas saisissent le Tribunal Administratif de Lille pour que soit reconnu officiellement que les 4 500 migrants de Calais « étaient bien exposés à des traitements inhumains et dégradants » en étant entassés dans des conditions insalubres.
Les sénateurs communistes du Nord/Pas-de-Calais rencontrent régulièrement les salariés du port et du Tunnel sous la Manche, les syndicalistes, les associations humanitaires et les réfugiés euxmêmes. Ils lancent aujourd’hui un appel pressant au gouvernement.
Nous, parlementaires communistes du Nord/Pasde-Calais, nous disons que la logique de la force est vaine comme le démontre l’échec des déplacements forcés.
Ainsi l’évacuation du camp de Téteghem s’est-elle conclue par le retour dans les campements de l’immense majorité des déplacés qui souhaitent d’abord se rendre au Royaume-Uni où ils ont de la famille, où les petits boulots souspayés sont légion et où ils sauront parler la langue !
La France doit renégocier les accords du Touquet signés par Nicolas Sarkozy et qui ont mis la frontière anglaise à Calais !
Le durcissement sécuritaire avec une frontière quasi étanche ne fera que rendre encore plus explosif le cul-de-sac migratoire.
LE TRAITÉ DU TOUQUET
Le traité du Touquet a été signé le 4 février 2003 par les ministres de l'Intérieur de la France et du Royaume-Uni, Nicolas Sarkozy et David Blunkett. Il vise à juguler l'immigration vers le Royaume-Uni, non membre de l'espace Schengen. Il établit que le contrôle de la frontière britannique se fait du côté français de la Manche. En échange du maintien des migrants sur le territoire français, le RoyaumeUni verse une aide financière à la France. Le texte du traité précise que « chaque partie peut y mettre un terme à tout moment » avec prise d’effet « deux ans après la date de ladite notification ».
IMMIGRATION ET DROIT D’ASILE. VIVE LA LIBERTÉ DE MIGRER !
par Dominique Noguères, avocate et militante des droits humains
Parler de l’immigration relève d’une gageure tant les idées reçues sont fortes comme les manipulations et l’utilisation à des fins politiciennes. La part de la population immigrée augmente, mais de façon très modérée.
De ce point de vue, il n’y a pas de menace pour la cohésion nationale.
En revanche, la manière dont la France gère la régularisation des étrangers est inacceptable. Comment ne pas trouver absurde que l’on demande à un étranger de rester des années en situation irrégulière avant de pouvoir être régularisé ?
La réforme actuelle du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) n’apporte pas de solutions malgré la volonté de créer un titre de séjour pluriannuel d’une durée modulable selon la catégorie juridique en cause.
La précarité du séjour reste la règle.
Plus de 60 millions de personnes sont déplacées en 2014 dans le monde, soit 42 500 personnes par jour selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Nous le vivons chaque jour aux frontières de l’Europe.
Dans ce contexte, la « forteresse » européenne ne fera qu’augmenter l’hécatombe et ne résoudra rien.
En France, demander l’asile relève du parcours du combattant.
La multiplication des textes comme la Convention de Dublin, qui oblige le demandeur d’asile à demander la protection dans le pays par lequel il est arrivé et non pas dans le pays de son choix, et la liste des pays dits sûrs établie et mise à jour régulièrement par l’Ofpra mettent de lourdes barrières aux demandes d’asile.
Seulement un quart des demandes sont acceptées au sein de l’UE et la France est bonne dernière.
Et pourtant, il y a des solutions !
Le migrant ne représente pas un coût pour le pays dans lequel il se trouve sauf à le priver de tous ses droits. Le régulariser, c’est lui faire payer des impôts, des cotisations sociales, participer à la vie économique et sociale du pays. Le laisser dans la clandestinité ou la précarité du séjour, c’est non seulement le mettre en danger, mais c’est se rendre complice des prédateurs mafieux et/ou terroristes. Il faut redonner au droit d’asile sa véritable fonction de protection, cesser de faire la différence entre les migrants « économiques » et les migrants « politiques », et éviter ainsi de créer deux catégories de migrants. La directive de Dublin doit donc être revue de fond en comble. Il est indispensable de réorienter les crédits des politiques européennes sécuritaires vers des politiques d’accueil et d’intégration, de cesser d’externaliser le contrôle des frontières à des pays peu respectueux du droit, qu’ils soient limitrophes de l’UE ou non. Il faut donc que les immigrés puissent circuler librement. Plus on fermera les frontières, plus ils feront tout pour ne plus repartir par peur de ne plus pouvoir revenir, dans un cercle infernal incessant. Le droit de migrer est essentiel dans un monde interdépendant comme tous les travaux d’experts et d’économistes et ceux des grandes organisations internationales (OIT, HCR, OCDE…) consacrés aux migrations l’ont rappelé, études à l’appui. Ils soulignent aussi que les politiques migratoires doivent s’attacher à sécuriser les parcours, dans le respect des droits de l’homme, en assurant la fluidité de l’offre et de la demande de main-d’oeuvre, dans l’intérêt des pays de départ comme des pays d’accueil. C’est un défi essentiel à relever dans l’intérêt de l’humanité tout entière.
