Lettre ouverte d'Ismaël Dupont
Secrétaire départemental du PCF Finistère et élu d'opposition Front de Gauche à Morlaix et Morlaix-Communauté, membre de la Commission Culture du Conseil Municipal de Morlaix. Documentaliste de profession.
Non, Madame Lebranchu, les bibliothèques et médiathèques ne sont pas à délaisser!
Marylise Lebranchu, la ministre de la Décentralisation et de la Fonction Publique, dans un entretien aux Echos daté du 18 septembre s'emploie à montrer que les maires de France ont bien tort de se rebeller contre la baisse drastique de dotations de l'Etat et évoque comme exemple d'économies flagrantes que les collectivités locales pourraient réaliser la limitation de la construction ou du financement des médiathèques.
« Les médiathèques sont-elles un équipement toujours d'actualité au XXI e siècle ? »
Ce n'est pas un sujet de dissertation mais un argument pour intensifier la politique d'austérité au détriment des communes.
Cette question faussement innocente et dite en passant avec la plus parfaite désinvolture comme beaucoup d'énormités par ce gouvernement qui ose tout (le statut des fonctionnaires, les 35h aussi sont obsolètes pour certains) contient sa réponse.
A l'heure du libéralisme triomphant et du développement du numérique, les médiathèques et les bibliothèques sont probablement devenus des équipements inutiles et sans avenir pour madame la Ministre.
Autant on peut juger que certains équipements culturels (comme la nouvelle médiathèque de St Martin) gagneraient à être partagés entre plusieurs communes pour faire des économies et mieux servir les habitants, autant on peut considérer qu'il est parfois discutable de se lancer dans des grands projets de construction de médiathèque comme aux Capucins à Brest sans prévoir les embauches de personnel nécessaires derrière pour la faire fonctionner, autant il est consternant de voir ce gouvernement socialiste négliger à ce point l'ambition publique en matière de culture pour tous.
Le budget de la culture dans les arbitrages gouvernementaux a baissé de 2,8 % en 2014, de 4,3 % en 2013. C'était la première fois qu'il baissait sous la Ve République et on le doit à un gouvernement soi-disant de gauche.
Pire encore, les collectivités, qui représentent 70 % de la dépense publique en matière de culture, matraquées par les baisses de dotations de l'Etat et les transferts de charge non compensés, tendent progressivement à se désengager partiellement de ce secteur d'activité jugé non prioritaire même s'il génère beaucoup d'emplois associatifs et publics.
« Le politique dénué d’approche culturelle et d’imaginaire est condamné à l’ordre du conjoncturel » écrivait le poète palestinien Mahmoud Darwich très peu de temps avant sa mort.
Il ne se doutait pas à quel point son propos pouvait s’appliquer aux premières années de ce quinquennat Hollande tout entier dévolu à la réduction des dépenses publiques et du pouvoir d’achat alors que sous prétexte de compétitivité les cadeaux s’accumulent pour les entreprises.
Envisager de ne plus financer les bibliothèques et les médiathèques ou croire que les gens pourront s'auto-former par le net et qu'ils déserteront la lecture ou l'écoute de CD, le visionnage de DVD, au profit d'une consommation culturelle passant exclusivement par internet, est très grave car les médiathèques ont le mérite grâce à leurs professionnels qui sont de véritables passeurs de faire découvrir, d'éveiller la curiosité, de proposer une offre culturelle diversifiée et nourrissante.
Comment dans une société en crise économique, sociale et politique, menacée par le fanatisme et des médias de masse qui n'élèvent pas vraiment le niveau de conscience critique des gens, peut-on vouloir délaisser l'éducation populaire, l'ambition de partage et de démocratisation de la culture, des savoirs, de la lecture ? Craint-on que des citoyens trop cultivés soient trop peu malléables et trop rebelles ?
Pour nous, une politique de gauche doit mettre l'émancipation et l'enrichissement individuel et collectif par la culture, accessible à tous, au premier rang de ses priorités. Mais nous ne nous faisons aucune illusion: on ne peut à la fois adorer le veau d'or de la finance et de l'Europe austéritaire et le progrès humain.
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