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31 août 2015 1 31 /08 /août /2015 10:51
Sébastien Crépel
Vendredi, 28 Août, 2015
L'Humanité

Plus que ses arguments sur la sortie de l’euro, qui est un sujet de débat à gauche, c’est la complaisance de l’intellectuel envers le parti d’extrême droite et sa prétendue démocratisation qui choque, au travers de sa proposition d’un « front » incluant la formation de Marine Le Pen.

Aux prises avec son père qui s’apprête à lui gâcher sa rentrée politique, Marine Le Pen a reçu un renfort inespéré. Un intellectuel respecté, réputé de gauche qui plus est, apporte sa caution à son entreprise de banalisation du Front national en envisageant de l’inclure dans un large « front » avec des forces démocratiques. C’est la surprise de rentrée que lui a offerte l’économiste Jacques Sapir, au détour d’un entretien accordé au Figaro Vox, le 21 août. Des propos qu’il a réitérés, jeudi matin, sur France Inter.

Dans une version longue de l’interview du Figaro uniquement consultable sur son blog, Jacques Sapir, militant anti-euro de longue date, estime que la crise grecque est l’occasion d’une « clarification importante » sur le sujet. Affirmant que le « démantèlement de la zone euro » est la « tâche prioritaire » de l’heure, il prône une « stratégie de large union, y compris avec des forces de droite », qui posera « à terme, la question des relations avec le Front national, ou avec le parti issu de ce dernier ».

Une assez mince définition des « principes républicains »

Plus que ses arguments sur la sortie de l’euro, qui est un sujet de débat à gauche, c’est sa complaisance envers le parti d’extrême droite qui a choqué. « On ne peut plus nier que le FN ait changé », a-t-il déclaré à Libération, le 24 août. La preuve, selon lui : « Dans (le discours officiel du FN), voilà plusieurs années que l’on ne relève aucun caractère raciste ou xénophobe. » La suite est proprement stupéfiante : « Ce parti juge, certes, qu’il faut faire une distinction entre les Français et les autres. (...) C’est une question d’appréciation. »

Le FN et sa « préférence nationale » ainsi normalisés, restait à donner un brevet de respectabilité républicaine au FN. C’est chose faite dans un autre entretien accordé au très conservateur magazine Causeur. La consultation des adhérents du FN sur le sort de Jean-Marie Le Pen suffit à Jacques Sapir pour affirmer que des « principes républicains et démocratiques sont à l’œuvre en son sein ». Dès lors, poursuit-il, la « question est de savoir s’il intégrera assez de principes républicains pour que l’on admette que des relations, mêmes distantes, avec lui sont possibles ». Comme on le voit, la définition des « principes républicains » pour Jacques Sapir est assez mince. Le droit du sol et l’abolition de la peine de mort, deux fondamentaux honnis du FN, n’en font pas partie : « Le droit du sol a déjà été amendé (ce que je n’approuve pas) et la peine de mort existe dans de nombreux pays », répond-il à un de ses contradicteurs sur Twitter. Mais la gauche, elle, est sommée de renoncer au « sectarisme, (aux) procès d’intention et (aux) anathèmes », explique-t-il encore au Figaro Vox. Soit, à peu de mots près, la rhétorique de victimisation utilisée par la direction du FN…

Pourtant, Jacques Sapir ne peut ignorer que c’est cette même Marine Le Pen qui a fait de son père, en 2011, le « président d’honneur » (sic) du FN pour « l’ensemble de son œuvre », comme le rappelle le spécialiste de l’extrême droite, Jean-Yves Camus, dans le Monde du 22 août. Ni que « le fond (des) amitiés et (les) réseaux (de Marine Le Pen) n’ont rien à envier à (ceux de) son père en termes d’idéologie », et qui font que « le FN n’est pas devenu un parti comme un autre », selon Sylvain Crépon, un autre spécialiste et universitaire.

C’est bien, au fond, ce qui attise la critique d’Éric Coquerel : « Toute alliance avec le FN serait une aberration. Leur nation n’est pas la nôtre », rappelle le coordinateur du Parti de gauche (PG) sur Twitter. Et de développer, dans Libération du 25 août : le FN « vise les immigrés plutôt que la finance ». On pourrait aussi rappeler ce qu’en disait, le 12 mars 2013, l’ex-responsable du PG François Delapierre, décédé en juin : « Le FN est un parti ethniciste. (…) Pour nous, à l’inverse, la France n’est pas une nation ethnique. Le peuple français est un peuple politique. Ceux qui le composent sont venus de partout. »

Jacques Sapir ne dit rien de ces antagonismes. Ni de la négation de la lutte des classes par le FN à la base de sa vision corporatiste de la société, que traduisent ses positions antisociales sur les syndicats, les fonctionnaires, les déficits publics, les impôts, le droit du travail. Cette question de la division de la société en classes qui transcende les divisions nationales est complètement négligée par Jacques Sapir, comme si son objectif de sortie de l’euro avait pris le pas sur tout authentique projet internationaliste dont le FN est un adversaire enragé. « Les masques sont tombés, considère Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF. Sapir sert la soupe à un parti qui se nourrit du chaos en Europe mais qui ne souhaite surtout pas que des solutions soient apportées. Marine Le Pen est du côté de ceux qui maintiennent les verrous que nous voulons faire sauter. » Et le dirigeant communiste de rappeler que « pas une seule fois, on n’a vu le FN aux côtés du peuple grec et des migrants », au centre, cet été, des deux grandes crises de la construction européenne.

Faute inexcusable et leurre complet

Jacques Sapir pousse la provocation jusqu’à invoquer pour son « front » l’exemple du Conseil national de la Résistance (CNR), qui rassemblait « des communistes aux militants de l’Action française » (AF). À cela près que le CNR – dans lequel l’AF, ralliée à Pétain, n’a jamais siégé, à la différence du PCF – unissait des sensibilités politiques diverses dont étaient précisément exclus les ancêtres idéologiques du FN, dans un but commun : chasser le fascisme, et appliquer un important programme démocratique, économique et social approuvé par ses composantes.

C’est toute la différence avec la focalisation unique sur la « sortie de l’euro », qui n’est pas en soi un projet politique de progrès. Non seulement elle n’en est pas une garantie, mais elle peut être la première pierre de son exact contraire. Jacques Sapir lui-même l’admet, en reconnaissant que « des politiques néfastes pour les économies peuvent être mises en œuvre hors de l’euro ». C’est précisément ce qui interdit tout « front » commun avec le FN, qui ne se distingue en rien des programmes d’austérité européens, allant jusqu’à reprendre dans son programme « l’obligation d’un déficit structurel égal à zéro ».

Du point de vue même d’un partisan de la sortie de l’euro comme Frédéric Lordon, qui cloue au pilori les « invraisemblables alliances avec l’extrême droite » de Jacques Sapir, ce dernier dessert en fait la cause qu’il prétend servir. Pour l’Économiste atterré, non seulement la « faute » de Sapir est « inexcusable », mais elle est un leurre complet : le FN est « aussi ce par quoi l’euro se maintient », par le rôle d’épouvantail qu’il joue pour « le parti eurolibéral »… Dans ce contexte, le « front » proposé par Sapir ne peut qu’alimenter l’entreprise de discrédit qui consiste, pour les tenants de l’Europe actuelle, à tirer un trait d’égalité entre FN et Front de gauche.

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