Laurent Mouloud
L'Humanité - Jeudi, 24 Décembre, 2015
2014. Neuf millions de Français vivent désormais avec moins de 964 euros par mois, sur fond d’accroissement des inégalités.
Cela restera l’un des échecs cuisants de ce quinquennat. Depuis 2012, le gouvernement a largement échoué à faire reculer la pauvreté en France. Les dernières statistiques de l’Insee, publiées hier, sont malheureusement sans surprise : en 2014, 14,2 % des 28 millions de ménages, familles monoparentales en tête, ont vécu sous le seuil de pauvreté (1), fixé à 964 euros par mois. Ce chiffre, en hausse par rapport à l’année dernière, résonne comme un triste bilan pour l’exécutif, dont les mesures engagées depuis trois ans et demi semblent n’avoir eu, pour l’instant, que très peu d’effet.
L’Insee tente d’être moins sévère. L’Institut rappelle que les années 2012 et 2013 ont été marquées par une légère « baisse » de ce taux de pauvreté, après le pic de l’année 2011 (voir infographie). Mais ce recul, comme nous l’avons déjà écrit, est à prendre avec des pincettes et ne saurait être mis au crédit du gouvernement. Au contraire. Il n’a été que la conséquence mécanique de la baisse du niveau de vie médian des Français à partir duquel le seuil de pauvreté est calculé. En clair : des personnes pauvres en 2011 ne l’étaient plus en 2012 alors qu’elles avaient le même revenu…
Une forte progression à partir de 2008
Ces derniers chiffres de l’Insee, encore provisoires (l’estimation définitive du taux de pauvreté 2014 sera publiée en septembre 2016), confirment, en tout cas, la tendance lourde de ces dernières années. « La pauvreté a fortement progressé à partir de 2008, avec l’accentuation des difficultés économiques liées à la crise financière », rappelle l’Observatoire des inégalités. Entre 2008 et 2012, quelque 800 000 personnes sont ainsi venues grossir les rangs des ménages pauvres. Qui regroupent aujourd’hui près de 9 millions d’individus.
Lors de la publication, en septembre dernier, de son baromètre annuel, le Secours populaire français (SPF) alertait déjà sur cet « enracinement » de la pauvreté. « La crainte de basculer un jour dans la précarité et de voir ses enfants connaître le même sort touche une part de plus en plus large de la population », soulignait notamment l’association. Révélant, au passage, que les deux tiers des Français (66 %) affirmaient avoir un proche dans la pauvreté et que 87 % estimaient que leurs enfants avaient un risque encore plus grand de connaître un jour cette situation.
Des riches toujours plus riches
Pour l’Insee, ces mauvais chiffres 2014 s’expliquent, avant tout, par la mauvaise conjoncture économique qui frappe en priorité les personnes les moins qualifiées et les emplois précaires. « La hausse prononcée du chômage entraîne une baisse de l’ensemble des salaires cumulés sur l’année pour ceux qui ont alterné période d’emploi et de chômage ou ceux qui travaillent à temps partiel », note ainsi l’Institut. Conséquence logique et inquiétante : le niveau de vie des 30 % des individus les moins aisés baisse davantage, en 2014, que celui du reste de la population, entraînant un accroissement des inégalités. À l’évidence, les mesures sociales et fiscales prises par le gouvernement en direction des plus modestes, notamment la réduction de l’impôt sur le revenu et la revalorisation de certaines prestations comme l’allocation de rentrée scolaire ou encore du RSA et du minimum vieillesse, sont loin d’avoir suffi à rééquilibrer ce décalage.
En la matière, la volonté politique manque cruellement, alors même que la question de la répartition des richesses et des niveaux de revenus se pose de manière aiguë. « Les inégalités de salaires ont nettement diminué entre le milieu des années 1960 et le début des années 1980, fait remarquer l’Observatoire des inégalités. Mais si l’on regarde les années récentes et la situation des plus hauts salaires, la situation s’inverse. » Les 1 % des salariés les mieux rémunérés percevaient 5,5 % de la masse salariale en 1996, contre 6,9 % en 2008. Et il en va de même pour les inégalités de patrimoine : entre 2004 et 2010, les 10 % les plus fortunés ont vu leur patrimoine moyen augmenter de 400 000 euros tandis que celui des 10 % les moins riches progressait de… 114 euros !
(1) 60 % du revenu médian.