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6 avril 2016 3 06 /04 /avril /2016 05:54

Gaël De Santis

L'HUMANITE - Mardi, 5 Avril, 2016

Face à l’évasion fiscale, l’hypocrisie des pays occidentaux

Au G20 de 2009, les vingt pays les plus riches avaient promis de faire de la lutte contre l’évasion fiscale une priorité. Sept ans après, les principales recettes anti-évasion restent dans les livres et ne sont pas mises en œuvre. Pire, parfois le gouvernement français rechigne à les inscrire dans la loi.

Le Consortium international des journalistes d’investigation a dévoilé, dimanche, 11,5 millions de documents, les « Panama papers ». Ils montrent que Mossack Fonseca, une entreprise panaméenne, a aidé des milliers d’individus et, parmi eux, une centaine de personnalités à cacher leurs avoirs dans des paradis fiscaux. Elle a créé 214 500 entités offshore, dont l’activité pourra être examinée. Douze chefs d’État ou de gouvernement, 128 dirigeants politiques mondiaux sont concernés. En France, un « grand parti politique » est « impliqué », a informé hier Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, seul journal français à avoir eu accès aux documents.

Mis en cause, Ramon Fonseca, fondateur de l’entreprise, se défend en disant défendre le bien commun. « Le secret est un droit humain sacré mais il y a des gens qui ne le comprennent pas. Nous croyons au secret et continuerons à œuvrer pour qu’il soit protégé juridiquement », a-t-il cru bon de réagir.

Pas sûr que le fondateur de Mossack Fonseca ait besoin de descendre dans l’arène pour défendre l’opacité en matière financière. Les gouvernements, eux-mêmes victimes de l’évasion fiscale, sont les premiers à tout faire pour conserver les petits secrets des boîtes noires de la finance mondiale. À grands roulements de tambour, depuis le G20 de 2009, les pays occidentaux ont déclaré être entrés en guerre contre ce fléau. Force est de dire que l’éléphant a accouché d’une souris

En réalité, la volonté politique fait défaut

L’une des victoires de cette réunion internationale de 2009 était la constitution de listes noires de paradis fiscaux. Où en est-on sept ans plus tard ? Les pays inscrits sur cette liste ne font l’objet d’aucune menace. C’est le cas du Panama. Unanimement considéré par l’Union européenne (UE) ou la France et les pays du G20 comme une « juridiction non coopérative », il n’encourt aucune sanction. Pendant la crise financière, « la Banque centrale européenne a bloqué toutes les transactions financières avec Chypre en une nuit. On pourrait très bien interdire les flux financiers en direction des paradis fiscaux », estime Éric Bocquet, sénateur PCF du Nord, rapporteur d’une commission d’enquête sur l’évasion fiscale

Les pays occidentaux font valoir qu’ils ont avancé sur l’échange automatique de données en matière fiscale. 93 d’entre eux se sont engagés dans le principe de transmission d’informations réciproques sur un ressortissant d’une autre nation. Mais il y a un hic. Un paradis fiscal continuera de choisir à qui transmettre ces informations. Si les pays riches ont les moyens d’arracher des conventions fiscales, les pays en développement, eux, restent les grands oubliés de cette timide avancée.

De plus, pour cacher son argent, un riche individu peut fonder une société-écran à l’étranger. Il aura juste besoin de trouver un prête-nom comme PDG. C’était d’ailleurs le boulot de Mossack Fonseca. Rien ou peu a été fait dans ce domaine. Les ONG réclament que soit rendue publique la véritable identité des propriétaires de sociétés-écrans. Les pays européens ont bien créé un tel fichier, mais chaque État reste libre de le diffuser.

De même, l’Union européenne traîne des pieds pour lutter contre les « boîtes à brevet ». Une entreprise place ses brevets dans une filiale à l’étranger, de préférence dans un pays à faible taxation. Cela lui permet de transférer une partie de son chiffre d’affaires vers cette filiale, et de réduire son impôt sur les sociétés ou sur les bénéfices.

La boîte à outil anti-évasion idéale comprendrait également un « reporting par pays ». Chaque multinationale devrait déclarer annuellement ses activités dans les autres pays (chiffre d’affaires, nombre d’employés). Cela permettrait de voir quelles multinationales jouent de la législation fiscale d’un pays contre un autre. « Rien n’est prévu pour aller dans ce sens dans la loi Sapin II, actuellement en discussion », déplore Manon Aubry, responsable de plaidoyer chez Oxfam. Il convient de noter que les banques, elles, sont désormais soumises à cette présentation des comptes pays par pays. En 2014, les françaises ont ainsi réalisé cinq milliards d’euros de bénéfices dans des pays à faible imposition. « En 2013, la Société générale a indiqué avoir réalisé 17 millions d’euros de bénéfices dans une filiale aux Bermudes, sans employer aucun salarié ! Cela n’a eu aucune conséquence », dénonce Éric Bocquet.

En réalité, la volonté politique fait défaut. L’élu relève la « faiblesse de l’administration fiscale » pour suivre les dossiers qui lui sont transmis. Il pointe également un dispositif décrié tant par les ONG que la Cour des comptes : « le verrou de Bercy ». En France, un juge ne peut s’autosaisir en cas d’évasion fiscale. Seul le ministre du Budget a le pouvoir de lancer une procédure. Dans le cadre du débat autour du projet de loi sur la lutte contre le crime organisé et le terrorisme mercredi au Sénat, Éric Bocquet a déposé un amendement permettant à un juge de se saisir en cas de fraude fiscale liée au financement d’activités criminelles. « Il a été adopté par le Sénat contre l’avis du gouvernement », constate-t-il. Il faudra voir quel sort lui sera réservé à l’Assemblée nationale. Il faut dire qu’un épisode parlementaire, mi-décembre dernier, en dit long sur la politique gouvernementale. En pleine nuit, des députés socialistes avaient fait voter un amendement obligeant les entreprises françaises à se soumettre au « reporting par pays ». À une heure trente du matin, le gouvernement avait exigé une interruption de séance. Le temps de faire revenir ses chiens de garde, qui ont par un nouveau vote renvoyé l’amendement aux oubliettes.

Le fond du problème est ailleurs : la soumission à la finance et à la libre circulation des capitaux inscrite dans les traités européens. « À Bruxelles, le lobby financier compte 1 700 personnes employées à influencer les décisions », accuse l’élu. De plus, si beaucoup est dit sur la lutte contre l’évasion fiscale, parfois avec un ton moraliste, la remise en cause du dumping fiscal entre pays européens reste au point mort. « Notre prochaine bataille sera celle de la lutte contre la compétition fiscale », prévient Manon Aubry.

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