L'HAMANITE DIMANCHE
LA CHRONIQUE DE JEAN-CHRISTOPHE LE DUIGOU (*)
LA GESTION DU TRAVAIL NE PEUT ÊTRE MISE SOUS LA TUTELLE DES PATRONS QUI PRIVILÉGIENT LA RENTABILITÉ FINANCIÈRE AU « TRAVAIL VIVANT », C'EST À DIRE À L'HOMME.
L'offensive visant à remodeler le droit du travail a été bien organisée : une campagne insistante du MEDEF cherchant à justifier les problèmes de l'emploi par « l'obésité du Code du travail » ; un petit livre de deux éminents juristes qui reprennent l'argument sans réel esprit critique ; les études de deux laboratoires d'idées sous influence ; enfin, le rapport d'un expert en la personne de l'ancien directeur du travail. Il ne restait plus au gouvernement que de monter dans le train, annonçant une loi pour 2016, tout en prenant soin de se présenter comme le porteur « d'une approche raisonnable ».
La possibilité de largement déroger aux règles du Code du travail par la signature d'accords de branche et d'entreprise serait la clé de la réforme. La loi définirait quelques dispositions impératives à respecter. Elle dirait qu'un salarié ne peut être rémunéré en dessous du salaire minimum horaire, que les 35 heures sont la durée légale du travail ou encore que le temps de travail ne peut excéder 48 heures par semaine. Tout le reste serait renvoyé à la négociation collective, d'abord dans les branches, ensuite dans les entreprises. Chaque accord déterminerait ses propres normes en matière de conditions de travail, d'emploi, de rémunération et de temps de travail.
Quelles que soient les précautions annoncées, notamment l'obligation de passer par un accord majoritaire, ce mécanisme aurait pour conséquence de tirer vers le bas les normes générales du travail. La garantie apportée par l'accord majoritaire est en effet fragile compte tenu du chantage à l'emploi que ne manqueront pas de brandir les directions. Le risque est d'aller vers un émiettement des garanties qui réduira le socle commun sur lequel repose le fonctionnement des relations du travail. La réforme organiserait un repli du droit et l'accentuation de la privatisation de la sphère économique. Les plus faibles seront les victimes de ce nouveau système. De fait, les salariés des PME ne seront à terme couverts que par les seules garanties minimales. Face à cette offensive, il ne s'agit pas de faire du Code du travail actuel un totem et de prôner le statu quo. Comme peuvent le constater les salariés, le Code actuel est ambivalent sur certains points, complexe sur d'autres. Son application dépend souvent du rapport des forces dans l'entreprise. Mais le problème n'est pas de le réduire à un rôle subsidiaire. L'enjeu est au contraire de conforter des normes collectives du travail, d'empêcher qu'elles ne soient absorbées par celles du privé et celles de la rentabilité et de leur donner une portée nouvelle. La gestion du travail ne peut être mise sous la tutelle quasi exclusive des directions d'entreprise qui privilégient toujours la rentabilité financière au « travail vivant », c'est-à-dire à l'homme.
Commençons donc par protéger les travailleurs précaires, les salariés des sous-traitants, les prétendus indépendants des nouvelles activités de service... Il y a là du grain à moudre pour une négociation collective digne de ce nom ! Mais, plus globalement, pour sortir de cette contradiction dans laquelle on oppose droits sociaux et efficacité économique, ne devient-il pas nécessaire d'identifier le travail à un « bien collectif », certes utilisable par un employeur, mais dont la mise en œuvre et le développement apporteraient leurs avantages à la société tout entière ?
(*) Économiste et syndicaliste.