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7 août 2015 5 07 /08 /août /2015 15:12
Les politiques de domination à l’origine des migrations

Cathy Ceïbe, Gérald Rossi et Émilien Urbach

Vendredi, 7 Août, 2015

L'Humanité

En déstabilisant des régions entières par des interventions militaires, un soutien à des despotes locaux, ou tout simplement en coupant dans les subsides au développement, les dirigeants européens contribuent à nourrir les flux de migrants.

Ils étaient 700, mercredi, amassés sur un bateau de pêche en quête d’un refuge sur le continent européen. Seuls 367 d’entre eux ont finalement réchappé du naufrage. Les autres ont rejoint les 25 000 chercheurs d’asile morts en Méditerranée depuis vingt ans. Les survivants iront dans un des centres italiens d’accueil ou d’identification, à moins que ce soit un récif mentonnais ou un bidonville rebaptisé « jungle » du côté de Calais.

De janvier à juin, 2 865 de nos semblables, fuyant les guerres et la pauvreté, sont morts sur le chemin de leur exil. D’autres peuplent par millions d’autres bidonvilles et camps de réfugiés sur toute la planète. À une implacable majorité, c’est essentiellement dans les pays du Sud qu’ils trouvent asile. On voudrait nous faire croire qu’il s’agit d’un phénomène inexorable, presque naturel, dont les pays occidentaux ont à se protéger. C’est une manipulation guidée par la peur et une supposée prédominance des idées d’extrême droite dans les opinions publiques. Une manipulation qui veut surtout cacher les responsabilités. Les migrants fuient la pauvreté en Afrique, les bombardements en Afghanistan, la guerre civile en Syrie et en Libye, la dictature en Érythrée… Autant de guerres directement ou indirectement déclenchées, au nom de la lutte contre le terrorisme, par les pays membres de l’Union européenne et leurs alliés atlantistes. Autant de situations politiques, économiques et sociales désastreuses entretenues par une dette immonde et la réduction des efforts d’aide au développement auxquels ces mêmes pays s’étaient engagés.

Les gouvernants de l’Europe se sont révélés d’autant plus incapables, en juin, de se mettre d’accord sur l’ouverture de voies légales pour l’accueil des réfugiés ou encore sur une répartition de ces derniers entre pays membres. Chacun campe sur un égoïsme teinté de xénophobie. Les pays dits de première ligne, ceux qui ont des frontières extérieures à l’UE, ne cessent de demander la fin de la réglementation de Dublin qui contraint les migrants à demander l’asile dans le premier pays où ils ont été enregistrés. Les autres s’y refusent, France et Angleterre en tête. Au lieu de cela, l’Europe externalise sa gestion de l’asile, se barricade et militarise ses frontières, dans un criminel et vain déni de responsabilité.

1. Les guerres impérialistes déstabilisent des pays entiers

Octobre 2014, Lampedusa. L’ancienne porte-parole du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies et présidente de la Chambre des députés italiens, Laura Boldrini, tient l’un des propos les plus consternants sur les drames de l’immigration aux portes de l’Europe, en déclarant qu’il s’agit là d’« une guerre entre les personnes et la mer ». Poséidon plus coupable que les interventions militaires, en somme. Les Vingt-Huit portent pourtant une lourde responsabilité directe dans les flux migratoires. S’il n’existe pas de diplomatie européenne en tant que telle, l’engagement des États membres dans des conflits meurtriers au Moyen-Orient ou encore en Afghanistan depuis 2001 a ébranlé des régions entières. L’existence de régimes dictatoriaux épouvantables a servi de prétexte plus que d’argument, comme en témoigne la montée en puissance de l’« État islamique » en Syrie, ou encore en Libye où un chaos sans nom s’est substitué au despotisme de Kadhafi. Les Irakiens ne sont pas non plus épargnés.

Septembre 2001, Afghanistan. Au lendemain des attaques contre le World Trade Center, les États-Unis partent en guerre contre les talibans. Flanqués de la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Pologne et la Roumanie, ils claironnent qu’ils en finiront avec ces « fous de Dieu » qui sévissent dans cette région déjà tendue de l’Asie centrale. Après quatorze ans d’occupation militaire, c’est l’impasse. Al-Qaida souffre certes de dissensions internes, mais les fondamentalistes tirent toujours les ficelles. En revanche, entre 4 et 5 millions d’Afghans ont quitté leur pays sous la menace des armes : 2,7 millions se trouvent en situation régulière au Pakistan et en Iran. Loin des 41 000 demandes à l’UE en 2014… La coalition belliciste qui s’est mise en marche, sans mandat onusien, contre Saddam Hussein en 2003, au nom d’objectifs géostratégiques et économiques autrement moins altruistes que le combat contre le despote de Bagdad, ne peut elle non plus se laver les mains. La guerre a fait près d’un demi-million de morts et les fondamentalistes sont désormais aux portes du pouvoir. Autre exemple : la Libye. Le colonel Kadhafi, à qui l’UE avait confié l’externalisation de ses centres de rétention, est devenu l’homme à abattre. En 2011, la France s’engage aux côtés de l’Otan dans un conflit sans fond. Quatre ans plus tard, de l’avis même de Laurent Fabius, le pays est « une poudrière terroriste » qui menace toute la bande sahélo-saharienne. Deux gouvernements se déchirent le contrôle du pétrole. Impensable, mais cette zone de non-droit est l’une des principales routes de l’immigration en direction de l’Europe. Enfin, l’illustration la plus pathétique est la Syrie. Non seulement Bachar Al Assad est toujours au pouvoir, mais la coopération des démocraties européennes, à commencer par Paris, avec l’opposition syrienne, a servi les desseins des djihadistes de l’« État islamique ». Sur le plan humanitaire, c’est un désastre. Quatre ans plus tard, 4 millions de Syriens ont fui leur pays. La Jordanie en accueille un demi-million, faisant de cette présence une pression sur les ressources naturelles et énergétiques. Au Liban, le nombre d’exilés syriens représente désormais 25 % de la population.

