Pierre Barbancey
Mercredi, 29 Juillet, 2015
L'Humanité
Les déclarations des responsables turcs se multiplient contre les Kurdes. Les bases du PKK sont bombardées de même que les zones où se trouvent les forces kurdes syriennes des YPG. L’Otan soutient Ankara, François Hollande veut renforcer sa coopération avec la Turquie.
Si certains avaient des doutes sur les buts réels poursuivis par Ankara, le président turc, Recep Erdogan, vient de les lever. Depuis l’attentat-suicide qui a fait 32 morts le 20 juillet à Suruç, la Turquie fait croire qu’elle a décidé d’entrer en guerre contre l’organisation de l’« État islamique » (« EI » ou Daech). Or, bien des questions se posent sur cette volonté affichée. Si des bombardements de sites djihadistes ont bien eu lieu – encore que personne ne sache exactement quels en ont été les résultats – il s’avère en réalité que les efforts turcs se portent sur la répression contre les forces kurdes de Turquie, le PKK, mais également contre celles de Syrie, puisque des positions des YPG (ceux qui ont défendu avec succès Kobané contre l’« EI ») ont été pilonnées par les chars turcs, faisant plusieurs morts.
Sous prétexte de l’attentat de Suruç
La manœuvre politique est grosse mais habile. Dans un premier temps, sous prétexte de l’attentat de Suruç, le gouvernement d’Ankara se rapproche de Washington en annonçant des raids sur les bases de l’« EI », entame un dialogue pour l’utilisation de ses bases aériennes par la coalition et parle de la création d’une zone débarrassée de l’« État islamique » (et donc pas sous contrôle kurde). Lorsque les opérations sont déclenchées, non seulement elles ne touchent pas que l’« EI », mais il s’avère que les cibles sont plutôt les militants et combattants du PKK ainsi que les activistes turcs de gauche, pourchassés et emprisonnés dans une opération policière de grande ampleur dont on se demande pourquoi elle n’a pas eu lieu plus tôt contre les cellules djihadistes. En tirant un trait d’égalité entre les égorgeurs de l’« État islamique » et les combattants du PKK et des YPG venus à la rescousse des populations civiles menacées (à Mossoul comme à Kobané), le gouvernement turc sait qu’il n’essuiera aucune critique de la part de ses alliés de l’Otan. D’autant que les États-Unis, tout comme l’Union européenne (UE), ont placé le PKK sur leur « liste d’organisations terroristes », malgré la trêve décrétée depuis 2013. Sur Twitter, Brett McGurk, qui représente la Maison-Blanche au sein de la coalition anti-« EI », s’en est défendu : « Il n’y a aucun lien entre les frappes aériennes contre le PKK et les récents accords visant à intensifier la coopération américano-turque contre l’“État islamique” », a-t-il assuré. Mais il s’est senti obligé d’ajouter : « Nous respectons totalement le droit de la Turquie à l’autodéfense. »
Les militants kurdes sont poursuivis, emprisonnés...
Lundi, le premier ministre islamo-conservateur, Ahmet Davutoglu, se faisait plus précis. « C’est soit les armes, soit la démocratie, les deux ne sont pas compatibles », a-t-il dit. Une stratégie visiblement soutenue par l’Otan. L’Alliance atlantique, réunie en urgence à Bruxelles à la demande d’Ankara, a assuré son allié turc de sa solidarité dans sa double offensive contre les rebelles kurdes et le groupe « État islamique ». « Tous les alliés ont assuré la Turquie de leur solidarité et de leur ferme soutien, a répété le secrétaire général de l’Otan, le Norvégien Jens Stoltenberg, à l’issue de la réunion des ambassadeurs des 28 pays. Le terrorisme pose une menace directe envers la sécurité des membres de l’OTAN et envers la stabilité et la prospérité internationales. » Parmi ces soutiens, la France évidemment. François Hollande a évoqué avec son homologue turc la lutte « contre toutes les formes de terrorisme » et ils ont convenu de nouveau de leur volonté de « renforcer la coopération entre la France et la Turquie en ce domaine ». On sait ce que cela signifie : les militants kurdes en France sont poursuivis, emprisonnés et traînés en justice, alors que les hommes de main du pouvoir turc agissent en toute impunité sur notre sol. Du bout des lèvres, Hollande a dit : « Il faut faire attention à ne pas confondre les cibles » (sic).
De quoi contenter Erdogan. « Il est impossible pour nous de poursuivre le processus de paix avec ceux qui menacent notre unité nationale », a-t-il déclaré. Il a également préconisé que les responsables politiques liés à des « groupes terroristes » soient privés de leur immunité et poursuivis en justice. Une phrase qui vise directement le parti d’opposition pro-kurde HDP (Parti démocratique du peuple), qui a effectué une percée aux législatives le mois dernier.