De gauche à droite: Georges Cadiou, Sylvain Cypel, Leïla Shahid, Claude Léostic, Taoufiq Tahani, Jean-Pierre Jeudy
Ce fut un grand moment de réflexion collective, de mobilisation et de solidarité autour de la question palestienne que ce débat organisé par l'AFPS Centre-Bretagne et animé par le journaliste et militant régionaliste Georges Cadiou avec Leila Shahid, la formidable et très charismatique et sympathique diplomate de l'OLP en Europe, Taoufiq Tahani, le président de l'AFPS, universitaire, Claude Léostic, présidente de la Plateforme pour la Palestine, le passionnant Sylvain Cypel, journaliste franco-israélien, ancien correspondant du Monde à New-York, journaliste au "Courrier International" et aujourd'hui correspondant à Médiapart, auteur du livre "les Emmurés", et Jean-Pierre Jeudy, l'ancien maire communiste de Carhaix, un des animateurs de l'AFPS Carhaix.
Il y avait plus de 300 personnes à l'espace GLENMOR de Carhaix, mis à disposition par la mairie de Carhaix pour cet échange qui a duré près de 3h30 et qui a été extrêmement enrichissant et instructif pour comprendre la situation en Palestine et en Israël, les perspectives d'avenir et de lutte pour le soutien aux droits des palestiniens.
Leïla Shahid, née à Beyrouth dans une famille palestinienne victime de l'épuration ethnique israélienne de 1948, a rappelé qu'elle n'était plus déléguée générale de la Palestine en France. A la retraite de la diplomatie, elle est devenue elle-même membre de l'AFPS à Alès. La France est pour elle une terre d'élection pour la solidarité avec les Palestiniens, et la Bretagne y joue un rôle très particulier: il est vrai que 6 représentants de l'OLP, les prédécesseurs de Leïla Shahid, ont été assassinés en France.
Elle est revenue sur les accords d'Oslo,il y a 22 ans, qui paraissent aujourd'hui définitivement caduques et enterrés tant les Israéliens les ont piétinés. Arafat n'était pas dupe sur la facilité à appliquer les accords d'Oslo et des israéliens à tenir leurs engagements, mais c'était la première proposition directe que faisait à l'OLP un gouvernement israélien officiel, la première négociation bilatérale, la première fois qu'on reconnaissait qu'il y avait un conflit entre israéliens et palestiniens et non entre arabes et israéliens. Ces accords permettaient à l'OLP, un mouvement national né dans l'exil et dans des capitales arabes à l'étranger, de revenir en Palestine. Arafat a dit à ce moment là: c'est déjà une étape essentielle, moi, je ne suis plus de toute première jeunesse, maintenant c'est à vous de construire la souveraineté et l'Etat de Palestine. Jusqu'à l'assassinat de Rabin, la partie israélienne a plus ou moins joué le jeu. Depuis l'assassinat de Rabin, les accords d'Oslo sont minés, dénaturés de l'intérieur par les gouvernements successifs en Israël.