L'immigration coûte cher? Faux
Les immigrés sont une très bonne affaire pour l’économie française. Selon une étude réalisée en 2010 par des chercheurs de l’université de Lille pour le compte du ministère des Affaires sociales, les immigrés ont reçu en 2009 de la part de l’Etat 47,9 milliards d’euros mais ont reversé 60,3 milliards. Par conséquent un solde très positif de 12,4 milliards d’euros pour les finances publiques. Ce résultat est issu de la comparaison entre les différents postes de dépense de l’État (retraite, aides au logement, RMI, allocations chômage et familiales, prestations de santé, etc.) et les sommes reversées au budget de l’État par le travail des immigrés (impôt sur le revenu, impôt sur le patrimoine, impôts et taxes à la consommation, impôts locaux, CRDS et CSG, cotisations sociales, etc.).
Sommet UE-Turquie: l'accord de la honte.
Déclaration du PCF
En octobre 2015, à l’issue d’une réunion de la Commission européenne, Jean Claude Juncker, son président, souhaitait que « l’Europe soit recherchée comme une terre de refuge et que l’accueil de 160 000 réfugiés soit une première historique est un motif de fierté ».
Déjà, à l’époque, cette déclaration était particulièrement déplacée, car, depuis des mois et des années, les drames s’accumulaient sur la route des migrants venant d’Afrique et du Proche-Orient, par la Méditerranée.
Mais aujourd’hui, elle résonne comme un terrible désaveu devant les échecs, les capitulations de l’UE, son incapacité à remplir ses devoirs de solidarité et à appliquer ses propres décisions.
Six mois après, l’accord signé au Sommet UE-Turquie du 7 mars ne peut que provoquer un sentiment de profonde honte.
En effet, l’accord entre le premier ministre turc Davitoglu et les chefs d’États ou de gouvernements de l’UE vise à renvoyer en Turquie tous les migrants, syriens compris, aujourd’hui en Grèce, venus au péril de leur vie, chercher un refuge en Europe.
En contrepartie, l’UE s’engage à faciliter l’obtention de visas de tous les États membres aux citoyens turcs, d’accélérer le versement des 3 milliards déjà promis, d’en ajouter 3 milliards supplémentaires et de favoriser la reprise des négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’UE.
De son côté, la Turquie s’engagerait, outre à reprendre les réfugiés expulsés d’Europe, à organiser, selon le principe de « un pour un », le passage vers la Grèce de Syriens, uniquement dans le cadre de mesures contrôlées et sécurisées, où l’OTAN jouerait un rôle.
À l’avenir, même si l’accord ne l’indique pas, le rapatriement des autres réfugiés - Afghans, Erythréens, Soudanais, Irakiens… - non admis en Europe, serait mis en place en direction de leurs pays d’origine. Le premier ministre turc déclarait être en discussion sur ce sujet avec ces pays.
Ainsi, l’UE et les États membres abandonnent à la Turquie la responsabilité d’assurer le contrôle de leurs propres frontières et de gérer l’accueil des réfugiés qui vont être chassés de Grèce. Or, ces réfugiés veulent aller en Europe, pas en Turquie, et le droit international exige que leur choix soit respecté.Enfin, le passage - sous contrôle - Turquie-Europe restera aléatoire, lié au bon vouloir d’accueil des pays européens, déjà très réticents.
Les 1,2 millions de migrants en 2015 arrivés sur le sol européen ne représentent pourtant que 0,3 % de la population européenne.
L’Europe se transforme peu à peu en bunker, sourd et aveugle devant la détresse des réfugiés.
Pire, l’UE organise leur expulsion, leur refoulement avec l’aide de la Turquie, niant leur droit à choisir un pays d’accueil où déposer leur demande, la Grèce étant dans l’impossibilité de les accueillir malgré l’extraordinaire élan de solidarité de son peuple.
