Lundi, 27 Juillet, 2015
L'Humanité
Les mobilisations positives se font sur des propositions alternatives par Bernard Friot sociologue et économiste professeur émérite à l’université Paris-Ouest Nanterre- La Défense
La base de la solidarité avec le peuple grec ne peut être que l’organisation de l’autonomie populaire. Le coup de force de l’exécutif européen vient une fois de plus de montrer l’impuissance de la CES et de la Gauche unie européenne. Car la globalisation financière du capital donne à la classe dirigeante la possibilité de dicter sa loi dans l’Union européenne et l’Eurozone, dans les exécutifs et parlements nationaux, régionaux, métropolitains, dans les négociations professionnelles, à quelque niveau qu’elles se situent, dès lors qu’elles ne sont pas imposées par des salariés en position de force. Nous y dépensons en vain une énergie et des militants qui ne sont plus disponibles pour construire nos pratiques et nos agendas à nous.
Nos pratiques et nos agendas à nous ne peuvent se construire que sur la base de l’autonomie populaire. Les « Non à l’austérité », « Non à l’Europe allemande », « Taxons le capital » organisent des mobilisations illusoires. Les mobilisations positives se font sur des pratiques et des propositions alternatives aux pratiques capitalistes, et il y en a de considérables en Europe, au niveau micro comme au niveau macrosocial :
- la production de la recherche, des soins, d’une partie de l’urbanisme et des transports, de l’éducation, se fait en socialisant la valeur non par la centralisation du profit capitaliste mais par l’impôt et la cotisation : organisons-nous (par exemple, avec les travailleurs néerlandais et suédois qui ont plus que nous socialisé la production du logement) pour étendre ce financement des salaires et de l’investissement par cotisation à toute la production afin que les peuples sortent du chantage à la dette ;
- le marché du travail est déjà supprimé pour les fonctionnaires et les retraités, qui touchent un salaire lié à leur personne et non pas à leur poste de travail : organisons-nous (par exemple, avec les travailleurs belges, qui ont conquis l’indemnisation à durée indéterminée du chômage ; avec les travailleurs italiens, dont le contrat de travail est maintenu quand ils sont au chômage) pour généraliser le salaire comme droit politique lié à la personne, de sa majorité à sa mort, afin que les peuples sortent du chantage à l’emploi ;
- les administrations et les entreprises publiques, les coopératives et les associations, les entreprises de travailleurs indépendants inventent des formes non capitalistes de propriété : organisons-nous (par exemple, avec les fonctionnaires autrichiens, les paysans polonais, avec les médecins et les cheminots allemands, avec les coopérateurs espagnols) pour que tous les travailleurs deviennent les propriétaires d’usage de leur outil de travail ;
- chaque année, des centaines de milliers d’entreprises ou d’établissements en Europe sont abandonnés ou délocalisés par leurs propriétaires capitalistes : organisons-nous dans les fédérations syndicales européennes pour la reprise systématique de ces outils de travail par leurs salariés dans des conditions économiques viables.
Nous bénéficions de deux siècles d’organisation populaire sur des bases anticapitalistes avec leurs énormes acquis en matière de sécurité sociale, de salaire à la qualification, de fonction publique, de socialisation salariale de la valeur par l’impôt et la cotisation, d’équipes syndicales connaissant parfaitement le fonctionnement de l’entreprise. Nous pouvons nous appuyer sur la force croissante de trentenaires éduqués, décidés à produire autrement, de cadres qui ne veulent plus jouer le jeu, de travailleurs indépendants qui ont compris que leur intérêt n’est plus du côté du capital. Nous pouvons nous adresser à des tas de patrons de petites et moyennes entreprises sur qui pèsent la fonction d’employeur et la propriété d’un patrimoine dont ils pourraient être libérés par une organisation non capitaliste de la production. Arrêtons la plainte, arrêtons la dénonciation, cessons de nous poser en défenseurs de victimes. Tout cela ne sert à rien. Ressaisissons-nous.