Sylvain Cypel a expliqué ce qui conduisait depuis l'assassinat de Rabin à la droitisation de la société israélienne. Après Oslo, jusqu'en février 1994, pendant 7-8 mois, il y a eu une phase d'euphorie dans la société israélienne, la gauche israélienne. A l'époque toutefois, la droite israélienne disait que le gouvernement Rabin n'avait pas de majorité juive pour faire la paix avec les Palestiniens et négocier la création de l'Etat Palestinien en 5 ans (il aurait dû être créé en 1999 selon le Préambule des accords d'Oslo). Pour Sylvain Cipel, cette droitisation vient de l'incapacité de l'autorité israélienne à mener une négociation honnête et intelligente avec l'OLP. Israël est dominé par la pensée sécuritaire. Or, le fond de la question n'est pas sécuritaire mais politique. La société palestinienne a brusquement basculé après Camp David. Barak a menti effrontément, les services de sécurité israéliens le confessent en privé, en disant que c'était Arafat qui était responsable de l'échec de Camp David en repoussant de prétendues offres généreuses israéliennes. En réalité, c'est Barak qui a voulu en finir avec les négociations de paix avec les Palestiniens pour ne leur substituer que le rapport de force. Barak a menti mais c'est ce que la société israélienne voulait entendre. C'est dans son ADN de se vivre comme victime, et non comme l'oppresseur. Aujourd'hui, dans la société israélienne, l'élément colonial est devenu prépondérant et essentiel. Aujourd'hui, en Israël aussi, il y a des réfugiés, véritables damnés de la terre, qui fuient la guerre et le totalitarisme au Soudan et en Erythrée. Ces gens sont parqués dans le désert du Neguev dans des conditions épouvantables. Il y a des ratonnades contre les africains dans des quartiers de Tel Aviv, avec des morts. Un ministre d'origine marocaine Elie Ishaï, représentatif de l'extrême-droitisation de la classe politique israélienne, a dit à cette occasion en justifiant les bastonnades et les massacres: "ces gens là doivent comprendre que nous sommes un pays de blancs". Son grand père juif marocain de l'Atlas doit se retourner dans sa tombe! Avec tous ses travers de l'époque, en Israël, un dirigeant politique n'aurait jamais dit ça il y a 20 ans. Aujourd'hui, si. Aujourd'hui, on observe une dégradation terrible de l'esprit public en Israël, une remise en cause des fondements de la démocratie. En même temps, même si 80% de la société et des jeunes se sont clairement droitisés, il reste 15 à 20% des jeunes qui sont capables de contester la politique étatique et y compris de manifester et d'agir courageusement pour les droits des palestiniens. Le consensus pro-sioniste est dans son contenu beaucoup plus radicalement raciste et dur aujourd'hui qu'il y a 40 ou 45 ans, mais il y a davantage d'israéliens qui s'en libèrent. En même temps, pour la première fois à la Knesset le groupe de parlementaires des citoyens israéliens d'origine palestinienne, avec le Parti Communiste israélien (israélo-palestinien), est le 3ème du Parlement, juste derrière le Parti Travailliste à 1 voix près: 17 députés sur 120. Cela fait très peur à la droite israélienne: ces députés peuvent participer aux commissions de sécurité, de défense, ont accès à l'information. En même temps, parallèlement, le nombre de lois qui discriminent les arabes israéliens est en croissance inquiétante.
Claude Léostic a rappelé que la solidarité de la Bretagne avec la Palestine était considérable, comme en témoignait la présence hier de groupes locaux de l'AFPS de Morlaix, Brest, Douarnenez, Quimper, St Malo, Nantes (...etc.). Le nombre de groupes locaux de l'AFPS en Bretagne est considérable. Le mouvement de solidarité avec les palestiniens est exposé à la fois à une politique gouvernementale alliée au gouvernement d'Israël, et une société travaillée par le lobby pro-israélien et sioniste, même si les Français sont très majoritairement convaincus, comme les Européens, que la politique d'Israël est criminelle et contraire à toute possibilité de paix et de plus en plus solidaire des palestiniens, bafoués dans leur droit à l'existence. Le but de la plateforme des ONG créée en 1993 et qui regroupe une quarantaine d'organisations (comme le MRAP, la Ligue des Droits de l'Homme, la Cimade, le Secours Catholique, l'AFPS, l'UJPP....) est aussi d'exercer une pression médiatique contre les intérêts coloniaux israéliens et pour la défense du droit des palestiniens. La Plateforme réalise un travaille de plaidoyer qui s'adresse aux décideurs, à nos élus à tous les niveaux. Elle se concentre aujourd'hui sur 4 objectifs: - la libération des prisonniers politiques, fondamentale, car la détention arbitraire est un moyen pour les israéliens de casser la lutte des Palestiniens et leur mouvement de résistance à l'occupation militaire et à la colonisation - l'interdiction des produits des colonies israéliennes - la pression pour empêcher la judéisation complète de Jerusalem, la capitale de l'Etat Palestinien - et la lutte contre le blocus inhumain de Gaza.