Que la Turquie ait pu ainsi être investie, grâce à un chantage politique et financier, du rôle de partenaire indispensable auprès de l’UE ne peut que provoquer colère et indignation. Le régime autoritaire turc se livre à une véritable chasse aux démocrates, aux journalistes indépendants ; il mène sur son territoire une guerre sans merci contre les Kurdes ; intervient en Syrie contre les Kurdes syriens qui combattent les groupes djihadistes, groupes armés que la Turquie n’a cessé depuis des années d’utiliser pour ses intérêts de puissance régionale.Les dirigeants européens ontils mesuré les conséquences de leurs décisions et l’image qu’ils donnent de marchandage, de trafics sur la détresse des réfugiés, avec un pays qui bafoue toutes les valeurs démocratiques que l’UE est censée représenter ?
Pourtant, l’UE a les moyens de répondre à ses devoirs d’accueil et d’asile, comme ne cessent de le rappeler l’ONU et son agence pour les réfugiés, le HCR, les grandes associations des droits humains et de défense des migrants, des élus, des citoyens de tous les pays d’Europe, attachés aux valeurs de solidarité, d’entraide et de partage.
Ainsi, l’UE pourrait, avec les États membres qui ont donné leur accord, accélérer l’installation des 160 000 réfugiés, respectant l’engagement pris en octobre et dont le nombre aujourd’hui ne s’élève qu’à un millier !
Que l’UE organise, avec les moyens importants qui sont les siens, non le refoulement de populations, mais l’ouverture entre la Turquie et la Grèce de voies légales sécurisées de passage pour les réfugiés, qui rendraient aussitôt caduc le recours aux passeurs et trafiquants. Mais l’UE et les États membres ont aussi des responsabilités dans les tragédies qui frappent aujourd’hui les peuples du Proche-Orient, les poussant sur les routes de l’exil. Le conflit en Syrie entre dans sa 5e année.
L’UE doit peser de tout son poids pour que le projet de transition politique se mette en place rapidement, pour arriver à un cessez-le-feu durable et à l’arrêt des hostilités dans les luttes inter-syriennes. L’UE s’est trop longtemps alignée sur les positions de ses amis du Golfe, de l’Arabie saoudite, du Qatar… de la Turquie, encouragée dans cette voie par la France qui a multiplié les surenchères politiques et militaires. Nous en mesurons aujourd’hui les conséquences désastreuses : cela n’a que trop duré. L’UE et les États membres se doivent d’apporter un soutien sans équivoque à la feuille de route, fixée par le Conseil de sécurité de l’ONU et à sa mise en oeuvre.
ET LA FRANCE ?
Le président Hollande a salué, quant à lui, cet accord « comme un acte très important de la Turquie pour réadmettre les réfugiés et les migrants qui l’ont quittée de façon irrégulière vers la Grèce ».
Cette déclaration est dans la droite ligne de la politique française depuis des années. Les autorités françaises sont concentrées non sur comment accueillir mieux et plus ces familles en détresse, mais sur comment faire pour en limiter le nombre, sans égards pour ce qu’elles ont vécu et leurs attentes. Cette froideur devant la tragédie de la guerre, de la violence, de la pauvreté est inacceptable.
D’autant que notre pays n’a connu en 2015 qu’une augmentation limitée de réfugiés, 20 % sur 2014, avec 4 600 Syriens sur les 362 000 arrivés en Europe…
Le fantasme de « submersion » alimenté par l’extrême droite aurait-il frappé l’esprit des dirigeants français ?
Le gouvernement français et le président Hollande ne peuvent accepter cet « accord de la honte » signé lundi, concocté par la chancelière Merkel et le premier ministre turc. Notre pays doit faire entendre sa voix, ses valeurs, ses principes en matière de défense des réfugiés et des migrants, en rappelant la vocation de terre d’asile de la France. Déjà contraint de jouer les garde-frontières de la Grande-Bretagne à Calais, notre pays va-t-il maintenant participer à des expulsions massives de ré- fugiés honteusement qualifiés « d’irréguliers » de la Grèce vers la Turquie ? Il doit au contraire proposer que ces populations, aujourd’hui bloquées en Grèce du fait des frontières fermées dans les Balkans, puissent être accueillies dignement dans les pays qui ont laissé la porte ouverte à la solidarité. Les capacités d’accueil existent dans notre pays dans les villes et les villages. Des actions solidaires d’associations, de citoyens sont aujourd’hui inutilisées : 15 000 réfugiés étaient attendus en 2015, seules quelques centaines ont été relogées. Des engagements ont été pris d’aides financières en faveur des collectivités accueillantes. Au lieu de jouer la stigmatisation, la division entre réfugiés et migrants, la France doit leur tendre la main et faire la preuve qu’elle reste ce grand pays de fraternité et de solidarité qui lui valent le respect et le regard amical et chaleureux de bien des pays dans le monde. À la prochaine réunion du Sommet européen, la France doit exiger le rejet de cet accord et enfin, accueillir dignement ces hom
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