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22 novembre 2015 7 22 /11 /novembre /2015 07:57

Un sondage commandé par Ouest-France laisse à penser que les dispositions sécuritaires et "anti-terroristes" prises par le gouvernement et le Parlement rencontrent la faveur d'une très large majorité de français. Cela dit, bien sûr, cela s'explique aussi par l'ambiance unanimiste face à une France agressée, la réalité de la menace, l'inquiétude et l'ampleur de l'émotion suscitée par le terrorisme islamiste radical et les attentats du vendredi 13 novembre, le besoin de protection contre la violence, mais aussi peut-être, sous l'influence de l'appropriation progressive par une grande partie des courants politiques et de la population des modes de pensée de l'extrême-droite, une perte de conscience critique démocratique.

Quand on prenait les dispositions d'état d'urgence au moment de la guerre d'Algérie, que l'on donnait les pleins pouvoirs à l'armée pour assurer des fonctions de police et torturer industriellement en Algérie (c'était déjà à des socialistes, Mitterrand et Mollet, que revenait l'initiative de cette forfaiture), l'opposition des Français n'était pas non plus massive par rapport à cette rupture anti-démocratique justifiée au nom de la sécurité et de la protection des civils face aux terroristes. Si on rétablissait demain la peine de mort pour les terroristes, il y aurait certainement une majorité de sondés pour... Le Pen père a essayé d'avancer cette idée originale mais pas un média n'a voulu assister à sa conférence de presse. Fini, dépassé, le nouveau visage de la droite dure est ailleurs.

Sondage dimanche Ouest-France. Les Français derrière François Hollande:

http://www.ouest-france.fr/europe/france/sondage-dimanche-ouest-france-les-francais-derriere-francois-hollande-3857946

Bien sûr, les mesures prises en 2015 ne sont pas aussi graves que celles qui ont été appliquées au milieu et à la fin des années 1950 en Algérie face un ennemi considéré comme étranger et inférieur dans le cadre du système colonial, mais elles portent avec elles un objectif de communication autour de l'Etat fort et impitoyable avec ses ennemis de l'intérieur et de l'extérieur, elle libère la police de l'essentiel de la contrainte judiciaire et éthique de protection des libertés pour perquisitionner et appréhender les suspects, elles rendent les binationaux citoyens de manière conditionnelle et potentiellement suspects de lèse-République, elles justifient la restriction des libertés et du respect de la vie privée pour tous au nom de la lutte contre quelques centaines d'islamistes radicalisés pouvant perpétrer des actes terroristes alors que les lois qui existaient déjà permettaient déjà d'agir pour les neutraliser et les surveiller.

L'Humanité du samedi 21 novembre détaille ces mesures dans un article d'analyse "L'arsenal sécuritaire du gouvernement passé au crible".

Pourquoi on peut considérer ces mesures d'exception qui vont tendre à institutionnaliser l'exception et l'état d'urgence comme d'inspiration néo-conservatrice?

Parce qu'au nom de la défense de la démocratie contre les BARBARES, le Mal, on justifie une remise en cause très sévère des garanties démocratiques collectives et individuelles, beaucoup de socialistes réclamant d'ailleurs que ces mesures sorties des ateliers de M. Urvoas, député de Quimper et homme sécurité de la droite du PS, ne soient pas provisoires mais permanentes.

Parce qu'un Etat qui se met au service des puissances d'argent et qui de ce fait agrandit le désordre social, les injustices et les inégalités, qui sont une partie du terreau de la radicalisation, (même si on ne peut pas non plus réduire l'explication de l'islamisme radical et de son attrait sur quelques jeunes à des causes économiques et sociales) se rétablit une popularité provisoire en donnant raison aux discours les plus populistes et en prenant des mesures prônées il y a quelques mois seulement par la droite extrême.

"Police partout, justice nulle part": on n'est pas très loin de donner raison à ce slogan anarchiste.

Beaucoup des mesures annoncées par le gouvernement n'ont pas d'efficacité supplémentaire par rapport aux possibilités offertes par les lois existantes pour lutter contre la menace terroriste mais visent des effets de communication politicienne potentiellement dangereux car porteurs d'amalgame et de régression démocratique et donnent raison à des idées primaires venues de l'extrême droite.

