Fonds publics
Clotilde Mathieu avec Cyrille Crispy
Jeudi, 6 Août, 2015
L'Humanité
En publiant son bilan d’étape de l’utilisation du CICE, le syndicat CFE-CGC des banques dénonce un « effet d’aubaine particulièrement rentable ».
Les résultats des banques s’envolent. Après BNP Paribas, qui a vu ses revenus progresser de 15,8 % entre avril et juin, à 11,1 milliards d’euros, pour un bénéfice net de 2,55 milliards en hausse de 13,7 %, sa meilleure performance depuis le premier trimestre 2012 (hors amende de 9 milliards que la banque doit à la justice américaine et autres éléments exceptionnels), la Bourse a fêté hier ceux de la Société générale. Le bénéfice de cette dernière a bondi de 25 %, à 1,35 milliard d’euros. Pas encore suffisant pour elle, pourtant, puisque la banque a annoncé dans le même temps un nouveau plan d’« économies » de 850 millions d’euros pour les deux ans qui viennent, après celui enclenché en 2012. « Des projets de simplification organisationnelle, d’amélioration de l’efficacité, de renforcement des contrôles sur les charges externalisées et de révision et de simplification des opérations avec la clientèle », affirme la banque au logo rouge et noir, sans plus de précisions. Mais le personnel peut déjà craindre des conséquences sociales, alors que les plans précédents se sont traduits par la suppression de près de deux mille postes en trois ans en France et dans le monde.
Quid, alors, des sommes versées aux banques par l’État au titre du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), le cadeau fiscal le plus onéreux censé aider les entreprises à améliorer leurs marges pour embaucher ? Le secret est bien gardé : pas de rapport précis, pas une note ne sort des murs, des préfectures et de Bercy. Pourtant, tout devait être transparent, car il s’agit de l’argent des Français. Depuis deux ans, le Syndicat national de la banque et du crédit (SNB) de la CFE-CGC contrôle l’utilisation du CICE. Même si les sommes étudiées ne sont pas exhaustives. « C’est un travail de fourmi, et parfois, nous n’avons tout simplement pas les chiffres », explique Regis Dos Santos. L’été dernier déjà, sur les 135,5 millions d’euros d’argent public évalués, le secrétaire général du syndicat avait constaté un réel effet d’aubaine pour les banques. « L’esprit qui a prévalu lors de la mise en place du CICE prévoyait un accroissement des investissements et non une simple affectation sur des projets déjà engagés et budgétés », affirmait-il.
La manne du CICE a explosé de 50 % en un an
Cette année, sur les 211 millions épluchés, le bilan est encore plus désespérant. D’une part, les sommes gracieusement allouées ont explosé d’environ 50 % de plus en moyenne, le taux d’allégement étant passé de 4 à 6 % de la masse salariale. 39 millions pour BNP Paribas en 2015 contre 26 millions un an plus tôt ; 38 millions contre 26 millions pour la Société générale (voir l’ensemble des données dans le tableau ci-contre). D’autre part, l’effet d’aubaine est encore plus flagrant. « L’essentiel – pour ne pas dire la totalité – des utilisations annoncées du CICE correspond à des projets, actions et dépenses déjà largement engagés » qui concernent l’offre de services numériques à la clientèle, assure le syndicat. Parmi lesquels le SNB a relevé : « Application tablette, envoi par SMS du code confidentiel, développement de SAV (service après-vente – NDLR), Twitter, WiFi en agence », ou encore « déploiement de tablettes en agence ». « Si demain le CICE s’arrête, les banques poursuivront leur transition numérique », assure Regis Dos Santos. Et lorsque l’argent est utilisé pour la formation du personnel, celle-ci « se cantonne à des formations commerciales et “pratico-pratiques” et ne permet plus aux collaborateurs de bénéficier d’un véritable ascenseur social », dénonce le syndicat. « L’effet d’aubaine est particulièrement rentable. Les banques se contentent d’encaisser les bénéfices du CICE, ça améliore la marge brute, et derrière, il n’y a rien », résume-t-il.
Trois mille postes ont été supprimés en 2014
Dans les banques, trois mille postes ont été supprimés en 2014. « Les effectifs baissent régulièrement de 1 à 1,5 % par an avec les départs en retraite et les départs naturels qui ne sont pas remplacés, précise Regis Dos Santos. Nous pensions que le CICE allait permettre d’améliorer les conditions de travail des salariés, en allégeant la charge de travail », cela n’a pas été le cas. « Nous ne sommes plus des créateurs d’emplois », avouait même, dans les colonnes des Échos, le mois dernier, Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF).
Pourtant, le gouvernement avait promis qu’avec tous ces milliards de fonds publics injectés, les entreprises embaucheraient jusqu’à 300 000 personnes d’ici à 2015. Une illusion vite dissipée : un rapport du comité de suivi du CICE datant du 30 septembre 2014 a déjà alerté sur le fait qu’au moins un tiers des entreprises ont profité du dispositif pour améliorer leurs marges et très peu l’investissement. Or, « le CICE est venu s’ajouter à d’autres avantages dont bénéficient déjà les entreprises, en particulier les plus grandes d’entre elles », ajoutaient les auteurs.
« L’année dernière, on était dans l’attente, maintenant, clairement, il faut arrêter », juge le responsable du SNB, estimant que le CICE « n’apporte strictement rien » au secteur. Pour le syndicaliste, le mieux serait de redistribuer cet argent inutile aux banques. « Le peu d’argent public disponible, il faut l’optimiser et le mettre là où nous savons qu’il peut y avoir des créations d’emplois », notamment dans les PME.