Nombreux sont les citoyens et les professionnels de l'éducation qui sont mal à l'aise face au contenu des attaques caricaturales et outrancières contre la réforme du collège que l'on peut entendre depuis des semaines à droite et dans les milieux intellectuels réactionnaires: remise en cause du collège pour tous, valorisation de la sélection précoce des élèves, retour aux fondamentaux de l'école à la grand papa, dénonciation d'une soi-disant préférence du ministère de l'éducation pour l'Islam, le multi-culturalisme, le nivellement par le bas.
Najat Vallaud Belkacem fait effectivement l'objet d'attaques aux insinuations méprisantes ou xénophobes de la part de certains responsables politiques et d'écrivaillons peu scrupuleux de la droite et de l'extrême-droite.
Il est rare d'ailleurs que la droite soit d'ailleurs autant à l'offensive sur des questions relatives à l'éducation et qui n'impliquent pas le rapport entre l'école publique et l'école privée. C'est que depuis quelque temps, le discours réactionnaire de l'ordre civilisationnel battu en brèche par les barbares, le progressisme démagogique de gauche, a fait florès dans les médias, les réseaux sociaux, et la société, discours d'une droite décomplexée qui affiche ses "valeurs" avec beaucoup de volontarisme dans le champ sociétal depuis le débat sur le Mariage pour tous.
C'est qu'il s'agit pour elle de pouvoir continuer à se différencier de la gauche de gouvernement, qui mène une politique très libérale dans le domaine économique, celle de la droite ordinairement, et de ne pas se laisser distancer par une extrême-droite de plus en plus conquérante.
Dans le tintamarre néo-conservateur autour de la réforme de l'éducation, les syndicats enseignants progressistes (le SNES FSU, SUD, la CGT Education...), qui la critiquaient aussi, mais pour des raisons différentes, et même opposées, ont eu du mal parfois à accéder aux médias. Najat Vallaud Belkacem a alimenté aussi à des contre-feux pour discréditer les critiques de sa réforme du collège en pointant l'élitisme ou le conservatisme corporatiste des défenseurs du grec et du latin et des classes européennes contre sa volonté supposée de lutter contre l'échec scolaire et les inégalités. Or, la réduction de l'enseignement du latin, la suppression des classes européennes, quoique préjudiciables en eux-mêmes, sont l'arbre qui cache la forêt.
En réalité, cette réforme du collège est insuffisante et néfaste pour des raisons bien plus sérieuses.
En premier lieu, les enseignants considèrent à raison qu'elle ne réglera rien aux problèmes dont souffre le collège et l'éducation aujourd'hui.
Baisse de niveau bien réelle, détérioration du sens de l'effort et de la curiosité intellectuelle chez les élèves, dues à des causes sociales et culturelles, mais aussi à des insuffisances et des renoncements de l'école.
Aujourd'hui, beaucoup d'enseignants ont l'impression qu'on gère les flux d'élèves, qu'on a en partie renoncé à une valorisation des connaissances et des exigences intellectuelles, qu'on accepte une division de la population scolaire entre ceux qui devront tout juste acquérir des savoirs-faire de base et ceux qui continueront des études et pourront accéder à une culture savante et critique.
La quasi suppression du redoublement crée une hétérogénéité dans les classes très difficile à gérer dans un contexte d'effectifs importants et de réduction des horaires de discipline.
Les dispositifs d'individualisation, de discours et de pratiques de médicalisation sur les difficultés d'apprentissage ne parviennent pas réellement de donner leurs chances de progresser à tous les enfants.
L'école reproduit et renforce les inégalités socio-culturelles de départ. L'austérité touche toute l'école, dont le budget ne bénéficie pas des mêmes rallonges que celui de la défense, ou de la générosité vis à vis du patronat, et tout particulièrement les zones d'éducation prioritaires, où les établissements ont été nombreux à perdre des moyens.
Cette réforme renforce l'autonomie des établissements, c'est à dire non l'autonomie pédagogique des enseignants, mais celle des chefs d'établissement: ce faisant elle casse le cadre national de l'éducation. Elle continue à développer la culture managériale à l'école, le pouvoir pédagogique des chefs d'établissement, les corps intermédiaires d'enseignants chargés de coordonner des disciplines. On risque de mettre en concurrence les enseignants les uns avec les autres quand il s'agira de se partager les heures en fonction de projets et de modules proposés aux élèves. On dévalorise les disciplines en relativisant l'importance de leurs programmes d'acquisition de savoirs, en justifiant en 6e pour les sciences le développement de la possibilité d'enseigner plusieurs disciplines, en sciences notamment. On rompt avec le principe d'égalité territoriale du service public d'éducation: l'école sera sans doute de plus en plus à la carte, et cela favorisera probablement un renforcement du fossé entre les établissements de centre-ville au public globalement plus favorisé et les établissements de campagne ou de quartiers populaires. 20% des horaires seront organisés à la convenance des chefs d'établissement. On menace la possibilité pour certains enseignants d'enseigner leur discipline dans de bonnes conditions malgré le caractère formateur intellectuellement et utile de ces disciplines: allemand, latin. Les enseignants sont dépossédés d'une partie de leur capacité à diversifier les pratiques pédagogiques au profit d'une obligation venue d'en haut. Or, beaucoup de réformes, dont le sens n'a pas été perçu, ont déjà énormément de peine à s'appliquer sur le terrain. Et, toujours, une réforme chasse l'autre, créant un climat d'insécurité et de perte de motivation chez les enseignants. Dans cette réforme, on ne met pas de nouveaux moyens pour permettre à tous d'acquérir une culture commune de haut niveau. On continue à s'en référer au socle commun de compétences, issu des préconisations de l'OCDE et d'une vision libérale, instrumentale et entrepreneuriale, de l'éducation, plutôt que de mettre l'accent sur la culture humaniste, la formation de citoyens dotés d'esprit critiques. Cette réforme du collège va dans le même sens que la réforme du lycée menée par la droite dont l'évaluation n'a pas été faite et qui ne satisfait pas grand monde.
J'étais ce matin à la manifestation contre la réforme du collège, pour d'autres réformes de l'éducation, à Brest: il y avait environ 400 enseignants déterminés à obtenir un changement de cap du gouvernement, représentants eux-mêmes un nombre de grévistes très important dans les collèges par les temps qui courent (presque 50% des enseignants de collège). L'Assemblée Générale à la Maison du Peuple de Brest a confirmé que les enseignants avaient une vue beaucoup plus globale et complexe des problèmes éducatifs et de la réforme que celle que présentent la plupart des médias. Et malgré tout, le gouvernement, qui cède si facilement à toutes les exigences du MEDEF, répond à nouveau face au mouvement social: la réforme se fera, quoiqu'il arrive.
A nous de poursuivre et d'intensifier la lutte pour démentir ces rodomontades et obtenir une réforme du collège qui partage des besoins et diagnostics des enseignants, qui s'appuie sur un vrai débat approprié socialement et éclairé par autres choses que des fantasmes, qui ne se fasse pas à moyens constants.
Ismaël Dupont
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