Taoufiq Tahani a rappelé qu'en haut lieu on faisait tout pour marginaliser la question palestinienne. C'est pourtant une question centrale, la seule question qui peut mobiliser autant de monde en France et en Europe parce que les gens se rendent compte de la gravité des spoliations et des agressions dont ont été victimes les Palestiniens, que c'est un conflit de décolonisation, et que c'est central dans la paix dans le Proche-Orient et dans le monde. 60 à 70% des européens considèrent Israël comme une menace pour la paix et la stabilité du monde, mais les Européens se gardent bien de publier ces sondages. Cazeneuve a lui-même confié à l'occasion des 300 manifestations pour Gaza lors de l'agression d'il y a un an et deux mois que lui-même, s'il n'avait pas été ministre de l'intérieur, aurait manifesté contre l'agression militaire israélienne contre les gazaoui. La campagne "Boycott-Désinvestissement-Sanction" a déjà une certaine efficacité et il faut l'intensifier en la popularisant. Véolia se retire d'Israël, France Télécom Orange est aussi en train de mettre fin à ses partenariats. Pourtant, avec la circulaire Alliot-Marie, que Taubira et Hollande refusent d'abroger, la France est le seul pays qui pénalise le boycott. Aujourd'hui, en raison de l'enlisement du processus de construction étatique et de paix et de la politique du fait accompli et du coup de force des israéliens, 65% des Palestiniens ne croient plus à l'avènement des deux états. Il faut arrêter l'hypocrisie des grands de ce monde: 67 ans après 1948, 48 ans après 1967, la Cisjordanie n'est qu'une peau de léopard et les palestiniens, avec la colonisation, sont prisonniers de petites enclaves.
Mais attention, prévient Leïla Shahid, il y a quelque chose qui devient très dangereux chez les militants, c'est de se dire que si on a pas avancé dans la reconnaissance des droits des palestiniens, c'est qu'on ne connaît pas la bonne solution: 1 Etat binational ou deux Etats. En réalité, Sylvain Cipel l'a dit, l'origine de l'impasse, c'est la droitisation de la société israélienne pas l'hésitation sur la solution technique qui permettrait aux palestiniens de voir leurs droits à l'existence reconnus. Il y a eu un changement dans la nature idéologique de la société israélienne: elle est de plus en plus raciste, et elle n'a pas honte de le dire, de plus en plus religieuse aussi, au sens fondamentaliste de Daesh, du retour aux fondamentaux, à la vie des Hébreux des origines. En face, il y a la stupidité, la criminalité, la lâcheté du monde. Le nouvel ordre mondial né de la disparition du bloc communiste, qui servait d'appui aux revendications nationales décolonisatrices, est un nouveau désordre mondial. L'agression américaine de Irak en 1991, puis en 2003, face à un pouvoir fasciste, on est d'accord, a complètement déstabilisé la région. En soutenant les chiites en Irak, les américains ont créé Daesh: Daesh est la conséquence de la stupidité de la politique américaine en Irak, mais aussi de la férocité de la répression du régime criminel de Bashar el Assad contre l'insurrection démocratique de son peuple. Maintenant, on a deux états décomposés, l'Irak et la Syrie, et un contexte qui n'est plus un contexte de guerre froide mais de guerre chaude avec la Russie qui bombarde la résistance à Bachar et non Daesh. Dans ce cadre là, la Palestine, les droits et les intérêts des Palestiniens, pèsent bien peu. Mahmoud Abbas a rencontré tous les grands dirigeants du monde à l'ONU en entretiens privés mais aucun n'a parlé de la Palestine dans son discours en Assemblée Générale. C'est une négation par l'indifférence des Palestiniens et de la colonisation. Normalement, on aurait dû avoir un Etat en 1999, il y a 16 ans. Le problème, ce n'est pas les hésitations des Palestiniens sur la solution (Etats séparés, Etat binational) mais c'est l'avènement de la nouvelle droite israélienne qui voulait enterrer Oslo. Le seul mot d'ordre: c'est conquérir nos droits, mettre fin à l'occupation militaire. Aujourd'hui, les Américains sont complices. Les Européens, premiers donateurs de l'autorité palestinienne, qui ont financé un aéroport, le début d'infrastructures portuaires, industrielles à Gaza, et qui laissent l'armée israélienne détruire tout ça sans aucune réaction significative, sans aucune sanction, aussi. Le discours européen est la plus grande supercherie. C'est un discours suivi d'aucune mesure sérieuse.
