Patrick Rambaud avait utilisé la satire entre 2007 et 2012 pour décrire le règne de "Nicolas 1er"."François le petit" est un ouvrage réjouissant sur la forme mais implacable sur le fond, dépeignant une vie politique qui glisse inexorablement vers la médiocrité.
En refermant votre livre, on hésite entre le rire et la consternation.
C'est justement parce que j'étais consterné que j'ai recommencé. Quand Sarkozy a été élu, je me suis dit "C'est pas possible, il faut faire quelque chose!" J'ai fait un livre (Chronique du règne de Nicolas 1er) et puis finalement, j'en ai écrit six. Au-delà de la chronique politique, ces bouquins sont aussi des panoramas de l'époque. Et il faut bien reconnaître que notre époque, en plus des horreurs qu'elle charrie, est passablement ridicule.
Pourquoi avoir choisi cette forme littéraire si particulière?
C'est de la satire, dans la vieille tradition latine qui existe depuis des siècles, depuis Horace en fait. Si vous lisez Horace aujourd'hui, vous allez être étonnés. A 21 siècles de distance, il est capable de vous dresser le portrait d'un emmerdeur comme on en connaît tous. C'est exactement le même! Le type qui vous accroche et dont on ne peut plus se dépêtrer. C'est ce que dira plus tard La Bruyère, en expliquant que les gens sont tous les mêmes, qu'on les retrouve partout, de tout temps.
Vous décrivez François Hollande comme quelqu'un de froid et calculateur, ce que l'on savait déjà. Mais vous évoquez aussi son absence totale de culture littéraire, son désintérêt pour le roman. Qu'est-ce que cela veut dire de lui?
Léon Blum travaillait le matin au ministère. L'après-midi, il lisait. Mitterrand était un homme cultivé. Avant lui, Giscard lisait Maupassant. De Gaulle aussi était un grand lecteur. Certes, c'était une autre époque, mais quand même... Depuis Sarkozy, on a des analphabètes? Hollande, en plus, est un énarque. Or, il y a deux choses qui n'intéressent absolument pas les énarques: l'histoire et la littérature. Alors que ce sont quand même les deux sujets qui font un bonhomme, qui lui donnent du volume, une possibilité de mieux comprendre les choses.
C'est vrai que les énarques en prennent pour leur grade dans votre livre...
On parle de gamins de 25 ans qui n'ont jamais bossé et qui décrochent tout de suite de gros postes dans l'administration alors qu'ils n'ont jamais rien vécu. C'est terrible! Pour moi, ce sont des zombies. Et il y en a partout, dans tous les couloirs...
On sent que vous prenez énormément de plaisir à brosser des portraits. Par exemple, celui de Laurent Wauquiez, énarque lui aussi, qui apparaît comme l'archétype du félon...
Ce n'est pas moi qui le dis. Ce sont ses amis! Quand je regarde le dossier que j'ai sur Wauquiez, toutes ces coupures de journaux, tout le monde dit que c'est un traître! Pour faire un portrait, il faut un trait de caractère. Là, je l'avais.
Vous attendiez-vous à ce que François Hollande soit un aussi bon sujet de livre?
Au début, je me suis dit: "On en a fini avec Sarkozy, je vais pouvoir passer à autre chose". Et puis, en voyant le résultat catastrophique des débuts de Hollande, je me suis dit: "C'est pas possible, il est trop con!". En fait, tous ces gens ne pensent qu'à leur réélection.
Vous dites qu'il s'inspire du "Bréviaire des politiciens" du cardinal Mazarin. N'est-ce pas là la marque d'un profond cynisme?
Hollande ressemble à Mazarin d'une façon tragique. Dans son Bréviaire, Mazarin dit notamment que, pour régner, il faut s'entourer de caractères complètement différents. Hollande ne fait que ça. Il prend comme conseillers Aquilino Morelle et Emmanuel Macron, qui n'ont absolument rien à voir, il associe dans son gouvernement Valls et Taubira... On appelle ça la synthèse? Je n'y vois que du calcul.
François Mitterrand aussi était comparé à Mazarin...
Oui, mais Mitterrand avait du charisme, de la hauteur, une épaisseur réelle. On le sentait quand il entrait dans une pièce. Aujourd'hui, ils n'ont plus que la carcasse.
L'omniprésence de la vie privée nourrit aussi votre livre. Comment voyez-vous cette évolution?
Cela a commencé avec Giscard, qui a fait entrer la vie privée à l'Elysée. Avec Sarkozy, c'est Closer qui y est entré... Et Hollande continue. Cela commence avec le premier tweet de Valérie Trierweiler, à peine un mois après son élection. Après ça, on poursuit sur le mode grotesque, avec la Vespa et le casque... C'est complètement tocard!
L'environnement a aussi beaucoup changé...
Bien sûr! La pression populaire est énorme. Il y a internet, les chaînes d'info en continu, les sondages. Vous avez quinze sondages tous les jours. Ces gens nous disent qu'ils ne les regardent pas mais c'est faux: ils passent leur temps à les interpréter pour savoir comment manœuvrer en vue de gagner les prochaines élections. Cela devient un jeu de société mais ce n'est plus une méthode de gouvernement.
Derrière la forme, votre livre contient aussi une fine analyse politique. Comment travaillez-vous?
Je lis les journaux tous les matins, du Monde à Closer. Une documentaliste m'aide également en constituant des dossiers. Une fois qu'on a tout ça, on prend un grand tamis, on secoue au-dessus et on voit ce qu'il reste. Le livre sur Hollande ne s'est pas fait sur le même rythme que les chroniques de la présidence Sarkozy. Sarkozy, c'était à chaque fois sur un an. Là, c'est sur deux ans et demi, il y a donc beaucoup plus de choses à brasser. Et il y en aura encore dans deux ans.
D'autant que ça repart fort, avec, par exemple, le débat sur la déchéance de nationalité...
Alors ça, c'est un fumigène absolument génial. Tu jettes ça et derrière, on ne voit plus rien. Alors que c'est complètement idiot, c'est un sujet complètement con. S'empailler là-dessus, c'est ridicule... Ce ne sont que des calculs, des manœuvres, des manipulations qu'on voit venir à 300 mètres.
Propos de Patrick Rambaud recueillis par Samuel Ribot, ALP.
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