Luc Bourduge est Vice-Président du Conseil Régional Auvergne en charge des transports et de la mobilité - Groupe Front de gauche
Membre de la commission sur le devenir des trains d’équilibre du territoire, dite « TET d’avenir », présidée par le Député Philippe Duron, voici les raisons qui m’amènent à ne pas cosigner ce rapport remis ce jour au Ministre des Transports.
Sur l’ensemble du document, si je partage en grande partie l’analyse de la situation qui amène à un constat accablant du système, suite à des décennies de baisse des moyens pour ce mode transport, il est évident que beaucoup d’autres points m’inquiètent très fortement.
En tout premier lieu, il est important de rappeler que la mission confiée à cette commission est à intégrer dans le cadre d’austérité voulu par ce gouvernement, avec une seule et unique orientation : la baisse des dépenses publiques, donc la baisse des moyens alloués par l’Etat au déficit du système ferroviaire.
Si je rajoute à cela la réforme ferroviaire qui ne règle en rien la question des moyens, la baisse de participation de l’Etat dans le volet ferroviaire des Contrats de Projet Etat-Région, la libéralisation des transports par autocars, ce rapport, s’il était repris par le Gouvernement, amènerait à une remise en cause profonde du rôle du ferroviaire dans notre pays et aurait des conséquences fortement néfastes sur l’aménagement du territoire. Je regrette que ce rapport ne préconise pas un redynamisme et un développement du mode ferroviaire au regard des enjeux économiques, sociaux et environnementaux.
Si le déficit de l’activité ferroviaire est en forte hausse, il est à mettre essentiellement sur la hausse du cout du système qui est supporté par les seuls transporteurs au travers des péages d’accès à l’infrastructure. A ce titre, la France a été pointée du doigt par la commission européenne dans le cadre du débat sur le 4e paquet ferroviaire, ne finançant qu’à 32% le système contre 90% en Suède ou 50% en Allemagne. Seule la Belgique fait plus mal…
Déficit qui pourrait s’accentuer avec la loi « Macron », la SNCF ayant évalué à 60 millions d’€ le déficit supplémentaire dès la première année !
Le renforcement de l’offre sur les axes les plus fréquentés tels que Paris-Caen, Paris-Limoges-Toulouse, Bordeaux-Marseille, Nantes-Lyon ou Paris-Clermont ne suffira pas à cacher l’abandon par l’Etat des territoires les plus en difficultés.
Car la grande majorité des liaisons verra au mieux une réduction importante des services et, au pire, une fermeture pure et simple comme cela est préconisé pour Clermont-Béziers.
Il est à noter que sur les 6 lignes nationales indispensables pour l’Auvergne, 5 seront supprimées : Montluçon-Bourges-Paris, Clermont-Ussel-Bordeaux, Lyon-Montluçon-Limoges-Bordeaux, Clermont-Beziers, Clermont-Nimes.
Je rappelle qu’il y a souvent pour ces territoires, une forte imbrication entre l’activité voyageurs et l’activité FRET, donc industrielle. Le retrait de l’Etat sur ces liaisons fragilise l’avenir de celle-ci. C’est le cas sur Clermont-Béziers et pour l’activité industrielle à St Chely d’Apcher (Arcelor Mittal) dont l’alternative routière pour le transport par camion est très limitée.
D’autre part, la baisse de l’offre réduit les recettes et augmente le déficit du système. La démonstration inverse a été faite dans les régions avec une augmentation des services et donc de l’attractivité. Quid des investissements passés et à venir dans les Contrats de Projets Etat-Région ?
Depuis de nombreuses années des financements sont mis sur l’infrastructure dans le cadre de contractualisation tripartites Etat - SNCF Réseau - Régions. En Auvergne c’est le cas sur les liaisons Clermont-Béziers, Clermont-Nimes et Bordeaux-Lyon, les Régions Centre et Auvergne ont budgétisées des études pour l’amélioration de la liaison Montluçon-Bourges…que ce rapport préconise de supprimer…
Quant à l’alternative routière pour le transport des voyageurs, préconisée dans ce rapport, elle n’est pas la réponse apportée aux besoins. L’autocar n’offrira jamais le même service (parcours, points d’arrêts...), tout particulièrement pour les territoires intermédiaires qui seront les plus pénalisés encore une fois. D’ailleurs lors des auditions, nombre d’associations et d’organisations ont démontré que le transfert vers les autocars amenait à une désaffection du transport collectif au bénéfice de la voiture individuelle.
En tant qu’élu régional, je ne peux accepter les préconisations de la commission, ou plus exactement cautionner les décisions qui pourraient en découler avec un transfert important du nombre des liaisons ou morceaux de liaisons vers les Régions. C’est un désengagement supplémentaire de l’Etat vers celles-ci.
D’ailleurs c’est une des craintes exprimée par l’Association de Régions de France lors de son audition, excluant tous surcouts supplémentaires liés aux transferts éventuels et aux rabattements à mettre en place avec des suppressions d’arrêts sur les TET restants.
Un transfert dans la précipitation.
Il est inconcevable d’envisager que des modifications de grandes ampleurs puissent voir le jour à l’occasion du service annuel 2016 (décembre 2015) !
La réservation des sillons pour 2016 ne peut qu’être modifiée à la marge. Ce qui signifierait que les services abandonnés » par l’Etat dès la nouvelle convention TET au 1erjanvier 2016 ne seront pas repris immédiatement par les Régions. Si on rajoute à cela les difficultés budgétaires de ces dernières, de là à imaginer qu’ils seraient définitivement supprimés, il n’y a qu’un pas… D’autant plus qu’il sera extrêmement compliqué de mettre autour d’une table plusieurs régions concernées par un transfert, alors qu’avec la réforme elles seront organisées sur un périmètre différent dans quelques mois ! Un débat parlementaire est nécessaire.
Face à un tel bouleversement proposé, il est indispensable que la représentation nationale soit saisie de ce dossier et puisse apporter son avis sur un enjeu aussi important pour l’aménagement du territoire.