Liesse populaire dans les rues de Madrid, dimanche soir, après le score historique obtenu par le jeune mouvement Podemos, dirigé par Pablo Iglesias, qui dorénavant compte dans le paysage politique espagnol. Photo : Pedro Armestre/AFP
CATHY CEÏBE - MARDI, 22 DÉCEMBRE, 2015 - L'HUMANITÉ
Le bipartisme est à bout de souffle, comme en témoignent les scores obtenus par Podemos et Ciudadanos, qui deviennent respectivement les troisième et quatrième forces nationales. La droite comme les socialistes ne sont pas en mesure de gouverner seuls, ouvrant ainsi le chapitre d’intenses négociations.
Madrid (Espagne), envoyée spéciale.
«Oui, oui, c’est possible ! » Vers minuit, dimanche, une foule de plusieurs milliers de personnes a scandé l’un des célèbres slogans du mouvement citoyen des Indignés de 2011 et de résistance à l’austérité, et acclamé les dirigeants de Podemos réunis sur le parvis du musée Reina Sofia, à Madrid. La jeune formation de Pablo Iglesias a connu une ascension fulgurante, moins de deux ans après sa fondation, au point de venir bousculer le paysage politique espagnol.
Podemos est l’un des phénomènes des élections générales qui se déroulaient dimanche, à l’image du score obtenu par Ciudadanos (C’s –droite conservatrice), désormais quatrième force politique alors que cette formation régionale n’existait qu’en Catalogne il y a encore quatre ans. « Nous sommes la première force en Catalogne, au Pays basque. Nous sommes la seconde force à Madrid, en Galice, aux Canaries, aux Baléares (…). Nous sommes parvenus à mettre un terme à la politique d’alternance, à ouvrir une nouvelle ère (…). Nous avons dit que nous ne faisions pas une campagne électorale mais que nous construisions une patrie pour gagner la prochaine décennie (…). Ce soir, l’Espagne est autre, et elle le sera demain. C’est un acquis. Il y a un futur pour notre patrie, populaire, plurinationale », s’est exclamé depuis la tribune Iñigo Errejon, le numéro deux de Podemos.
La mutation politique bat son plein. Au terme des élections générales de dimanche, les 73 % d’électeurs ont profondément transformé le Parlement espagnol. Les résultats démontrent, après les scrutins municipaux et régionaux de mai dernier, que le bipartisme est à bout de souffle. Si le Parti populaire (PP-droite) au pouvoir reste la première force du pays avec 28,72 % des suffrages et 123 députés, il essuie un vote sanction des plus sévères puisqu’il perd la majorité absolue, établie à 176 sièges, et près de 3,5 millions de voix. Il avait en effet totalisé 44,62 % des suffrages, soit 186 députés, en 2011. Ses politiques d’austérité, de « recortes » (coupes budgétaires) dans les dépenses publiques – singulièrement dans les secteurs de la santé et de l’éducation – ou encore les scandales de corruption qui éclaboussent les dirigeants de cette formation sont autant de facteurs qui expliquent sa nette dégringolade. Hier encore, cette punition électorale aurait bénéficié au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), selon la règle de l’alternance, quasi institutionnalisée depuis la fin du franquisme en raison d’une législation électorale injuste. Mais là encore, l’échiquier a été modifié. La formation emmenée par Pedro Sanchez est certes arrivée en deuxième position, avec 22 % de voix. Mais les socialistes perdent 1,4 million d’électeurs et vingt parlementaires (90 contre 110 en 2011). De ce fait, les deux grands partis qui ont structuré la vie parlementaire se retrouvent en minorité, à la merci des autres formations, sur lesquelles il faudra désormais compter. Podemos, qui s’est présenté pour la première fois à des élections lors des européennes de juin 2014, fait une entrée fracassante aux Cortes, le Congrès des députés. Il a totalisé pas moins de 5,18 millions de voix et 69 députés. Ce score vient confirmer la capacité de ce parti à capter le mécontentement d’une société lessivée au terme de quatre ans de crise économique qui a ruiné des millions de familles. On reconnaît à ses dirigeants le flair d’avoir senti le moment de basculement historique dans lequel se trouve l’Espagne. Leur discours en faveur du « changement » a trouvé