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7 août 2015 5 07 /08 /août /2015 06:53
Cette agriculture qui résiste à la crise

Marie-Noëlle Bertrand et Olivier Morin

Mardi, 4 Août, 2015

L'Humanité

Toutes les agricultures souffrent, mais toutes ne sont pas mises en péril par la débâcle des prix sur les marchés mondiaux. Les élevages qui privilégient l’herbe et la sobriété en produits phytosanitaires, et plus encore les exploitations bio, résistent mieux à une crise qu’induit un système économique qui s’autodévore.

En 1982, si l’on vendait 25 agneaux, on pouvait s’acheter une R5. Aujourd’hui, il faut en faire 160 et toucher des aides de l’Europe pour pouvoir se payer l’équivalent du petit modèle de Renault. Jean Mouzat, éleveur et président du Modef (Mouvement syndical des exploitants familiaux), a dû dégainer cent fois cette image. Non pour illustrer la hausse des prix de l’automobile. Mais pour parler d’une crise de l’élevage qui, pour avoir explosé cet été en bord des routes ou aux péages, a envahi les fermes voilà trois décennies. Beaucoup d’exploitations sont déjà tombées, victimes d’une course à la concentration sans clémence avec les moins intensives.

Pourtant, à l’heure où les prix s’écroulent sur les marchés, ce sont elles qui s’avèrent les plus solides. Y a-t-il un modèle d’élevage qui se porte bien ? Non. Mais y a-t-il un modèle d’élevage qui résiste à la débâcle financière ? Trois fois oui, avancent ces producteurs qui ne se sont pas laissé prendre au piège de la « compétitivité ».

Tous à l’herbe. Alors que 25 000 éleveurs – au bas mot – s’annonçaient, fin juin, au bord du dépôt de bilan, l’appel pourrait presque leur servir de cri de ralliement. Celui-ci, ou plus globalement cet autre, les encourageant à se dégager d’un système courant après la performance économique. D’exhortation à la modernisation en éloge de la production dopée, la ferme française, depuis trente ans, se sera laissé happer par les sirènes de la compétitivité. 25 % des exploitations laitières produisant plus de 700 000 litres ont augmenté leur volume de près de 40 % depuis 2008, notait, en décembre dernier, l’Institut de l’élevage. Une majoration qui aura laissé des cadavres derrière elle. En 1984, le nombre d’exploitations laitières frisait les 395 000, il affleure aujourd’hui tout juste les 60 000, pris dans un mouvement centrifuge qui va s’accélérant. On annonce que le chiffre pourrait tomber autour de 25 000 dans dix ans. « S’agrandir s’opère forcément au détriment des autres », notait, la semaine dernière dans l’Humanité, Victor Pereira, animateur du pôle élevage de la Confédération paysanne. Vrai dans le lait, vrai dans le cochon. En dix ans, la France a perdu les deux tiers de ses exploitations porcines, relevait, en 2013, une enquête du service statistique du ministère de l’Agriculture. Dans le même temps, la taille moyenne des sites a été multipliée par 2,5 pour atteindre 620 porcs, au détriment des petites fermes (5 porcs en moyenne).

Le prix du triomphe économique, clame-t-on à l’heure où la France se tient prête à faire front sur les marchés mondiaux. Avec ce paradoxe, toutefois : « La plupart des gens qui sont dans la mouise aujourd’hui sont ceux qui ont cherché à s’agrandir », relève Guy Bessin, éleveur laitier en Normandie, et membre de la Confédération paysanne. Certes, les autres souffrent aussi, poursuit-il. « Mais pour eux, le péril n’est pas le même. » Démonstrations ? Très peu, voire pas, comptaient parmi les manifestants qui ont exprimé, parfois avec force, leur détresse aux cours des derniers jours.

Cette agriculture qui résiste à la crise

Vaches au pré : « moins d’argent brassé, mais plus de richesse »

Question mathématique, d’abord. Quand le prix du lait perd 50 euros la tonne, comme il l’a fait en l’espace d’un an, « celui qui ne sort que 200 000 litres perd moins que celui qui en tire 600 000 », poursuit-il. Question d’endettement, aussi, poids sous lequel croulent les exploitations intensives gonflées à coup d’investissements. Question de coût de revient, enfin. « Le moins cher pour nourrir les bêtes, ça reste et restera le pré », résume Guy Bessin. Au final, une ferme en système herbager produira certes moins – argument employé, singulièrement, par la FNSEA – qu’une ferme classique. Mais elle dégagera une valeur ajoutée supérieure de 8 % à 9 % et un résultat courant supérieur de 21 %. In fine, les fermes qui ont choisi de mettre les vaches au pré brassent donc « moins d’argent mais dégagent plus de richesse », démontre ainsi l’observatoire technico-économique du Réseau agriculture durable (RAD, lire ci-après). Le principe est encore plus vrai dans le bio, du moins pour ce qui est du lait, quand le producteur en touche en moyenne 130 euros de mieux à la tonne qu’avec le lait classique. Éleveur près de Chemillé, dans le Maine-et-Loire, président du Mouvement national des éleveurs de nos régions (Mner), Philippe Grégoire l’a bien compris. Lui visait un système totalement autonome en intrants et en alimentation animale : il a fini pas se convertir au bio. « Je connais une éleveuse bio : avec 400 000 litres de lait, elle sort 200 000 euros d’excédent brut exploitation, raconte-t-il. Jamais une ferme conventionnelle n’atteindra un tel chiffre. » Faire de l’intensif, poursuit-il, c’est d’abord travailler pour faire vivre un système ultralibéral, qui, peu à peu, a verrouillé son fonctionnement pour mieux y enfermer les producteurs. « Achat d’engrais, de tourteaux de soja pour les bêtes, de tracteurs ou de robots de traite… vous faites vivre ceux qui vous entourent avant de vous faire vivre vous-même », note-t-il. La faute aux politiques libérales menées au cours des dernières décennies. Et la faute aux agriculteurs eux-mêmes, poursuit-il, taclant le syndicat majoritaire dont ils se sont dotés, lequel pose sa marque à tous les niveaux de la chaîne. « Xavier Beulin, président de la FNSEA, préside aussi le groupe Avril (ex-Sophiprotéol – ndlr), lequel vend des produits phytosanitaires et de l’alimentation animale, rappelle-t-il. Dans mon département, le président de la FNPL (syndicat de producteurs de lait affilié à la FNSEA, ndlr) est aussi président de la coopérative qui achète notre lait et de la Fédération nationale des coopératives laitières. » Et de rappeler que tout se tient, quand la FNSEA continue de plaider à tout crin pour plus de compétitivité

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