Entretien réalisé par Marie-Noëlle Bertrand Mardi, 28 Juillet, 2015 L'Humanité
Pour Victor Pereira, animateur du pôle élevage de la Confédération paysanne, la difficile promotion des produits français puise ses racines dans un système visant lui-même les marchés mondiaux.
Qu’est-ce qui freine le « consommez français » ?
VICTOR PEREIRA
D’abord, un problème d’adéquation entre la production et la demande. Exemple avec la viande bovine : en France, nous consommons essentiellement des femelles (à 75 %) et peu de bœuf. Or, nous produisons un tiers de jeunes bovins. Résultat, nous importons un quart de notre viande, tandis que nous exportons broutards et taurillons vers l’Italie ou l’Espagne. Pourquoi s’obstine-t-on dans ce choix ? D’autant que nos débouchés traditionnels saturent. Cela nous oblige à viser du côté de la Grèce, de l’Égypte ou de la Turquie… autant de marchés instables à faible pouvoir d’achat, qui ne permettent pas une revalorisation du prix des produits français. En outre, il faut choisir : on ne peut pas plaider pour le « consommez français », tout en cherchant à développer les marchés à l’export. Peut-on refuser la concurrence des autres pays, tout en cherchant à imposer la nôtre ?
Le ministre de l’Agriculture rétorque la même chose aux agriculteurs qui bloquent les camions étrangers…
VICTOR PEREIRA
Sauf que Stéphane Le Foll est lui-même responsable de ce discours, quand il prône le développement des exportations, même dans des filières comme le porc, où nous ne produisons pas suffisamment pour répondre à notre demande, singulièrement dans la charcuterie salaison. Porté par les politiques publiques, ce discours offre un cap aux agriculteurs. On leur dit : grandissez pour être compétitifs ! Ils grandissent. Avec ce paradoxe : ce sont les plus grosses fermes, celles qui ont fait de lourds investissements, qui ont le plus besoin d’aide. Les éleveurs herbagés, qui n’ont pas surinvesti dans leurs structures et dont l’alimentation des bêtes coûte peu, sont moins affectés par la crise. Avec cet autre fait, aussi : s’agrandir s’opère forcément au détriment des autres. Beaucoup d’éleveurs suivent, en espérant être parmi les 25 000 éleveurs laitiers qui existeront encore dans dix ans (contre 60 000 aujourd’hui – NDLR).
Mais beaucoup voient le marché à l’export comme une planche de salut…
VICTOR PEREIRA
Il est difficile de résister au discours sur la compétitivité, la restructuration, la modernisation, le rééquilibrage de la balance commerciale… Mais regardons les choses en face : depuis vingt ans, les exportations agroalimentaires françaises ont quadruplé. Les paysans vivent-ils mieux ? L’Allemagne, elle, est portée comme un exemple à suivre. Pourtant sa balance commerciale affiche 12 milliards d’euros de déficit. Autrement dit, elle importe plus qu’elle n’exporte. Celle de la France, pour l’heure, est excédentaire.
Quelle est la part de responsabilité de la grande distribution dans la mise en concurrence des produits français et étrangers ?
VICTOR PEREIRA
Autant que les industriels, elle profite du système et d’un marché européen où la concurrence est exacerbée. Certes, les grandes enseignes alimentent la guerre des prix. Mais elles ne font pas toute la mécanique. On peut toujours les enjoindre à valoriser les produits français : cela restera de l’incantation. Pour qu’une enseigne renonce à acheter au moins coûtant, il faut que toutes jouent le jeu. Et pourquoi le feraient-elles ? Les agriculteurs eux-mêmes le savent : quand un tracteur est moins cher en Italie, ils l’achètent en Italie. Soit on l’accepte, soit on remet en cause tout le système de libéralisation. Mais cela, ni le gouvernement, ni les syndicats agricoles majoritaires ne le font