DU COCHON à L'ART
16 JUILLET 2015 | PAR MICHEL KERNINON
Depuis des semaines en Bretagne, des producteurs laitiers et des éleveur de porcs occupent et saccagent les hypermarchés des grandes enseignes aux logos bien connus, créées par des Bretons, comme Leclerc et Intermarché
Ces enseignes, qui aujourd'hui pressurisent les agriculteurs sur les prix à la production, ont eu précédemment sur le plan humain d'autres résultats négatifs. Elles sont en effet parvenues à vider de leurs commerces les centres des villes et des villages. La Bretagne fourmille d'exemples de cette dévitalisation urbaine. D'autant que les emplois créés en périphérie sont peu qualifiés et à temps partiel non choisi pour l'essentiel.
Tout en s'enrichissant grassement, les industriels de l'agro-alimentaire -(qui souvent furent à l'origine des coopératives agricoles d'entr'aide à la production et à la commercialisation des produits, n'ont plus aujourd'hui de "coopératif" que le nom)- et les pontes de la "distribution", mot inventé par Edouard Leclerc, verrouillent toute la chaîne. Grandes surfaces et usines de transformation appartiennent aujourd'hui souvent aux mêmes propriétaires.
Pas étonnant que les pontes de la grande distribution et de l'agro-alimentaire comptent aujourd'hui parmi les plus grosses fortunes des régions, en Bretagne notamment. Mais certains d'entre eux doivent culpabiliser. En raison de leur fortune rapidement acquise, ils tentent de sublimer leur image dégradée dans le public. Ils sponsorisent donc des événements festifs locaux, ou créent des fondations flatteuses, comme la Fondation Leclerc.
Celle-ci, pour monter ses prestigieuses expositions sans prendre trop de risque, fait régulièrement cracher au bassinet les propriétaires de magasins à son enseigne. Hier, c'était pour exposer Miro, actuellement c'est pour exposer Giacometti à Landerneau. Mais Leclerc a beau faire dans l'art, l'enseigne reste la cible privilégié des petits producteurs. Ils sont furieux des prix trop bas fixés par la grande distribution. Récemment d'ailleurs l'enseigne Leclerc et ses concurrents et/ou alliés ont été lourdement condamnées pour leur entente sur les prix et pour avoir imposé des rétrocommissions illégales.
Ces nouveaux riches de la distribution, devenus les manitous intouchables du commerce français, fixent des prix d'achat toujours jugés à la baisse par les producteurs. Les consommateurs, qui pour la plupart sont aussi des salariés, auraient donc tout intérêt à réfléchir à leur comportement personnel en matière d'achat. En se fournissant par exemple au niveau local et en produits locaux. On gagne forcément en qualité, et souvent en prix par l'échange de proximité entre producteurs et consommateurs. Les groupements de locavores et autres paniers bio commencent à se développer, même si malheureusement des fédérations de coopératives biologiques fortes de leur développement adoptent de plus en plus les pratiques en cours dans la grande distribution. Quitte à détourner d'eux des consommateurs hostiles à leur assimilation libérale en cours.
Mais la consommation privilégiant des achats de produits de proximité garantit une traçabilité de prix comme de qualité. Les consommateurs participent ainsi directement au développement local de l'emploi et encouragent la qualité des produits de l'agriculture. Et peuvent au moins partiellement libérer des paysans d'une dépendance excessive aux grandes marques et les intermédiaires offrant des prix d'achat qui les mettent à genoux, et pire.
Difficile d'ignorer l'omniprésence des leaders "syndicaux" majoritaires de la FNSEA et des différentes fédérations départementales qui occupent la scène lors de certaines manif' paysannes. Et on y compte encore parfois quelques bonnets rouges à la double casquette comme l'inévitable Merret dans le Finistère.
Mais la plupart des paysans qui galèrent aujourd'hui en raison même des dysfonctionnements d'un système initié par les "gros" de l'agro-businesset et fait pour enrichir les déjà "gros", ne sont pas dupes du scénario qu'on leur propose. Et la rébellion fait tache d'huile en Bretagne. Que ce soit pour le porc, pour le lait ou pour d'autres productions. On comprend bien pourquoi le céréalier Beulin, président national de la FNSEA, n'a pas été particulièrement bien reçu à Saint-Brieuc l'autre jour, par les paysans bretons. Et on comprend aussi que l'art présenté à Landerneau par Michel-Edouard Leclerc et sa fondation ne suffit pas à remonter le moral des producteurs de porcs.
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