2. Une politique de coopération en berne

Alors que les conflits, les pouvoirs autoritaires, les épidémies… contraignent les peuples de nombreux pays du continent africain et du Moyen-Orient à des conditions de vie à la limite du supportable et à l’exil, le niveau des aides financières internationales pouvant aider notamment à des redynamisations économiques est souvent en déclin. La France, en dépit du vote par le Parlement le 24 juin 2014 d’une première loi dite « d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale », est loin de ses engagements. Loin du rôle qu’elle pourrait jouer alors que d’autres nations européennes comme le Luxembourg, la Norvège, la Suède ou le Royaume-Uni se conforment aux préconisations de l’ONU pour verser l’équivalent de 0,7 % de leur revenu brut national.

La France, pointe l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), qui compte 34 pays membres et que l’on ne peut guère suspecter de s’opposer au libéralisme économique ambiant, note que le pays des droits de l’homme atteint à peine 0,36 %, en recul de 9 % d’une année sur l’autre. Ce qui n’a pas empêché la secrétaire d’État en charge du développement, Annick Girardin, d’affirmer qu’avec ce nouvel arsenal législatif « la France va se doter d’un cadre d’action moderne dans le domaine du développement, pour apporter des réponses aux enjeux du XXIe siècle et promouvoir un développement durable et solidaire… ».

Ce qui pour le moins n’a pas convaincu Christian Reboul, de l’ONG Oxfam, pour qui « depuis quelques années, le gouvernement et le président de la République ont une fâcheuse tendance à annoncer des contributions importantes pour répondre aux crises, comme par exemple la crise syrienne, sans pour autant que cela se traduise par de nouveaux financements dans les faits, dont on pourrait voir la trace dans les lois de finances : les chiffres de l’aide française deviennent ainsi virtuels et incantatoires ». Oxfam s’est indignée publiquement à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2015, estimant que « le gouvernement trace une trajectoire déclinante de l’APD (aide publique au développement) jusqu’à la fin du mandat présidentiel en 2017 ».

Friederike Röder, directrice pour la France de l’ONG One, évoque pour sa part « une aide en baisse pour la cinquième année consécutive », et note que « l’aide aux pays les plus pauvres représente à peine un quart de l’aide totale ». Et One de pointer que dans le budget 2015 l’APD ne représente, « en dons d’argent pur et simple », que 533 millions d’euros, « un chiffre en baisse de 9 % par rapport à l’année dernière ». Le constat est hélas unanime. La France est loin d’être à la hauteur des enjeux financiers et humains…

3. L’externalisation de l’asile légitime les dictatures

Sur les 16,7 millions de réfugiés dans le monde, seulement 15 % sont accueillis dans les pays riches, en Europe, aux États-Unis, au Canada et en Australie. Les autres sont abrités dans les pays du Sud. Pour les 28 pays membres de l’UE, ce déséquilibre ne doit pas être remis en cause, mais ils sont tous signataires de la convention de Genève, qui impose le principe de non-refoulement. Pour y pallier, ils ont opté, depuis les années 2000, pour « une approche internationale » du traitement des flux migratoires, introduisant le principe « d’externalisation des demandes d’asile » quitte, parfois, à collaborer avec des pays pour le moins douteux du point de vue du respect des droits de l’homme. Dès 2004, l’agence Frontex a commencé à collaborer tous azimuts pour l’identification et le contrôle des migrants. En septembre 2005, l’idée est officiellement avancée par la Commission européenne de créer des « zones régionales de protection » à proximité des lieux de départ des exilés, prétextant que cela « semble moins coûteux que l’accueil dans des centres de réfugiés installés dans des pays membres de l’UE ». Puis, en 2006, s’enclenche le « processus de Rabat », qui impose aux pays nord-africains, notamment le Maroc, de faire la police aux frontières de l’UE en empêchant les migrants de quitter leur territoire.

Les Vingt-Huit sont allés encore plus loin, en novembre 2014, en signant les accords de Khartoum, se souciant peu des dictateurs et des régimes collaborant aux trafics d’êtres humains. Il a été ratifié avec Djibouti, l’Égypte, l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Sud Soudan et l’Érythrée et prévoit « de mettre en place une coopération entre les pays d’origine, de transit et de destination ». Peu avant, au mois d’avril, le 11e fonds européen pour le développement décidait d’accorder, pour six ans, 312 millions d’euros à l’Érythrée pour endiguer la fuite de ses habitants. « Que nous coopérions avec des régimes dictatoriaux ne signifie pas que nous les légitimons », avait alors tenté de se justifier Dimitris Avramopoulos, commissaire européen chargé de suivre le processus de Khartoum. À la suite de la disparition de 700 personnes lors du naufrage d’avril dernier, la Commission européenne a, par ailleurs, repris, le 13 mai, une idée avancée plus tôt dans le cadre des discussions sur ces mêmes accords. On ouvrira donc, avant la fin de l’année, un « centre multifonction », au Niger, pour identifier et trier les migrants. Des personnes interceptées dans les eaux libyennes pourraient directement y être conduites. De nombreuses voix ont immédiatement dénoncé la création de centres de concentration au cœur de l’Afrique, sans garantie de respect de la dignité et des droits humains.

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