Voici la teneur de l'intervention que j'ai faite au dernier Conseil National du PCF consacré à la préparation du Congrès, et à la définition de la feuille de route pour 2017, avec l'option prise par la majorité du CN de travailler à une primaire citoyenne de la gauche pour se donner quelques chances de gagner en 2017 et imposer un autre choix que celui de Hollande, Valls, ou des promoteurs de la même politique:
" Il nous faut faire l'analyse en profondeur des causes de la faillite sociale, politique, économique du pouvoir. Cela ne sert à rien de personnaliser les choses et de parler de renoncements ou de trahison ponctuelle de Hollande et du clan gouvernemental. En réalité, c'est une trajectoire de longue durée caractérisée par l'absorption de la social-démocratie européenne dans les cadres du libéralisme et du capitalisme financier, réalisée depuis 30 ans sous l'égide de l'Europe et sous la contrainte de la mondialisation capitaliste et des dérégulations qui l'ont créée.
La social-démocratie n'a plus d'existence véritable, de projet politique original et de marges de manœuvre: il n'y a plus de milieu entre les politiques pro-capitalistes et le choix de la rupture avec les choix capitalistes, entre l'accommodement complet ou le choix de l'affrontement avec les logiques du système. Il ne s'agit pas simplement de combattre l'austérité qui n'est qu'un outil et un symptôme ponctuel de l'entreprise de domination et d'exploitation capitaliste. C'est cet étau de l'Europe libérale et de la compétition capitaliste débridée par la dérégulation qui jette un soupçon grave sur l'utilité du politique pour nos vies, qui donne cette impression d'l'impuissance de la politique, réduite à la communication et à la bataille pour le pouvoir.
On ne peut pas faire l'impasse sur les présidentielles pour porter nos idées car c'est l'élection qui sensibilise le plus nos concitoyens aux débats et aux enjeux idéologiques. Il faut mettre la bataille pour une autre Europe et pour inventer un autre modèle que ce capitalisme financier et mondialisé qui vampirise toutes les solidarités et conquêtes sociales et civilisationnelles au cœur de notre projet présidentiel. Peut-on le faire en s'engageant à défendre un candidat probablement social-démocrate à l'issue d'une primaire de toute la gauche où le candidat soutenu par le PCF a peu de chance d'être majoritaire car l'enjeu sera de maximiser les chances que la gauche soit représenté au second tour? Je ne le crois pas.
La co-organisation possible d'une primaire avec le PS, d'un choix entre des opposants et des partisans de la politique du gouvernement, avec condition de se ranger derrière le vainqueur, me pose problème dans la mesure où nous ne partageons pas du tout le même projet politique. Si c'était des primaires de la gauche alternative, ou de la gauche de transformation sociale, cela serait autre chose.
Je ne suis pas d'accord avec les formules de la délibération proposée qui mettent dos-à-dos et critiquent ceux qui à gauche (Mélenchon) ou à droite (Valls) disent qu'il existe" deux gauches irréconciliables". Pour moi, c'est bien la vérité, il y a bien deux gauches, si l'on se réfère néanmoins au périmètre institutionnel de la gauche, qui n'ont plus rien à voir entre elles, celle qui reste fidèle aux valeurs, à l'héritage, et à la volonté d'émancipation et de combat global contre le capitalisme et ses logiques de domination du mouvement ouvrier construit depuis le milieu du 19e siècle, et celle qui sous prétexte de modernité, de réalisme, a abandonné toute volonté de transformation du système, qui au contraire en approfondit les logiques d'exploitation. Ce n'est pas une fracture nette dans l'électorat de gauche qui reste plutôt fidèle à des idées fondatrices de la gauche, se structure en fonction d'idées du possible, mais la distanciation est indéniable au niveau des organisations politiques et des dirigeants politiques. Partout en Europe, en Israël, même s'il y a peut-être des évolutions possibles comme on le voit en Grande-Bretagne avec Corbyn, les socio-démocrates, travaillistes ou socio-libéraux ont promu depuis 30 ans la même politique: l'adaptation à la mondialisation capitaliste et sa construction prolongée par la flexibilité, la privatisation, et la gestion des inégalités par le discours et la pratique de dérivation sur la sécurité, les "valeurs" d'autorité...
Il y a un mouvement de résistance qui monte depuis 15 ans en Europe contre cette dérive pro-capitaliste de la gauche institutionnelle de gouvernement qu'il faut continuer à soutenir en France comme on a tenté de le faire depuis 2009, avec des réussites et des échecs, dont les raisons doivent être analysées, avec le Front de Gauche. Faire gagner de la force à la gauche anti-libérale, anti-capitaliste, renforcer son unité et son audience est toujours à l'ordre du jour.
De mon point de vue, c'est seulement en portant un discours de classe et de critique sociale, politique et économique radicale, et non pas à se rabattant sur le plus petit dénominateur commun du moindre mal pour faire l'union de toute la gauche, que l'on pourra désamorcer le piège d'un FN qui de plus en plus incarne le rejet populaire de cette Europe du capital, des délocalisations, de la post-démocratie, des élites politiques et économiques coupées du peuple. C'est seulement en portant le fer sur le terrain économique et de classe que l'on pourra désamorcer le piège d'un placement du débat des présidentielles sur le terrain strictement identitaire d'une vision restrictive, intolérante, moralisante et culpabilisante, suspicieuse vis à vis des musulmans et des étrangers, de la République, telle celle qui affleure dans les discours de Valls, et envahit les discours de la droite et de l'extrême-droite.
Je ne crois pas qu'il y ait dans le peuple actuellement un grand désir de gauche, surtout si elle est incarnée au premier tour par une personnalité du Parti Socialiste, ni un grand désir de primaire de la gauche, ni que les chances de battre la droite et l'extrême-droite en 2017 soient très élevés en raison du fiasco total des 5 ans de présidence Hollande, de l'aggravation du chômage, des inégalités, et de la droitisation de la société. Dès lors, l'enjeu sera surtout de mon point de vue de pouvoir tenter de recomposer la gauche après le nouvel échec cinglant de l'expérience socialiste de pouvoir en retrouvant un fort courant social pour la transformation et le combat contre le modèle capitaliste libéral et un courant social de résistance suffisamment cohérent et uni.
Parler de victoire, de crise ou d'unité de la "gauche", des "progressistes", sans déconstruire ces termes prête à toutes les ambiguïtés. Dans le contexte actuel, le PCF qui par son héritage porte l'ambition de construire une autre société que celle du capitalisme et de la loi de l'argent et de la compétition, n'a aucun intérêt, au moins où des conquêtes sociales majeures, l'idée même de République et de République sociale sont remises en cause par le pouvoir socialiste, sous prétexte d'efficacité pour la gauche, à ne pas apparaître avec ses idées de rupture, si possible sur la base d'une plateforme unitaire de la gauche de la gauche, dans l'élection reine.
Ismaël Dupont
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