un écho dans l’électorat de gauche mais également du centre et auprès d’une classe moyenne frustrée, qui ne l’a jamais vraiment été en raison même de la crise. Ce résultat est également à mettre au compte des listes de confluence, dont Podemos ne peut seul revendiquer la paternité puisqu’il englobe les scores enregistrés avec les nationalistes de Compromis dans la région de Valence (9 députés), avec En Marea en Galice, qui comprend des nationalistes, la variante galicienne d’Izquierda Unida (IU-gauche unie), et des indépendants (six parlementaires). En Catalogne, la coalition, qui a raflé 12 sièges, compte, outre Podemos, les partis écologistes Equo et ICV, l’IU catalane, ainsi qu’une majorité de représentants de la plate forme unitaire d’Ada Colau, la maire de Barcelone. Durant la campagne, ces trois listes régionales ont plaidé pour la création de groupes parlementaires propres. Quoi qu’il advienne, Podemos détient l’une des clés de la future majorité gouvernementale. Tout comme Ciudadanos, une nouvelle formation néoconservatrice et ultralibérale. Son leader, Albert Rivera, a annoncé que ses 40 parlementaires ne s’opposeraient pas à l’investiture du premier ministre sortant, Mariano Rajoy, sans toutefois voter en sa faveur de crainte d’entamer son influence grandissante en s’adossant à un parti critiqué et en perte de vitesse. Pablo Iglesias a lui été beaucoup plus clair, en déclarant que « Podemos ne permettra pas (la formation) d’un gouvernement du Parti populaire, ni avec des votes en faveur ni avec l’abstention ». Il a également mis en garde le chef de file des socialistes : « Il semblerait que ces messieurs n’ont pas compris que l’Espagne est un pays divers et pluriel », a-t-il rappelé. Dès dimanche, le secrétaire général de Podemos a réfuté toute idée de pacte, et conditionné son vote à un changement de Constitution afin de blinder les droits sociaux des citoyens mais également d’ouvrir la voie à des référendums d’autodétermination comme en Catalogne, aujourd’hui interdits par la loi fondamentale. Un point sur lequel le PSOE a peu de chances de donner son feu vert.
Tous les scénarios sont possibles pour une possible coalition
Comme jamais donc, tous les scénarios sont possibles même si l’idée d’une grande coalition PP-PSOE n’est envisagée par personne, du moins à l’heure où ces lignes sont écrites. D’aucuns aimeraient se passer de l’influence des deux nouveaux partis mais cela est impossible au vu du reste de la composition du Parlement. Les forces nationalistes du Pays basque et de la Catalogne, qui ont respectivement obtenu un total de 8 et 17 députés, ne sont bien évidemment pas insensibles à la posture référendaire de Podemos. Quant à Izquierda Unida, avec ses deux députés – si l’on excepte les trois autres obtenus en Catalogne et en Galice –, elle n’est pas en mesure de constituer un groupe parlementaire autonome à même de faire entendre son discours de « défense sociale », selon l’expression de son candidat Alberto Garzon, qui a, une nouvelle fois, regretté l’impossible unité avec Podemos et critiqué la loi électorale à géométrie territoriale variable qui l’a contraint à rassembler 461 000 voix pour élire un parlementaire, contre 58 600 pour le Parti populaire. Une page de la vie politique s’est bel et bien tournée. Et le nouveau chapitre qui s’ouvre promet d’être intense au point de ne pouvoir écarter l’idée d’élections anticipées faute d’un accord au sein des Cortes.
Un parlement un peu plus féminisé. Pour la première fois dans l’histoire politique espagnole, 140 femmes siégeront au Parlement à l’issue des élections législatives de dimanche dernier (contre 125 dans le Congrès sortant et 126 dans le précédent). Cependant, la parité pleine et entière est encore loin d’être atteinte avec 210 élus masculins au total. Toutes listes confondues, 2 263 candidats titulaires de sexe masculin (52 %) et 2 090 femmes (48 %) ont présenté leur candidature. Dans la nouvelle législature, 46 % des 90 sièges obtenus par le PSOE seront occupés par des femmes contre seulement 36,5 % des 123 fauteuils du Parti populaire.
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