- La meilleure réponse à la montée du terrorisme, c'est l'intensification de la guerre ... comme l'ont montré avec éclat l'exemple de l'invasion de l'Afghanistan, de l'Irak, de la Libye, du Mali.

Les fous furieux, fascistes et voyous de Daesch vont-ils être éradiqués grâce à une grande alliance militaire improbable entre Russie, Etats-Unis, France, Bachar-al-Assad, Hezbollah, Kurdes, Iran, Arabie Saoudite. Ce peut être le cas sur le sol syrien et irakien, à condition de s'en donner les moyens, et personne ne regrettera alors cette bande armée d'une violence folle au sadisme éprouvé par rapport aux minorités non arabes et non sunnites, aux femmes et à tous ceux qui ne pensent pas dans son cadre de pensée dément et totalitaire.

Est-ce que cela veut dire que la France et les pays arabes seront moins exposés au terrorisme? Evidemment que non

Est-ce que cela veut dire que la Syrie retrouvera la paix: c'est impossible tant que Bachar-al-Assad, le bourreau de son peuple, parfaitement illégitime, représentant à peine 10 à 20% de la population sur des critères communautaires et des intérêts liés à la peur, reste au pouvoir.

- On sera mieux protégé si les policiers sont toujours armés, même après leur temps de service. Voyez l'exemple des Etats-Unis, le pays le moins tranquille de la terre.

- La déchéance de nationalité pour les binationaux suspects ou convaincus de terrorisme: c'est laisser entendre que pour un Français né de parents étrangers en France, sa nationalité se mérite, et pas pour un Français né de parents français. Cela laisse entendre qu'il pourrait y avoir deux types de nationalités françaises, deux types de citoyennetés. Les français d'origine ethnique nord-africaine, ou turque, même s'ils sont nés en France, "doivent aimer la France ou la quitter", pour reprendre une formule du père Le Pen. Avec un pouvoir de droite dure ou d'extrême-droite, on pourra décider sur les critères des plus futiles que des binationaux sont des menaces pour l'ordre public et ils se verront expulsés.

- Les assignations à résidence élargies: on atténue la distinction entre l'entreprise criminelle avérée et le statut de suspects à surveiller.

- Les perquisitions administratives confortées: il n'est pas sûr qu'elles ne soient utilisés que contre les islamistes radicaux à terme. Et les militants d'extrême gauche, les syndicalistes, les radicaux écologistes, les lanceurs d'alerte, tous ceux qui gênent le pouvoir néolibéral et sécuritaire auront du souci à se faire. D'ailleurs, des victimes de l'état d'urgence sont les mouvements sociaux progressistes, les manifs écologistes liées à la COP 21, les manifestations féministes.

- Fermer les mosquées radicales, expulser les imams haineux: d'accord pour empêcher de professer leurs idées et d'embrigader des imams qui propagent des idées haineuses et ultra-réactionnaires contraires aux principes républicains et démocratiques élémentaires. C'est la même chose pour d'autres religions, et même pour des leaders politiques. Mais la loi permet déjà de le faire. Fermer une mosquée, c'est encore autre chose que d'interdire d'exercer un imam radical.

C'est vraiment regrettable que ce gouvernement au nom de la lutte contre le terrorisme enfourche la voie de la guerre de civilisation, la voie sécuritaire et de la restriction des garanties démocratiques, emboîtant le pas dans le discours et sur un mode mineur encore, aux Bush, Blair, Netanyahou et consorts.

Il est plus que jamais difficile de différencier ce gouvernement socialiste de la droite sarkozyste et ce n'est pas un hasard si ce sont les électeurs de droite et d'extrême-droite qui sont les plus satisfaits de ce "tournant" sécuritaire-autoritaire du gouvernement Hollande-Valls.

Ismaël Dupont.

Lire aussi, Médiapart:

Etat d'urgence: à l’Assemblée, le temps des faucons

« Pas de juridisme, avançons ! », a lancé Manuel Valls aux députés. L’Assemblée a voté la prolongation de l’état d'urgence pour trois mois, par 551 voix contre 6 (et une abstention). Au nom de l’« union nationale », la droite a largement influencé le texte, et ricane : « La gauche s’est radicalisée ! »

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