Sylvain Cypel: la question clef, c'est la fin de l'occupation. La logique d'Oslo est caduque: on ne peut plus dire, le jour où il y a la Paix, les Palestiniens auront un Etat, il faut dire, il y aura la paix quand l'armée israélienne mettra fin à l'occupation des territoires palestiniens de 1967. C'est possible, il suffit que comme dans le Sinaï ou à Gaza autrefois, l'armée et la police israélienne se retirent et ne protègent plus les colonies, que l'état facilite le relogement des colons en Israël. Le mot "paix", l'expression "processus de paix" sont devenus des supercheries quand la réalité c'est la colonisation armée, l'oppression et l'apartheid. Les conditions ne sont pas réunies pour la paix, le rapport de force est trop défavorable, le gouvernement israélien n'est pas près à négocier quoique ce soit. Ce qu'il faut mettre en avant, c'est le retrait des territoires occupés. Pendant la guerre d'Algérie, on début, on disait simplement en tant qu'opposants à la guerre coloniale "Paix en Algérie!": puis à partir de 1958 on a dit "Oui à l'Algérie Indépendante!" "Retrait de l'armée française d'Algérie!". Aujourd'hui, il faut dire: l'armée israélienne dehors! Et les 600 000 colons des territoires occupés ne pourront rester sur les territoires palestiniens. Dayan l'avait bien senti lors de l'évacuation du Sinaï. Aujourd'hui, je ne vois pas vraiment la solution sortir d'une évolution positive de la société et de la classe politique israélienne. Les Etats-Unis qui soutiennent militairement, politiquement, financièrement Israël, et donc sa politique de colonisation, ont la clef. Obama est un politicien réformiste assez banal qui considère que la politique, c'est l'art du possible. Il ne met pas une pression énorme sur Netanyahou et pourtant il considère avec l'administration américaine que la politique israélienne est délirante. Seul Washington a les moyens politiques, financiers, militaires de faire plier, de tordre le bras à Israël: ils l'ont fait en 48, en 57, en 73, quand il s'est agi d'empêcher l'invasion et l'annexion de l'Egypte ou le retrait palestinien de Beyrouth en 82. L'image d'Israël se détériore très vite aux Etats-Unis. Il y a aujourd'hui la possibilité d'une fracture importante dans la communauté juive américaine. Les plus lucides n'apprécient pas la dérive pro-droitière et pro-Netayahou du Congrès Américain tenu par des Républicains dominés par un sionisme radical: il ne faut pas oublier que 70%des juifs américains ont voté pour Obama. La possibilité d'une confrontation importante entre les Etats-Unis et l'Etat d'Israël est de plus en plus probable.
Plusieurs questions ont été posées ensuite:
- Faut-il boycotter seulement les produits des colonies ou les produits israéliens en général?
- Quelle action de soutien pour les prisonniers politiques?
- Comment mettre fin à l'impunité internationale d'Israël quand le pays viole le droit?
Raconter par le détail cette conférence-débat à plusieurs voix extrêmement riche et dynamisante, grâce notamment à la très belle personnalité de Leïla Shahid, serait trop long.
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