L’HUMANITE DIMANCHE
Chronique de FRANCIS WURTZ (*)
On peut être « directeur de recherche émérite à Science-Po » et se livrer à des analyses abracadabrantesques ! C'est ce que vient d'illustrer Gérard Grunberg sur une demi-page du « Figaro » (1). À ses yeux, « la victoire de Tsipras est une catastrophe pour la gauche radicale en France ». Rien de moins ! Il y a d'ailleurs des masochistes parmi ces « radicaux » puisque, note-t-il : « C'est une nouvelle désastreuse, même si le Parti communiste français (PCF) s'en est réjoui. » Le raisonnement de l'universitaire est sans appel : en réélisant Tsipras, « le peuple grec (...) a exprimé clairement sa volonté » de rester dans la zone euro tout en sachant que le prix à payer serait lourd ». Or, « puisque le PCF s'est prononcé pour le maintien de la France dans l'euro, au nom de quoi pourfendra-t-il encore la politique du pouvoir socialiste à l'égard de l'Europe ? » Une telle accumulation de sottises en si peu de mots tient de la prouesse ! Revue de détail : d'abord, pour exprimer leur volonté ¬ réelle ¬ de rester dans la zone euro, les électeurs et les électrices grecs avaient l'embarras du choix. Si près de 36 % d'entre eux se sont prononcés pour Tsipras et son parti, c'est qu'ils leur reconnaissent une spécificité majeure, prouvée par l'expérience de l'impitoyable confrontation entre le pot de fer européen et le pot de terre grec : ils se battent jusqu'au bout du possible, avec comme seule limite le refus du chaos, et ils sont d'une loyauté exemplaire vis-à-vis de leur peuple. En confiant à nouveau à Tsipras la direction des affaires publiques, les électeurs de Syriza ont voulu se donner les moyens de continuer le combat aussi loin que les rapports de forces le permettront. Et ces derniers ne dépendent pas des seuls Grecs mais de tous les Européens !
Le PCF ne se prononce pas simplement « pour le maintien de la France dans l'euro », autrement dit pour le statu quo ! Il insiste au contraire sur « l'exigence de transformations radicales (de l'euro) rompant avec l'austérité », telles qu'« une création monétaire par la BCE favorisant emploi, salaires, services publics, production réelle » (2). Dans l'immédiat, il agit pour la création ¬ possible sans changer les traités ! ¬ d'un fonds de développement social et écologique : une proposition reprise par le Parti de la gauche européenne (PGE), dont le président est Pierre Laurent et le vice-président... Alexis Tsipras. Enfin, la politique européenne de la France n'a rien à voir avec celle du nouveau gouvernement grec ! Athènes subit un diktat, Paris le co-organise ! La Grèce a été marginalisée par le pouvoir allemand, la France le courtise ! Tsipras a été empêché de tenir ses promesses alors que Hollande les a délibérément trahies ! En quoi la solidarité avec Syriza serait-elle contradictoire avec la critique de la politique française ?
La vérité est que certains, amers de la victoire de Tsipras malgré les coups qu'ils lui ont assénés ou laissé asséner, tentent de l'instrumentaliser en louant son « réalisme » et en faisant mine d'y voir les prémices d'une « rénovation de la social-démocratie » ! Invitons-les à méditer l'image de la tribune du dernier meeting, à Athènes, à la veille des élections du 20 septembre. On y voit, entourant Alexis Tsipras, l'Espagnol Pablo Iglesias, leader de Podemos ; le Français Pierre Laurent, président du PGE ; l'Allemand Gregor Gysi, figure emblématique de « Die Linke », auxquels s'est jointe la jeune Allemande Ska Keller, viceprésidente des Verts au Parlement européen, qui fut la porte-parole de sa famille politique lors des dernières élections européennes de 2014. Elle est là, la rénovation de la gauche !
(*) Député honoraire du Parlement européen.
(1) « La victoire de Tsipras est une catastrophe pour la gauche radicale en France » (23/09/2015).
(2) « Refonder l'Europe », PCF-Front de gauche (15/11/2013).