Figure politique brestoise, il s'est éteint dimanche, à l'âge de 97 ans. Il avait siégé à l'Assemblée Nationale pendant toute la IVe République.
C'était l'époque où le Parti Communiste français alignait les scores à deux chiffres. L'époque où son groupe de députés était imposant, puissant. C'était sous la IVe République (1946-1958). De cette période, un nom ressort un peu plus que d'autres: celui de Gabriel Paul, député du Finistère.
Et pour cause. Il a siégé sans interruption pendant toute cette République. Belle carrière politique pour ce fils de cheminot, secrétaire comptable à la direction des constructions et armes navales de Brest, militant cégétiste, combattant et prisonnier en juin 1940...
Mais c'est dans la Résistance que Gabriel Paul accède à ses premières vraies responsabilités.
Le PCF vit alors dans la clandestinité. En janvier 1942, Gabriel Paul adhère et rejoint les Francs Tireurs partisans (FTP). Il se charge de l'organisation des maquis. Dans le Morbihan d'abord, puis dans le Finistère. Logiquement, à la Libération, sa légitimité de résistant et le poids électoral du PCF lui ouvrent les portes de la politique.
Dès l'automne 1945, il participe aux travaux préparatoires de la Constitution. Il siège au sein de la première Assemblée constituante, puis dans la seconde, avant de devenir député de la IVe République. Chaque nouveau scrutin est synonyme de réélection. Il ne sera vaincu qu'en 1958, par ce qu'il appelait "la déferlante gaulliste".
En douze ans, le député finistérien ne reste pas inactif. Sujets locaux, nationaux, internationaux, il fait valoir ses convictions. En 1946, lors du vote du budget, il rappelle les besoins financiers particuliers que nécessite la reconstruction du port de Brest. Il vote pour les nationalisations, la revalorisation des salaires, la majoration des allocations familiales; contre le plan Marshall, le pacte Atlantique (création de l'OTAN); dénonce la "guerre impérialiste" en Corée, ou l'état d'urgence en Algérie...
Mais son grand regret restera la parité des salaires entre ouvriers des arsenaux et métallos parisiens. La décision a été prise par décret. "Il aurait fallu une loi!" tonne t-il encore en 2001, au 50e anniversaire de cette mesure. Gabriel Paul était d'ailleurs un ami de Pierre Cauzien, grièvement blessé le 17 avril 1950 et amputé d'une jambe, le témoin principal de Kris et Etienne Davodeau, les auteurs de la BD Un homme est mort. Il tire définitivement un trait sur l'Assemblée nationale en 1968. Après les événements de mai, son parti ne le désigne pas comme candidat. Amertume. "J'ai été surpris. On ne me croyait plus capable de mener une campagne électorale". En 1977, l'Union de la gauche le ramène aux affaires. Il devient vice-président de la communauté urbaine, en charge des transports, de la sécurité et des HLM.
Lui qui n'avait jamais goûté au mandat local y trouve son plaisir. "On a progressé dans tous les domaines dont j'avais la charge", estime t-il plus tard. "Et je pense avoir laissé une bonne image. J'ai aimé ce travail. C'est plus concret, plus intéressant que le travail législatif". Mais comme tout le monde, il assiste à la perte d'influence du PCF au fil des années 1980.
En rénovateur du parti, il n'élude pas le sujet. Alors qu'il s'apprête à fêter ses 70 ans en 1988, il appelle au sursaut. "On n'est pas allé au fond des choses. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Ce n'est pas normal que l'électorat fonde aussi rapidement. C'est qu'on n'a pas su l'entraîner derrière nous". Il quitte ensuite le Parti pour fonder, avec d'autres, Brest nouvelle citoyenneté. Il en était toujours le président d'honneur.
Olivier Pauly
"Heureusement, la population était derrière les grévistes"- entretien avec Gabriel Paul daté du 22 mai 2001.
Quelle était la situation des ouvriers de l'arsenal avant 1951?
Les salaires des travailleurs de l'Etat n'étaient pas homogènes. Ils étaient établis région par région. Plus personne ne s'y retrouvait. Depuis la Libération, les syndicats des travailleurs de l'Etat faisaient valoir une idée: la parité de leurs salaires avec ceux de la métallurgie parisienne. Malgré les promesses du gouvernement, les écarts étaient devenus trop sensibles pour que nous restions les bras croisés.
Où la volonté de changement s'est-elle manifestée en premier? Dans la rue ou au Parlement?
Le 23 mars 1951, un mouvement ouvrier se déclenche à Brest. Les manifestants exigent un redressement des salaires et le versement d'une indemnité forfaitaire de rattrapage sur les traitements de la métallurgie parisienne. Deux jours plus tôt, le 21 mars, avec le groupe communiste, nous avions déposé une proposition de loi à l'Assemblée Nationale. Elle portait sur l'assimilation des salaires. Au cours de la grève brestoise, je me suis rendu compte que notre texte répondait parfaitement à leurs aspirations.
Face au mouvement social, quelle est la réaction du gouvernement?
Au bout de deux semaines de grève, le ministre de la Défense accorde une augmentation aux travailleurs de l'Etat. Elle est insuffisante. Il en accorde une seconde. Ce n'est toujours pas assez. Les choses commencent à traîner. Elles seraient allées plus vite si les autres arsenaux s'étaient joints à nous. Ils avaient peur. S'ils se solidarisaient avec Brest, ils seraient sanctionnés. Heureusement, la population était derrière les grévistes. Dans les communes des environs de Brest, les conseils municipaux votaient des subventions pour les gars de l'Arsenal.
Et votre proposition de loi, où en était-elle?
Le MRP avait lui aussi déposé une proposition de loi, allant dans le même sens que la nôtre. La différence résidait dans le maintien des abattements de zone, que prônait le MRP. Mais en tout état de cause, cela prouvait que nos revendications étaient justifiées. Le jour anniversaire de la mort d'Edouard Mazé, le 17 avril 1951, j'ai interpellé le gouvernement. Pour accélérer les choses. Le gouvernement n'a pas répondu immédiatement. Les pressions des grévistes continuant, la proposition de loi est venue au vote. Nous étions le 12 mai.
La fin du combat?
Non. A la fin des débats, Jules Moch, ministre de la Défense nationale, affirme que le problème ne doit pas être réglé par une loi du Parlement. Selon lui, un règlement du gouvernement suffisait. Il nous a promis un décret fixant la parité entre les salaires de la métallurgie parisienne et ceux des travailleurs de l'Etat. Le texte est entré en vigueur le 22 mai. Nous aurions préféré une loi. Juridiquement, cela aurait été plus solide. Un simple décret peut revenir sur ce qui a été gagné de haute lutte en 1951.
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