L'HUMANITE DIMANCHE
LA CHRONIQUE DE JEAN-CHRISTOPHE LE DUIGOU (*)
RÉDUIRE LA MASSE SALARIALE, C’EST PRENDRE LE CONTRE-PIED D’UNE POLITIQUE INDISPENSABLE DE VALORISATION DE L’EMPLOI ET DU TRAVAIL.
Une étude de « la Fabrique », le laboratoire d’idées du patronat industriel, a relancé le débat. Selon cet organisme, l’extension des allégements de cotisations aux salaires moyens permettrait de créer autant d’emplois que le ciblage actuel sur les bas salaires mais créerait plus de croissance. Le résultat est pourtant infinitésimal: + 0,01 % de croissance par an pour 10 milliards redéployés, selon l’étude. Même pas l’épaisseur du trait, dirait un statisticien. L’enjeu du débat est ailleurs. Au nom de « l’industrie » et de « l’exportation », le patronat voudrait un système d’allégement des cotisations étendu. Quitte à critiquer au passage le dispositif actuel trop concentré sur les bas salaires qui profite au secteur des services et qui est peu générateur de croissance.
On ne sort décidément pas de l’idée fausse que le coût du travail est le principal obstacle à la croissance.
L’économiste J. M. Keynes avait pourtant mis en évidence cette erreur à l’occasion de la grande crise de 1929. Avec ce raisonnement étendu à tous les pays, le risque était grand que le chômage devienne structurel. Les salaires stagnant, la consommation se ralentirait. La demande adressée aux entreprises baisserait à son tour. Ces dernières devraient débaucher quel que soit le niveau des salaires. Le chômage de masse s’installerait. Ce qui était déjà vrai il y a 75 ans l’est encore plus aujourd’hui puisque les salariés représentent 90 % de la population active en Europe.
Personne ne nie les problèmes de financement de nombre d’entreprises industrielles en France. Mais cela vient-il d’une modification du partage de la valeur ajoutée ? Difficile à établir! Il n’y a eu aucun « dérapage salarial » ces 15 dernières années. Baisser le coût du travail ne permettra pas de regagner des parts de marché. Le calcul a été fait pour PSA. Le coût de la main-d’œuvre ne représente qu’un peu plus de 20 % du prix d’une voiture. Une baisse de 5 % de la masse salariale ne représenterait qu’un gain de 1 % sur le prix final d’une automobile, soit 150 euros pour une voiture de 15 000 euros ... Pas de quoi changer fondamentalement la donne!
Les causes de la perte de parts de marché à l’exportation se trouvent ailleurs, dans l’inadaptation de l’offre de produits et de services d’origine française. Prenons un exemple: on ne peut pas avoir sacrifié l’industrie française de la machine-outil et s’étonner que nous ayons perdu une part importante de nos marchés dans les biens d’équipement!
Plus structurellement, réduire la masse salariale, fût-ce par le biais des exonérations de cotisations, c’est prendre le contre-pied d’une politique indispensable de valorisation de l’emploi et du travail. Chacun sait pourtant que le principal déficit de la France vis-à-vis de l’Allemagne est celui du niveau de formation de la main-d’œuvre, notamment industrielle.
Comment demander aux salariés de se former, de développer leur qualification si on les rémunère globalement moins ?
Il est dès lors très probable que les sommes correspondant au déploiement éventuel des allégements consentis aux entreprises n’iront pas à l’investissement mais au maintien, voire à l’accroissement de la rémunération du capital. Une fois de plus, avec cette étude, nous sommes donc loin de l’ouverture du débat public indispensable pour gagner la relance de notre industrie.
* Économiste et syndicaliste